"Vous sentez-vous utile ?" Photo : Malvina Raud

Dans un climat de défiance envers les journalistes, à l’heure des réseaux sociaux et des fake news, le rôle de la profession est remis en cause. Pourtant, selon un sondage du Journal du Dimanche, 92% des Français la jugent utile. Comment le vivent les professionnels ?

Pierre Pauma, pigiste pour Arte

Utile. « Chacun a une vision différente de ce qu’il veut faire pour être utile : du reportage, de l’investigation… Forcément, quand on est envoyé couvrir une kermesse ou une foire à la jonquille, on l’a un peu mauvaise. Pourtant, c’est ce genre de reportage qui va créer du lien social avec les lecteurs. »

Inutile. « C’est quand on ne nous demande aucune compétence particulière, à part savoir lire et écrire. Quand on doit juste produire du contenu qui servira à remplir un cahier. Je ne suis pas confronté à ça car avec le journal d’Arte et mon travail de traduction, j’ai l’impression d’être utile. » 

Martin Boudot, journaliste à Cash Investigation

Utile. « Après nos enquêtes, quand elles permettent d’avoir de l’impact, qu’elles font bouger la réglementation, comme les mesures prises dans l’Église ou concernant les pesticides. »

Inutile. « Je dirai plus impuissant qu’inutile. Lorsque les choses ne bougent pas assez, quand notre travail n’est pas écouté ou consulté. Même si, de plus en plus, les journalistes sont invités dans les commissions pour que leurs enquêtes servent. »

Alice Serrano, reporter à Franceinfo

Utile. « Le reporter va sur un terrain qui est inaccessible à la population. Son rôle est de décrypter l’information, de la digérer et la contextualiser. Les journalistes sont un contre-pouvoir, ils sont là pour apporter des contradictions, déconstruire des discours et mettre à mal la propagande. »

Inutile. « La masse d’informations fausses qui vont plus vite et sont plus fortes que l’information réelle nous rend parfois impuissants. La source passe au second plan. » 

Clara-Doïna Schmelck, journaliste et spécialiste des médias à Intégrales Productions

Utile. « Le journaliste est utile quand il prend le temps de faire le travail intellectuel que d’autres ne font pas. Nous avons le temps de croiser les sources, de comprendre la motivation des acteurs durant des événements et montrer leurs conséquences. Notre métier est un service : nous donnons au lecteur le temps de réflexion qu’il n’a pas eu le temps de prendre. Il ne faut pas oublier cette notion du métier. »

Inutile. « On dit que le journaliste pourra être remplacé par des robots et les réseaux sociaux. Mais c’est un métier, pas un simple poste où l’on fait du copier-coller. Nous avons un savoir-faire qui permet d’offrir au citoyen une information vérifiée et mise en perspective. » 

Laurence Benhamou, chargée de l’Elysée à l’AFP

Utile. « Mon travail est de suivre Emmanuel Macron pour l’AFP. Je dois retranscrire tout ce qu’il dit et ce qu’on lui dit. Je contextualise les propos et les hiérarchise. pour les relayer à mes confrères. »

Inutile. « Je peux me sentir inutile quand je couvre des événements que la communication de l’Elysée couvre également dans un Facebook live. Le problème, c’est qu’elle ne filme que ce qu’elle veut et ce qu’elle estime bon. Moi, je peux rendre compte de ce qui déplaît à la communication. Finalement, ce n’est pas tant un sentiment d’inutilité que l’on peut avoir mais plutôt le sentiment que l’on veut nous rendre inutiles. »

Clément Argoud, François Breton, Charles Lemercier