[EN PLATEAU] Jérôme Bouvier : « On ne peut pas ignorer le massacre des journalistes à Gaza »

Jérôme Bouvier est le président de Journalisme & citoyenneté, association organisatrice des Assises du journalisme de Tours. Il lance le mardi 26 mars 2024 la 17e édition des Assises. Au programme cette année : le sport, l’éducation aux médias et la situation des journalistes sur les théâtres de guerre.

Réalisé par Maël Prévost/EPJT.

[LE RÉSUMÉ] Médias et journalisme en Ukraine et Russie : informer en temps de guerre

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Médias et journalisme en Ukraine et Russie: informer en temps de guerre ».

Photo : Cem Taylan/ EPJT

Animé par Loïc Ballarini, enseignant-chercheur à l’Université de Rennes 1 et Simon Gadras, enseignant-chercheur à l’Université Lumière Lyon 2, avec Maxime Audinet, chercheur et auteur de Russia Today : un média d’influence au service de l’État russeValentina Dymytrova, enseignante-chercheure en sciences de l’information et de la communication, enseignante à l’Université Lyon 3, Alexander Kondatrov, maître de conférences en science de l’information et de la communication à l’Université Clermont Auvergne.

 

Les enjeux

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les paysages médiatiques russe et ukrainien connaissent des reconfigurations importantes. Le brouillage entre sphère politique et médiatique met en danger l’indépendance éditoriale des médias des deux pays. Dans cette guerre de l’information, les médias détournent parfois les codes déontologiques au nom de l’unité nationale.

 Ce qu’ils ont dit

Maxime Audinet : « Depuis le début de la guerre en Ukraine, on observe un assèchement total du paysage médiatique russe. La loi de mars, qui criminalise la propagation de fausses informations sur l’armée, a consolidé cette tendance. Pour s’informer librement, les Russes n’ont d’autres moyens que de trouver des stratégies de détournement.»

« Il faut distinguer les médias publics et les médias d’État. Russia Today est le porte-parole du Kremlin. Des médias comme RFI, n’ont pas le même rapport au pouvoir. Cela s’observe dans la couverture d’événements qui ont un intérêt stratégique pour l’État.» 

Alexander Kondatrov : « En Russie, il n’y a pas de distinction entre les sphères politique et médiatique. Il y a deux types de journalisme : le premier, inspiré du modèle occidental, est un journalisme pour l’intérêt public. En revanche, le deuxième est exercé par des serviteurs de l’État, qui sont prêts à bricoler la vérité pour servir les intérêts de ces dernier. Pour les journalistes proches du pouvoir, couvrir la guerre est un moyen de monter en grade dans leur chaîne.»

« Les médias russes ont tendance à diffuser des spectacles de pouvoir, comme des défilés militaires ou la célébration de la Pâque orthodoxe. C’est une manière de créer des liens avec les spectateurs et de faire adhérer les Russes aux discours du Kremlin. »

Valentina Dymytrova : « En Ukraine, depuis le début de la guerre, il y a une uniformisation des JT. Il y a un alignement entre les discours de Zelensky et les contenus médiatiques. Cela pose la question de l’indépendance éditoriale sous prétexte d’unité nationale.»

« Auparavant, les oligarques avaient le dessus sur la ligne éditoriale des médias. Avec la guerre, l’influence du gouvernement ukrainien a considérablement augmenté. Volodymyr Zelensky utilise les médias pour donner des messages de solidarité. Le pouvoir ukrainien essaye de mettre en place un soft power pour sensibiliser le public international avec la cause ukrainienne. »

À retenir

La guerre en Ukraine a  transformé les paysages médiatiques russe et ukrainien. Alors que les médias russes sont devenus encore plus rigides sur leurs contenus, les médias ukrainiens se sont transformés en une caisse de résonnance du gouvernement sous prétexte d’unité nationale. 

Cem Taylan

[INTERVIEW] Daniel Schneidermann : « Il existe des points communs entre le traitement médiatique des migrants et celui des réfugiés juifs »

Daniel Schneidermann est journaliste et créateur du site d’informations Arrêt sur images. Il publie Berlin, 1933 : la presse internationale face à Hitler. Le livre analyse le traitement médiatique de la montée du nazisme, de l’élection d’Hitler au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Son ouvrage a remporté le Prix du livre du journalisme des Assises 2019.

Daniel Schneidermann, auteur de Berlin, 1933
(Photo : Louise Gressier / EPJT)

Pendant la remise du prix, vous avez dit avoir eu « beaucoup de mal à écrire ce livre ». Pourquoi ? Daniel Schneidermann. J’ai été stupéfait par l’ampleur de ma découverte. À l’époque, une sidération journalistique collective a eu lieu. Les journalistes étaient atterrés par les événements à couvrir. Ils n’arrivaient pas à trouver les mots pour raconter. Cette sidération m’a déconcerté. D’habitude, j’arrive à prendre de la distance. Mais pas là. J’ai tout simplement été écrasé par le sujet. Pourquoi avoir anglé votre livre sur l’avant 1939-1940 et non sur la guerre ? D. S. Ce que je voulais, c’était analyser une presse libre, pas une presse censurée. On se doute qu’une presse censurée ne dit rien. Ce qui est intéressant, c’est de comprendre pourquoi une presse libre ne dit rien ou dit mal. Alors que théoriquement, elle a le droit de s’exprimer. Ça m’a également permis de faire des parallèles avec notre époque. « Ce livre est né de l’effroi Trump. » Dans votre livre, vous parlez de Donald Trump, d’Éric Zemmour, des migrants, etc. Assumez-vous ce risque de faire des comparaisons avec notre actualité contemporaine ? D. S. Je prends des pincettes quand je fais des comparaisons. Les situations ne sont pas les mêmes mais il y a des similitudes dans les mécanismes journalistiques. Par exemple, il y a des points communs entre le traitement médiatique des migrants aujourd’hui et celui des réfugiés juifs en 1938. On ne fait jamais de papiers qui les humanisent, qui montrent leurs visages. On préfère publier des articles chiffrés. La montée du nazisme est un « aveuglement médiatique collectif ». Existe-t-il aujourd’hui un phénomène analogue ? D. S. Il y a des sujets auxquels nous sommes aveugles sans le savoir. Concernant le changement climatique, on a l’impression de faire notre boulot : on écrit des papiers, on couvre les manifs, etc. Les médias le traitent, le préviennent, le disent. Mais rend-on bien compte de l’énormité qui va nous tomber sur la tête ? Autre exemple : ne sommes-nous pas aveugles face à un processus général d’effondrement de la démocratie ? Nous, la presse, ne sommes-nous pas aveugles face à l’effondrement de la presse ? Je pense qu’il faut se poser des questions. Il faut sortir de notre système de référence et le regarder de l’extérieur. Pour documenter votre livre, vous vous êtes plongé dans les archives de plusieurs journaux anglo-saxons et français. Avez-vous remarqué une tendance à l’uniformité ou bien de réelles différences de traitement ? D. S. Quand on analyse en détails les journaux sans étiquette politique (Paris-Soir, L’intransigeant, Le matin, Le temps), on se rend compte qu’ils disent la même chose. Il y a une uniformité et un suivisme encore présents aujourd’hui. J’ai découvert le lieu où se fabrique ce suivisme. C’est la fameuse Stammtish à Berlin, où se regroupent tous les journalistes correspondants américains et anglais. Tous les soirs, ils se retrouvent et se mettent d’accord sur l’actualité. Quel journaliste auriez-vous fait en 1933 ? D. S. Je pense que j’aurais été viré tout de suite par Goebbels [ministre de la propagande sous Hitler, ndlr]. Personnellement, je suis incapable d’autocensure. Je considère qu’un journaliste doit dire à ses lecteurs tout ce qu’il sait. Je n’aurais peut-être pas été meilleur qu’eux. Je ne fais d’ailleurs pas la leçon aux journalistes de l’époque. C’était très dur de se coltiner les nazis tous les jours et de savoir où placer la limite. Finalement, les vrais responsables de l’aveuglement médiatique, ce ne sont pas eux mais leurs journaux qui n’ont pas voulu voir ce qu’il se passait.

Propos recueillis par Lydia Menez

 

Les drones, nouveaux alliés des journalistes de guerre

Les drones sont de plus en plus utilisés sur les zones de guerre, à commencer par les journalistes. (ARIS MESSINIS / AFP)

Initialement destinés aux armées, les drones sont devenus des outils accessibles au grand public. Mais avec l’appropriation de ces aéronefs par les journalistes, ceux-ci reviennent sur leur terrain initial : les zones de conflit.

Et si les drones révolutionnaient le journalisme de guerre ? Déjà utilisés par les armées depuis des dizaines d’années, ces aéronefs ont trouvé avec les médias de nouveaux utilisateurs depuis quelques temps.

Avec la réduction du prix de ce nouvel outil – il est aujourd’hui possible d’en acheter un filmant en très haute résolution pour moins de 1000 euros -, et une praticité améliorée – beaucoup tiennent dans une valisette, et sont pilotables depuis un smartphone –, les rédactions ont vite compris qu’il fallait sauter le pas. « Les drones changent et changeront le traitement médiatique des conflits », assure ainsi Kamel Redouani, documentariste à France Télévisions.

La plus-value apportée par ce nouvel outil est en effet non négligeable d’un point de vue journalistique. Pour Eric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions, l’utilisation d’un drone dans un reportage permet « une variation des plans, mais surtout de raconter l’histoire de manière différente ».

Au plus près des zones de conflit, l’utilisation de drones par les journalistes a effectivement de nombreuses utilités. Grâce à ces nouveaux outils, il est désormais possible de s’approcher au plus près de l’action, en limitant les risques pour les journalistes. Ils permettent aussi d’apporter une autre vision du terrain, avec les prises de vues aériennes. Ce nouvel angle de vue permet une lecture plus facile de l’histoire pour le téléspectateur et lui offre une information mieux contextatualisée.

Une autre vision des conflits

Kamel Redouani loue d’ailleurs l’utilisation des drones sur le terrain, en se basant sur son expérience personnelle. « En filmant un reportage sur la chute de Syrte, on a pu se rendre compte que, lorsque des couloirs étaient ouverts pour faire sortir les femmes et les enfants, les soldats de Daech tiraient sur eux, sur les membres de leurs propres familles. Les drones ont donc permis de voir une autre facette de la réalité », a-t-il assuré lors de la conférence sur les nouveaux outils du journalisme, vendredi, aux Assises de Tunis.

Mais la force de ces nouveaux outils fait également leur faiblesse. Leur capacité à se rendre sur tous les terrains fait d’eux de véritables cibles. Considérés comme une menace, du fait de leur capacité à dévoiler des stratégies, ils sont de plus en plus victimes de tirs, voire de hacking.  « Avec les outils à leur disposition, les forces armées tentent de prendre le contrôle des machines que les journalistes utilisent », explique Eric Scherer. Avec les risques que cela encourt : en dévoilant la position des journalistes, ces derniers pourraient courir un risque pour leur vie.

 « L’image vue du ciel apporte certes de nombreuses opportunités… Mais il reste très difficile de tourner avec des drones », résume Kamel Redouani. La faute à une appropriation pas encore totale de l’outil, et de ses limites. Mais, malgré tout, l’aéronef devrait s’imposer comme l’atout numéro 1 du reporter de guerre dans les années à venir. En attendant, le temps est à l’expérimentation.

Hugo Girard

[INSTANTANÉ] Rencontre avec un journaliste installé à Alep

Youcef Seddik est journaliste à Alep (Syrie). Etudiant la littérature à l’Université de Damas, il avait été chassé de la capitale pour sa participation à des manifestations pacifiques. Réfugié à Alep, il devient fixeur, puis participe à la création du centre de presse d’Alep dont il occupe le poste de directeur depuis 2013. Il nous explique les difficultés d’être journaliste au coeur de la guerre civile syrienne.