Vendredi, lors de la conférence intitulée « Un journalisme utile aux femmes », une photojournaliste yezeri témoignait. Photo : Marie Jansen

En Tunisie, les femmes journalistes constituent aujourd’hui plus de 50 % de la profession. De plus en plus nombreuses à intégrer l’Institut de presse et des sciences de l’information (Ipsi), elles sont 70 % à entrer sur le marché du travail diplômées. Un record.

Il semble surréaliste et pourtant, ce chiffre est bien le bon. En Tunisie, depuis la révolution de Jasmin en 2011, le nombre de femmes journalistes a décollé et dépasse aujourd’hui les 50 %. Et pour cause, valoriser la femme n’est pas un concept nouveau dans le pays.

Ce “phénomène” date de la fin des années 1950, avec l’arrivée au pouvoir d’Habib Bourguiba, président de la Tunisie pendant trente ans. Fervent défenseur de la lutte féministe, il a plus d’une fois surpris le peuple tunisien. En août 1956, il promulgue le Code du statut professionnel (CSP), qui met fin à l’emprise des pères et maris sur les femmes et transforme la femme tunisienne en sujet de droit, alors qu’elle était jusque-là considérée comme un “chose” soumise. Dorra Bouzid, dont le portrait est à lire ici, a été la première femme à devenir journaliste en Tunisie. Grande amie d’Habib Bourguiba, elle a elle aussi contribué à la libéralisation du statut des femmes dans le monde du travail.

« L’égalité hommes/femmes est cruciale »

Selon Faouzia Ghiloufi, membre du bureau exécutif du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), en charge des Affaires sociales, le statut de la femme tunisienne “a progressé grâce à la législation garantissant ses droits dans tous les domaines.” Cette année, 1 334 cartes de presse ont été attribuées au total. Parmi elles, 702 à des femmes et 628 à des hommes. “Il y a une féminisation très importante dans les écoles de journalisme. Aujourd’hui, au cours de leur formation, on leur explique bien que l’égalité hommes/femmes est cruciale dans les rédactions”, souligne Samira Mehdaoui, journaliste et présentatrice à la télévision publique tunisienne.

Samira Mahdaoui, journaliste et présentatrice à la télévision publique tunisienne . (Photo : Romain Bizeul)

Cette surreprésentation dans les médias semble idyllique à bien des égards, pourtant le problème est ailleurs. “Il n’est pas nécessaire d’embaucher plus des femmes, considère Faouzia Ghiloufi. Nous souhaitons avant tout changer la mentalité masculine qui contrôle les organes de presse”. En Tunisie, seulement 14% des femmes journalistes, détentrices de la carte de presse, occupent des postes à hautes responsabilités.

Malgré les lois progressistes du pays, la société demeure particulièrement conservatrice et machiste. A l’antenne, beaucoup sont encore limitées à un rôle de faire-valoir. Une caution “sexy souvent relayée aux matinales” que déplore Samira Madahoui.  Les stéréotypes de genre et les clichés ont encore la vie dure au sein des rédactions. Selon Faouzia Ghiloufi, “une vision d’infériorité” persiste et empêche les femmes les plus compétentes d’accéder aux rôles de direction.

Tout au contraire, Hanene Zbiss, journaliste et enseignante à l’Ipsi, n’a jamais eu de mal à gagner la confiance de ses supérieurs, malgré un manque considérable de reconnaissance. Elle regrette que peu de femmes journalistes soient davantage félicitées ou promues pour leur travail. Nombreuses dans les rédactions, les femmes sont peu représentées au sein du bureau exécutif du SNJT (six membres sur neuf sont des hommes). “Il faut encourager notre accès aux organisations qui défendent nos droits et la liberté de presse”, souhaite la journaliste.

Un avenir prometteur

Pour changer les choses, les femmes journalistes ne manquent pas d’idées. « Des lois devraient exiger des organes de presse un réel changement, même si cela se fait au prix de certaines sanctions », propose Hanene Zbiss. Quelques acteurs de la profession misent, quant à eux, sur la société de demain.

Grâce au projet Generation What, Samira Mahdaoui souhaite aller à la rencontre de la jeunesse tunisienne dans l’objectif de briser les sujets tabous et changer les mœurs. Ce programme, financé par la Commission européenne et diffusée dès janvier 2019, est porté par trois jeunes femmes journalistes, qui ont sillonné le pays pour interroger le futur. « Il est impossible de construire un journalisme utile sans sa jeunesse, affirme Samira Mahdaoui. On ne peut pas être une femme aujourd’hui si l’on ne parvient pas à sensibiliser les jeunes. »

Si quelques inégalités  en matière de « traitement » entre hommes et femmes au sein de rédactions persistent, rien n’empêche Hanene Zbiss d’être optimiste en pensant à l’avenir. « On se dirige vers un journalisme plus humanisé, qui laisse les femmes exister« , affirme-t-elle. Le journalisme tunisien a encore bien des réformes à mener, mais il semblerait judicieux pour les femmes qu’elles n’attendent pas que des lois soient promulguées pour prendre le dessus.

Thomas Desroches et Clara Gaillot