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Comment concilier sa vie professionnelle et ses engagements extérieurs ? Pour beaucoup, la question ne se pose pas. Pour les journalistes, c’est plus compliqué. Conflit d’intérêt, manque d’objectivité, prise de positions… Les risques sont nombreux. Trois journalistes engagés nous font part de leur expérience.

Julie Roeser : « Le militantisme aide à améliorer le traitement médiatique »

Julie Roeser est pigiste à BFMTV et France Télévisions. Elle est bénévole pour l’association En avant toutes, qui lutte contre les violences faites aux jeunes femmes.

Julie RoeserPigiste à BFMTV et France Télévisions, Julie Roeser est également bénévole pour l’association En avant toutes. Photo : Eva Deniel

Journaliste et militante, c’est une combinaison impossible ?
Julie Roeser : Dans le cas d’un engagement associatif, non. On n’est pas que des journalistes, on a le droit d’avoir une vie à côté. De plus, j’estime que l’égalité des sexes relève de la nécessité. C’est difficile de dire qu’on est pour les violences faites aux femmes. Là où la combinaison me semble impossible, c’est dans le cas de l’engagement politique. Il y a forcément conflit d’intérêts.

Votre engagement influence-t-il votre travail ?
J.R. : Je n’ai jamais réalisé de sujets directement sur ce thème-là. Mais si je devais en faire, je pense que ce serait bénéfique. On entend tellement d’absurdités dans les médias… Certains journalistes n’utilisent pas les bons termes, tout simplement par habitude. Par exemple, “drame passionnel”, c’est une expression inventée par les journalistes, ça n’existe pas juridiquement. Le militantisme aide à défaire ces expressions préconçues et à améliorer le traitement médiatique.

Est-ce que votre engagement vous a déjà posé problème ?
J.R. : Non, je n’ai jamais eu de soucis dans ma vie professionnelle. Je dirais que c’est plus mon métier qui peut poser problème dans mon militantisme. Les journalistes sont un peu des boucs émissaires, on leur reproche tout ce qui est dans les médias. Donc si un jour j’ai des problèmes, ce sera plutôt dans ce sens-là.

Célia Vanier « Nos opinions ne doivent pas transparaître dans nos articles »

Célia Vanier est journaliste multimédia pour la rédaction web de France 3 Picardie. Elle est engagée au côté de l’association L’Enfant bleu, qui lutte contre la maltraitance à l’encontre des enfants et dans un réseau local d’aide aux migrants.

Avez-vous hésité avant de vous engager ?
Célia Vanier : Je me suis effectivement demandée si j’avais le droit ou non d’appartenir à de telles associations. Il n’y a pas d’interdiction formelle. Je pense cependant qu’il faut s’assurer de rester neutre lors de la couverture de sujets en lien avec ces problématiques. Je fais particulièrement attention à bien interroger toutes les parties et à ne pas avoir un regard biaisé. Je pense toutefois que j’ai tendance à couvrir davantage ce type de sujets car ils me touchent personnellement.

Est-ce que vous affichez votre engagement dans votre travail ?
C.V. : Non, ça reste de l’ordre du privé. Certains de mes collègues sont au courant, soit parce qu’ils font également partie de ces associations, soit parce qu’ils m’ont vue à des manifestations. Mais je n’ai jamais eu de remarques à ce sujet.

Être journaliste et engagée, c’est un problème ?
C.V. : Malheureusement, j’ai remarqué que les points de vue des journalistes sont souvent visibles dans leur manière de traiter certains sujets. Il faut faire très attention. Nos opinions, militantes ou personnelles, ne doivent pas transparaître dans nos articles. L’idéologie ne doit pas avoir sa place dans ce métier, à part dans le cas très spécifique des éditos.

Noël Mamère : « L’objectivité ça n’existe pas »

Noël Mamère était journaliste et présentateur sur Antenne 2 (désormais France 2) , avant de se tourner vers la politique en tant que maire de Bègles et député de la Gironde. En janvier 2018, il retourne au journalisme en intégrant Le Média, qu’il quitte un mois plus tard.

Noël Mamère, ancien journaliste, a décidé de se tourner vers la politique avant de participer à la création du Media. Photo : Clara Gaillot.

Être journaliste et engagé, c’est possible aujourd’hui ?
Noël Mamère : Un journaliste est forcément engagé. Ce n’est pas parce qu’on est un journaliste engagé qu’on travestit l’information et qu’on contribue à l’obscurantisme. Heureusement que les journalistes ont des convictions. On est capables aujourd’hui, dans une grande démocratie comme la nôtre, de faire la part entre son engagement politique et son métier. C’est une question de respect des citoyens.

Est-ce que cela ne transgresse pas une des règles primordiales du journalisme qui est l’objectivité ?
N.M. : L’objectivité, ça n’existe pas. Parce que vous comme moi regardons le monde à travers le filtre de notre éducation, de notre milieu social, de notre niveau culturel. Et donc nous regardons le monde à travers ce que nous sommes. Cette notion de l’objectivité, c’est une sorte de cache-sexe pour mieux dissimuler les tentatives de propagande.

Vous vous définissez comme un journaliste. Pourquoi ?
N.M. : Parce que c’est mon seul métier. J’ai été maire, député, mais ce sont des fonctions révocables par les électeurs. Donc mon seul métier, c’est le journalisme. Une grande partie de ma vie de journaliste a été consacrée au journalisme engagé.

Propos recueillis par Anastasia Marcelin et Malvina Raud