Illustration : Lune ARMAND/EPJT

Trois ans après le documentaire choc de Marie Portolano, la situation des femmes journalistes de sport a-t-elle vraiment évolué? Pas si sûr… La course continue

« Le combat sera gagné quand il sera devenu inutile d’en faire un film ». C’est ainsi que Marie Portolano conclut son documentaire Je ne suis pas une salope, je suis journaliste (Canal+, 2021). Mais voilà que, trois ans plus tard, elle relance la machine et sort un livre, Je suis la femme du plateau. Un livre qu’elle décrit comme un objet qui reste dans le temps, qui ne pourra pas être effacé, parce que pour elle : « Dans le milieu du journalisme sportif, oui, il y a encore des choses à dire.» 

Si la parité est globalement respectée dans le journalisme, ce n’est pas le cas au sein des rédactions de sport. En 2022, une étude menée par la chercheuse Sandy Montanola démontrait que les rédactions sportives comptaient seulement 15 % de femmes. Un déséquilibre ressenti par celles qui sont présentes dans ces bureaux. Discrimination, harcèlement, décrédibilisation… Plusieurs journalistes sportives ont témoigné. 

 

 

Infographie : Lucas GAULT/EPJT

En 2021, l’association Femmes journalistes de sport (FJS) décide d’occuper le terrain face aux discriminations, au manque de reconnaissance et aux nombreuses injustices que subissent les femmes dans le milieu du journalisme sportif. « Le monde du sport a historiquement été fondé par et pour des hommes. Les femmes ont toujours dû se battre pour être des athlètes, pour pratiquer, pour diriger et pour arbitrer du sport. Il en va de même pour les femmes journalistes », déplore Mejdaline Mhiri, journaliste, co-présidente et membre fondatrice de FJS. Elle ajoute que « les jeunes se détournent du sport car elles se sentent moins compétentes face à leurs homologues masculins, qui font du foot depuis 15 ans et qui regardent tous la Ligue 1 ». La peur de ne pas être à sa place en tant que femme est un facteur d’auto-censure pour les femmes journalistes. « Le documentaire a eu le mérite de souligner des faits qui étaient problématiques dans les rédactions sportives, dont on n’a pas forcément connaissance quand on est un homme », reconnaît le directeur de la rédaction de L’Équipe, Lionel Dangoumau.

Un début de changement

Dans le film de Marie Portolano et Guillaume Priou, plusieurs générations de journalistes sont présentées. Frédérique Galametz est l’une de ces défricheuses du journalisme sportif féminin. Première femme rédactrice en chef à L’Équipe, elle décrit une avancée depuis la sortie du documentaire: « Il a fait ouvrir les yeux à certains qui ne les avaient pas encore ouverts et a amené à s’interroger sur des comportements. » En effet, une charte interne a été signée dans certaines rédactions, comme à L’Équipe ou à beIN, qui vise à mieux représenter les femmes dans les médias sportifs. Des référents « harcèlement sexuel » ont également été désignés. En parallèle, l’association FJS a mis en place un système de marrainage entre journalistes expérimentées et débutantes. Margot Dumont, journaliste à beIN Sports, souligne son rôle crucial : « Maintenant, l’association FJS est là pour nous soutenir. Donc, si on perd un emploi parce qu’on a osé parler, ne vous inquiétez pas, elles sont 170 derrières à monter au créneau pour nous ! »

Mais la vraie victoire, c’est la libération de la parole dans les équipes, avec une nouvelle génération de journalistes qui débarque au sein des rédactions. Charlotte Namura, ex-journaliste chez TF1, qui a participé au documentaire, constate un nouveau souffle à Téléfoot : « Au sein de la rédaction, il y a eu un vrai roulement. Pour avoir parlé avec d’anciens collègues, ils m’ont dit qu’il y avait plus de femmes aujourd’hui. Ça s’est aussi rajeuni, on trouve des journalistes plus à même d’être à l’écoute. » De plus en plus de femmes dans les rédactions donc, c’est ce que confirme Lionel Dangoumau: « Je pense que c’est quand même plus facile d’être une femme chez nous, aujourd’hui, qu’il y a 20 ans. Parce qu’elles sont déjà plus nombreuses dans la rédaction. » Il estime à un peu moins de 20 % l’effectif de femmes dans son entreprise. Encore trop peu, malgré tout, pour cet ancien chef du service football, qui aimerait mettre des choses en place dans le recrutement.

Effort collectif

À L’Équipe, deux des dix postes de rédacteurs en chef sont occupés par des femmes. Lionel Dangoumau explique cette proportion par le poids de l’histoire : « L’Équipe est historiquement une rédaction assez masculine.» Une raison qui ne convainc pas Mejdaline Mhiri, qui pense que « les rédacteurs en chef se servent du manque de candidatures féminines comme excuse pour garder des équipes très majoritairement masculines ». Elle souffle, puis poursuit : « Les rédactions sont tellement disproportionnées qu’il faudrait que l’embauche des femmes devienne un critère lors du recrutement.» 

Aujourd’hui , l’écart subsiste, mais se resserre. Toutes les journalistes se rejoignent : cela ne doit plus être un sujet. Charlotte Namura est optimiste : « J’espère pour la génération suivante de femmes journalistes sportives qu’elles n’auront plus à se poser la question de leur place. Qu’elles puissent arriver sereinement le matin au travail.» Un objectif plutôt simple, a priori, où la question du genre ne rentre plus en jeu : « Moi, je ne veux pas prendre une place, je veux juste que tu te pousses un peu du canapé. Parce que je suis assise sur l’accoudoir, en fait. Ce n’est pas normal. Le canapé, il est à partager. Donc, tout le monde doit faire un effort.»

 

Clara DEMAJEAN, Lucas GAULT et Emma SIKLI/EPJT