La radio média de confiance

Selon le neurologue Michel Logak, « l’audition est très liée au langage, on a peut-être plus de recul sans la vision ».

La radio est le média le plus crédible pour les Français. Rapport au son, à l’histoire, aux habitudes du quotidien : les pistes sont nombreuses pour expliquer ce succès.

Vingt-huit ans que ça dure. La radio est encore une fois le média jugé le plus fiable par les Français, comme l’a confirmé le sondage Kantar/Sofres pour La Croix, publié le 23 janvier. Ils sont 56 % à considérer que les informations « se sont passées comme la radio les raconte » (contre 52 % pour la presse écrite, 48 % pour la télévision et seulement 25 % pour Internet). Un chiffre en hausse de quatre points par rapport à l’année dernière. Pourquoi un tel succès?

 

Sans images, plus de confiance

 

Première explication, les images sont devenues une source de méfiance pour le public. « On s’est rendu compte qu’elles pouvaient mentir , explique Alexis Lévrier, historien des médias.  Les voix de la radio et les émissions s’inscrivent aussi dans la durée, là où la télévision va instaurer une forme de brutalité par l’image et l’uniformité du contenu. » Estelle Cognacq, directrice adjointe de la rédaction télé de Franceinfo, estime que « les gens sont plus attachés aux voix sans la pollution de l’image. L’image détourne et accapare l’attention. »
Pour Jean-Marie Charon, sociologue des médias, cette confiance est aussi liée à la réputation du support. Selon lui, les erreurs reprochées aux chaînes de télévision, en particulier celles d’information en continu, seraient davantage mises en avant que celles de la radio. « Je suis assez frappé par les débats sur l’information en continu. Les problèmes pointés à propos de BFMTV par exemple : la radio France Info a fait les mêmes bêtises mais on n’en parle pas, je ne sais pas pourquoi. On pourrait dire que les travers de l’information en continu protègent la radio ».

 

Une complicité avec l’auditeur

 

Autre point fort de la radio, les matinales, souligne Alexis Lévrier : « Une relation de confiance, de complicité et d’intimité avec le public s’est installée à cette heure de grande écoute. Pour moi, c’est une valeur refuge. » L’interaction avec les auditeurs permet à ces derniers d’être en contact direct avec les journalistes, l’information et le média. Selon Sébastien Poulain, docteur en sciences de l’information et de la communication, la radio et ses chroniqueurs « décryptent, interrogent, critiquent, moquent quotidiennement la vie politique et globalement l’actualité. Cela peut donner une impression d’autonomie », explique-t-il sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Benjamin Bousquet, journaliste à Franceinfo et auteur de Journaliste, l’ennemi qu’on adore, explique que la façon de traiter l’information est aussi un élément de confiance : « En radio, il y a beaucoup de directs, donc de spontanéité, l’auditeur le remarque sans doute et dès lors, estime peut-être que ce média est plus synonyme de confiance. »
D’après Jean-Marie Charon, c’est aussi une question d’usage : « En France, le portage des journaux est peu développé. Le journal papier n’a pas le même poids que dans certains autres pays. Peut-être que cela favorise l’écoute de la radio. »

 

Un impact différent sur le cerveau

 

Les raisons de ce succès sont aussi scientifiques. C’est ce qu’explique le docteur Michel Logak, neurologue à l’hôpital Saint-Joseph à Paris : « L’information auditive est reliée au lobe temporal (région du cerveau qui gère l’audition, le langage, etc., NDLR) qui est un lobe intellectuel. Il est proche de la région de la mémoire, de l’affect, de l’émotion. » Conséquences : l’information est moins primaire, plus nuancée et plus élaborée intellectuellement. « L’audition est très liée au langage, on a peut-être plus d’esprit
critique et de recul sans la vision », affirme le spécialiste.

 

Une forme de mythologie

 

Jean-Marie Charon estime que la radio doit en partie sa cote à son rôle dans le passé. « Son image renvoie à l’histoire, à la liberté qu’a su mettre en œuvre la radio. » Alexis Lévrier, lui, nuance ce constat. Certes, « il existe une forme de mythologie autour de la radio, avec la Seconde Guerre mondiale et l’épopée des radios libres. Mais, par exemple, il faut rappeler que personne n’a entendu l’appel du18 Juin. On oublie que la radio était contrôlée par le régime de Vichy. Quant à la radio libre, l’épopée n’a pas duré. » L’historien pense plutôt que cette crédibilité de la radio est un phénomène par défaut, qui a débuté quand la télévision a cessé d’être un média de confiance à la suite d’affaires médiatiques. Il évoque entres autres la fausse interview de Fidel Castro en 1991 par Patrick Poivre d’Arvor. Niveau confiance, la radio aurait ainsi peu à peu pris le pas sur la télévision.

 

À emporter partout avec soi

 

Dernière piste, la radio s’affirme comme un média très mobile. Selon une enquête de Médiamétrie daté de 2016 réalisée pour le Syndicat national des radios libres, chaque foyer possède près de dix objets capables de recevoir les ondes. Un poste de radio, un mobile, un ordinateur, un baladeur ou une tablette, par exemple. Beaucoup de supports transportables qui facilitent le lien entretenu avec l’auditeur. La radio le suit partout. C’est ce que confirme Benjamin Bousquet : « La radio accompagne l’utilisateur pendant qu’il effectue d’autres tâches, alors que la télévision monopolise davantage la concentration. Cette dernière est plus sujette aux critiques, parce que plus observée, plus scrutée. »
Aujourd’hui, l’émergence du podcast permet même à l’auditeur de s’affranchir de la grille des programmes. Il n’a plus besoin d’être fixé au poste de radio. David Carzon est directeur de la rédaction de Binge Audio, une plate-forme lancée en 2015. Il explique le rapport entretenu avec ses auditeurs : « Avec le podcast, nous travaillons sur les spécificités du son. Cela permet de lutter contre le flux d’informations et de s’arrêter sur une actu. On a des auditeurs très captifs, qui écoutent 80% de nos programmes. C’est très supérieur aux podcasts vidéo. On nous écoute en faisant du jogging, le repassage… On a un lien très fort avec notre public. »

 

 Margaux DUSSAUD, Valentin JAMIN
et Théophile PEDROLA

 

La folie des podcasts natifs

Aujourd’hui, de plus en plus de médias se tournent vers le podcast natif : des émissions sonores hébergées sur des sites Internet dédiés. Ils sont nombreux à s’être lancés ces derniers temps : Nouvelles écoutes, Binge Audio, Transfert, BoxSons… Le 7 mars, c’est le studio de production Louie Media qui a rejoint la cohorte des médias natifs. Mais ces nouvelles plate-forme n’ont pas le monopole du podcast : d’autres médias, plus connus, se sont lancés dans l’aventure. C’est le cas de L’Équipe, So Foot ou encore Les Échos. Europe 1 compte également tenter l’expérience dans quelques temps. Mélissa Bounoua, de Louie Media, est revenue sur cette folie des podcasts lors du premier jour des Assises : « En France, les gros consommateurs de podcasts peuvent en écouter jusqu’à sept par jour. C’est énorme ! Le plus difficile reste de fidéliser les personnes et d’attirer un nouveau public. »