Journalisme d'engagement

Un débat de fond sur la place de l’indépendance et de la neutralité dans le journalisme. Photo : Clara Gaillot

Retrouvez l’essentiel du débat : « Un journalisme utile, un journalisme d’engagement »

Animé par Jean-Marie Charon, sociologue des médias avec Eric Lagneau, chercheur à l’EHESS, Noël Mamère, journaliste, Emilie Kovacs, fondatrice d’Ekopo, Nadia Henni-Moulaï, rédactrice en chef de Melting Book, François Ernenwein, rédacteur en chef de La Croix et Patrick Appel-Muller, directeur de la rédaction de L’Humanité.

LES ENJEUX

Dans le contexte de l’information à haute fréquence, avec la force des fausses informations, comment les journalistes doivent gèrent-ils la tension entre indépendance et information de conviction ? Comment l’affirmation des convictions politiques s’invite dans la production journalistique ? Ce sont deux des questions centrales posées dans le débat.

CE QU’ILS DONT DIT

François Ernenwein : « Comment promouvoir, à travers nos écrits, une citoyenneté active au service de l’intérêt général ? Nous sommes un journal de conviction. Il faut refuser la tentation de l’influence, nous devons observer les politiques conduites mais nous ne devons pas nous ériger en quatrième pouvoir et leur dire ce qu’ils doivent faire. »

Patrick Appel-Muller : « Le journalisme, c’est de l’engagement. Notre regard sur le monde est parfois appelé idéologie. Des journaux masquent leur regard, d’autres le montrent mais tous en ont un. Nous [L’Humanité], c’est dans le titre. Nous revenons à Jean Jaurès, son fondateur. Comment ne pas voir que dans le champ de l’information la pression est très forte ? La pression économique se retrouve dans les contenus. »

Emilie Kovacs : « En tant que lectrice, j’ai vu un traitement de l’information accompagné de rejet et de défiance. Ekopo est dans le journalisme de solution, nous sommes dans le constructif sans être dans l’optimisme, nous ne voyons pas la vie en rose. Il manque dans le traitement médiatique d’une mise en valeur d’acteurs qui contribuent au progrès de la société. Cela permet de rééquilibrer la critique permanente que j’accepte aussi. »

Noël Mamère : « Le journalisme n’est pas là pour se substituer à une société défaillante. Il doit regarder le monde tel qu’il est. La tyrannie de l’émotion est une perversion au cœur des problèmes du métier de journaliste. Le journalisme, c’est douter d’une vérité, élargir l’espace public, lutter contre l’ignorance et la peur de soi. Tous les médias sont d’opinion, certains le cachent alors que d’autres affichent la couleur. Sur les fake news, je trouve que la vérité est devenue une opinion comme une autre. »

Nadia Henni-Moulaï : « Je ne crois pas en la pertinence de l’opposition entre information et opinion. Melting book n’est pas militant, nous sommes engagés et au service des faits. On ne fait pas passer de messages mais on donne la matière aux personnes pour qu’ils se fassent leur propre point de vue. On nous place dans la posture d’être un parti mais j’essaye d’être dans une posture d’équilibriste. »

Eric Lagneau : « Dire que tous les journalistes sont des journalistes d’opinion, c’est gommer l’histoire. Le journalisme d’opinion était très fort au début de la profession. Au moment de l’Affaire Dreyfus, les gens lisaient un journal d’opinion et n’avaient donc pas la même base de faits. Avec les réseaux sociaux, il est possible de n’avoir que le point de vue des personnes que l’on suit. Alors comment maintenir un espace de débats ? »

A RETENIR

Avec de longues approches historiques, la question du journalisme utile s’est développée autour de l’économie des médias et des fake news. La pression économique et les réseaux sociaux pèsent et menacent les contenus. Tous se réjouissent de la création de nouveaux médias, « détachés de la dépendance », a dit Noël Mamère, face à la « paupérisation de la profession ». Il n’y a pas d’accord sur la présence d’engagement ou non chez l’ensemble des médias et journalistes.   

Tiffany Fillon