Edwy Plenel est journaliste et président du site d’information Mediapart. Dans son livre La Victoire des vaincus, publié aux Éditions La Découverte, il analyse le mouvement des Gilets jaunes comme une victoire pour le peuple et détaille sa conception du journalisme.

Edwy Plenel, auteur de La Victoire des vaincus. (Photo : Lydia Menez/EPJT)

Diriez-vous queLa Victoire des vaincus est un livre politique plus qu’un livre de réflexion journalistique ?

Edwy Plenel. Le mot politique, au sens partisan, n’est pas l’objet du livre. En revanche, depuis quarante-trois ans que je fais ce métier, je pense que le journaliste est au cœur d’un principe démocratique : le droit de savoir des citoyens. Il y a une forme d’engagement démocratique dans le journalisme. Il a pour fonction de servir un droit qui est plus fondamental que le droit de vote ; parce que si je vote sans savoir ce qui est d’intérêt public, je peux voter à l’aveugle pour mon pire malheur. Ce livre est une réflexion sur l’événement des Gilets jaunes, pour en souligner la nouveauté et le réhabiliter par rapport à la façon dont il a été caricaturé. C’est un mouvement qui part de l’injustice fiscale et qui pose la question de l’égalité, qui est pour moi le moteur de l’émancipation. Par ailleurs, le pouvoir n’a eu de cesse avec des relais médiatiques de caricaturer ce mouvement. Ils ont choisi de se concentrer sur quelques dérives violentes du mouvement pour que ce peuple soit forcément laid, raciste, antisémite, ou encore xénophobe. Moi, je crois que la réalité de ce mouvement est beaucoup plus complexe et diverse. Derrière cela s’exprimait une certaine forme de haine de classes.

Mercredi soir, vous étiez sur le plateau de Paris Première face à Mounir Mahjoubi, Secrétaire d’État en charge du Numérique, qui rejette votre qualification « d’affaire d’État » pour désigner l’affaire Benalla. Est ce que Mediapart dispose d’informations supplémentaires pour qualifier cette « affaire d’État » ?

E. P. C’est déjà sur la table. Il y aura beaucoup d’informations à venir puisque c’est une enquête au long court, mais le rapport du Sénat, qui s’est appuyé sur des révélations de Mediapart, le montre déjà. Un collaborateur, « Monsieur Sécurité » du président, reconnu par toute l’institution, va, déguisé en policier, frapper des opposants politiques. Benalla aurait dû être écarté dès le 2 mai 2018. C’est ce que pense le préfet de police quand il prévient qu’il y a une vidéo où l’on voit les méfaits de Benalla. Non seulement il n’est pas viré, mais il est protégé. Le fait de protéger quelqu’un qui se comporte en nervi au sommet d’un État démocratique, c’est déjà une affaire d’État ! Puis arrivent coup sur coup trois révélations de Mediapart : la première, c’est les passeports diplomatiques, puis le contrat russe et enfin le viol du contrôle judiciaire et l’effacement des preuves. Je l’ai écrit dès le mois de juillet, le fait qu’il soit à ce point soutenu par Macron en fait forcément une affaire d’État. Concernant la réaction de Mounir Mahjoubi, c’est terrible de voir des gens qui, par ambition politique, en viennent à perdre leur sens critique.

En février dernier, Mediapart a subi une tentative de perquisition dans ses locaux. Est-ce pour vous la preuve d’une défiance envers la presse et plus particulièrement envers Mediapart de la part d’Emmanuel Macron ?

E. P. Pendant la campagne présidentielle nous lui avons dit que nous aurions surement, à Mediapart, des divergences sur les questions sociales et sur ses choix très libéraux économiquement. Je pensais que sur les questions de société, il était aussi politiquement libéral. Ma surprise s’est faite avec l’entretien du 15 avril 2018 chez Jean-Jacques Bourdin où l’on a découvert un président autoritaire qui, contrairement à sa promesse d’une « révolution démocratique profonde », est très peu respectueux des contre-pouvoirs et du pluralisme de la société. Souvenez-vous de sa phrase : « Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité ». C’est une antiphrase parce qu’en réalité il y a une presse qui l’embête en cherchant justement la vérité. Cela vaut aussi pour ses récentes déclarations à un groupe de journalistes, reprises par Le Point, où il parle d’une « information neutre ». Mais l’information est pluraliste, elle doit être rigoureuse, certes, mais certainement pas neutre. Pour moi, y compris sur la presse, Monsieur Macron n’est ni un libéral ni un progressiste.

Vous dites tout au long de votre livre que le journalisme et les Gilets Jaunes font front commun face au gouvernement et à la personne d’Emmanuel Macron, pourtant, vous n’hésitez pas à critiquer le travail des chaînes d’info en continu, ne serait-ce pas un peu hypocrite ?

E. P. Je parle de ma conception du journalisme et je ne critique pas explicitement tel ou tel média. Dans ces chaînes d’info en continu il y a des journalistes qui essayent de travailler au mieux pour leur indépendance et je me désolidarise de toute forme de haine du journalisme. Mon livre sert aussi à provoquer une réflexion dans la profession. Je pense que lorsqu’il y a un événement comme celui-ci, il faut mettre de côté tous ces commentateurs qui n’ont jamais sorti une info de leur vie et qui viennent sur les plateaux télé dire aux gens ce qu’ils doivent penser. C’est pour cela que la confiance est minée dans notre profession.

Propos recueillis par Louise Gressier et Léo Juanole