[PORTRAIT] Fabrice Arfi, l’homme derrière l’enquête

Photo : Inès FIGUIGUI/EPJT

Le co-responsable du pôle enquête de Mediapart revient sur son parcours et sa vision du journalisme.

« Derrière sa vitre virgule Barbie s’ennuie point. » Les yeux baissés, il répète la phrase deux fois avec un ton toujours plus émerveillé. Assis sur une chaise scandinave recouverte de tissu rouge, il se redresse pour conclure : « Ces cinq mots sont de la littérature ». « Quand j’ai lu cette phrase, ça a été mon premier choc esthétique, vis-à-vis du journalisme », raconte Fabrice Arfi, les yeux vers l’horizon. 

C’est dans les archives de son journal, Lyon Figaro, qu’il découvre ces mots. Il y a travaillé de 1999 à 2004. L’auteur, Gérard Schmitt, est son compagnon de bureau de la chronique judiciaire. En 1987, il couvre le procès du « boucher de Lyon », Klaus Barbie. « Il a arrêté, fait torturer et déporter Jean Moulin », rappelle celui qui est aujourd’hui journaliste d’investigation à Mediapart. 

L’affaire Bettencourt, Cahuzac, ou encore celle du financement libyen, communément appelée Sarkozy-Kadhafi… Fabrice Arfi est l’instigateur de nombreuses enquêtes qui ont mis en cause de grandes fortunes et de puissantes personnalités politiques. Avec un sourire timide, il explique ne pas pouvoir choisir celle qui l’a le plus marquée : « C‘est comme si vous me demandiez quel est votre film préféré ». Sa manière de les aborder interpelle. Il narre ces enquêtes comme des contes où chacune « à son charme et sa leçon particulière ».   

Mais après réflexion, il en sélectionne une, Sarkozy-Kadhafi : « C’est une histoire totale, de corruption du financement illicite, de campagne électorale et même d’associations de malfaiteurs. Elle concerne un président et trois anciens ministres. Cela n’est jamais arrivé dans l’histoire judiciaire et politique française », explique-t-il avec entrain. Révélée en 2012 par Mediapart, la justice s’empare de l’affaire un an plus tard. Après plus de dix ans d’enquête, Nicolas Sarkozy et trois anciens ministres sont renvoyés devant la justice en janvier 2025.

« Général d’infanterie »

On l’imagine inaccessible, il est en réalité tout le contraire. « C’est une personne généreuse », raconte Antton Rouget, journaliste au pôle enquête. L’homme de 42 ans intègre Mediapart en 2008, dès sa création. « L’indépendance économique et l’enquête journalistique sont les deux arguments qui [l]’ont totalement convaincu de rejoindre le journal ». Pour le co-responsable du service enquête, les fondateurs du pure player ont su diagnostiquer les raisons de la crise liée à la presse. « Ce n’est pas une crise de la demande, où les citoyens et les citoyennes n’auraient pas envie et besoin d’être informés. C’est une crise de l’offre, où des journaux, trop concentrés, ont abandonné le terrain de l’enquête », résume l’homme dont la chevelure de jais s’est enneigée avec le temps. 

Il dénonce « le commentariat » dans les émissions de télévision où les interactions s’apparentent à « des discussions de PMU [entre des personnes] en costard cravate » dans lesquelles chacune donne son avis. « Être journaliste, c’est raconter des faits, dire que deux et deux font quatre. Mais pour beaucoup de gens, la frontière entre le vrai et le faux s’efface », peste-t-il. 

Il ne se sent pas en danger 

Le journaliste protège le pure player des critiques avec ferveur. « Nous défendons une sorte de journaliste bio avec peu de polluants, des circuits courts et l’idée que la nourriture intellectuelle que nous allons offrir avec nos informations est saine et pas polluée par des intérêts extérieurs. » Tel « un général d’infanterie, il monte au front pour défendre son service, ses équipes et son journal », raconte Antton Rouget, journaliste au pôle enquête. Fabrice Arfi parle rarement à la première personne, le collectif prime toujours : « Je ne suis pas tout seul dans mon coin, il n’y a pas de loup solitaire ici. »   

Il est récemment menacé de mort par Arnaud Mimran, après la publication de l’enquête « D’argent et de sang » sur « la mafia du CO2, l’escroquerie aux quotas carbone ». Malgré tout, « [il ne se] sent pas en danger » même si la situation est « désagréable ». Il confie, en revanche, avoir « toujours peur pour [ses] sources »

À l’approche des élections européennes en juin, il insiste sur la principale menace, « l’extrême-droite » : « À la rédaction, nous sommes fous et folles d’inquiétude de se dire qu’un parti fondé par des nostalgiques de Vichy et un Waffen-SS puisse prendre le pouvoir ». « Mediapart fait le choix de ne pas interviewer les responsables du Front national ou Rassemblement national aujourd’hui. On ne discute pas du menu d’un restaurant avec des cannibales », conclut Fabrice Arfi.

Marie-Mène MEKAOUI et Inès FIGUIGUI /EPJT

[PORTRAIT] Nora Bouazzouni, un combat contre « le syndrome de l’imposteur »

Photo : Juliette HUVET-DUDOUIT/EPJT

Nora Bouazzouni, journaliste et écrivaine, évoque les difficultés à se sentir légitime durant son parcours et son changement de classe sociale.

Elle a le regard déterminé d’une femme qui a dû se battre toute sa vie pour grimper l’échelle sociale. Nora Bouazzouni, 38 ans, est journaliste freelance et écrivaine. En 2019, elle crée Paye ta pige, pour centraliser et partager les prix des feuillets. « Il y a quelques années, j’ai vu un de mes collègues qui obtenait ces informations sur son groupe Facebook de promo d’école de journalisme », s’emporte-t-elle.

En 2017, Nora Bouazzouni publie son premier livre, Faiminisme : quand le sexisme passe à table (ed. Nouriturfu). En 2023, elle en publie un troisième, Mangez les riches (ed. Nouriturfu). Cet ouvrage aborde la sociologie complexe du lien entre alimentation et revenus. Une victoire pour elle qui s’est longtemps privée de lire de la sociologie car elle se pensait trop peu intelligente. « La nourriture est un fait social, il y a toujours des choses à dire là-dessus, souligne cette passionnée. Lorsque je suis arrivée à Paris, je me suis rendu compte que le bon goût est celui des classes dominantes. »

Une sensibilité à l’injustice

Son père est ouvrier, arrivé d’Algérie en Picardie, sa mère assistante maternelle. Au lycée, elle quitte son établissement de secteur pour suivre une classe européenne. De cette époque, subsistent beaucoup de souvenirs amers. Elle se souvient d’un jour où ses amis lui ont proposé de manger au restaurant. Elle refuse et précise qu’elle n’en a pas les moyens. « Tes parents ne te donnent pas d’argent ? », rétorque l’une de ses camarades. La différence de réalités entre elles la foudroie et éveille une sensibilité à l’injustice qui ne l’a jamais quittée. « C’est à la fois un de ses défauts et une de ses qualités », affirme son compagnon. À l’aise et confiante dans la posture, Nora Bouazzouni est une femme de caractère. « Je suis arrivée à Paris en tant qu’étudiante en 2006 et j’avais l’échelon de bourse le plus élevé », explique la femme qui est aujourd’hui « une transfuge de classe », un terme employé par son compagnon, qu’elle réfute.

Après sa licence d’anglais, Nora Bouazzouni devient journaliste. Elle travaille pour Franceinfo, devient indépendante puis pige pour Mediapart et Libération. La Picarde se retrouve propulsée dans une catégorie sociale dont elle n’est pas issue. Plus de 15 ans après, Nora Bouazzouni déteste passer pour quelqu’un de privilégié et considère qu’elle a acquis un « bourgeois passing ». « Est-ce plutôt l’habitus, le cercle social fréquenté ou le quartier de résidence qui détermine l’appartenance à la bourgeoisie ? », se questionne-t-elle. Son sang ne fait qu’un tour lorsqu’on la renvoie à un élitisme qu’elle rejette.

Syndrome de l’imposteur

Pourtant, son entourage la ramène constamment à cette mutation sociale. La plupart de ses amis ne viennent pas du même milieu qu’elle : ils ont déjà un patrimoine, sont propriétaires ou ont fréquenté des écoles privées. Dans les rédactions, elle constate la permanente reproduction sociale sans oublier l’importante domination masculine. « La sacralisation du diplôme reconnu crée un véritable entonnoir. C’est dommage car les écoles de journalisme se privent de nombreux bons profils », regrette-t-elle.

Nora Bouazzouni s’est souvent sentie moins légitime, comme si son parcours atypique la plaçait en marge de la norme. « Pour beaucoup, ce n’est pas une question de légitimité, mais plutôt une interrogation sur qui détermine ce qui l’est et ce qui ne l’est pas », soulève-t-elle. Dans son histoire, le syndrome de l’imposteur est omniprésent, exacerbé par son expérience de vie qui l’a poussée à douter de ses compétences. « Aujourd’hui, ce n’est plus le cas », conclut-la journaliste, fièrement.

Juliette HUVET-DUDOUIT/EPJT

[PORTRAIT] Pepiang Toufdy, l’amour de l’image et de l’éducation aux médias

Pepiang Toufdy a installé le local de « La Fabrique d’Images citoyenne » dans le centre historique de Tours pour « faire sortir les jeunes des quartiers » Photo : Baptiste Villermet / EPJT

Pepiang Toufdy, cinéaste engagé, guide les jeunes des quartiers prioritaires vers l’expression narrative. Avec sensibilité, il forme une nouvelle génération à l’éducation aux médias à travers des projets comme Wanted TV. Son héritage, façonné par un parcours international, ouvre de nouveaux horizons cinématographiques.

Dans le monde du cinéma et de la réalisation, Pepiang Toufdy se tient comme un phare, guidant les jeunes des quartiers prioritaires vers la lumière de la narration. Sa silhouette, forgée par une sensibilité exacerbée aux récits humains, se dresse avec opiniâtreté et détermination. Tel un maestro, il dirige son orchestre d’idées et d’initiatives pour faire résonner la voix de jeunes qui ne se sentent pas toujours écoutés. « Les images diffusées à la télévision ne reflètent pas la réalité de ce qu’ils vivent », explique-t-il, conscient des ombres qui voilent le quotidien de ces habitants dans la presse traditionnelle. Sa critique reste nuancée, respectueuse du travail journalistique, mais il pointe les lacunes de la représentation médiatique de ces réalités.

 

À la tête de l’association Prod’Cité, il érige un pont entre les mondes, offrant aux jeunes la possibilité de s’approprier la caméra pour raconter leurs histoires. Dans ce laboratoire d’expression nommé La Fabrique des Images citoyenne, il forme les jeunes à l’éducation aux médias. Grâce à l’émission Wanted TV, en collaboration avec TV Tours et diffusée deux fois par an, les jeunes sélectionnés travaillent la maitrise de l’image et du journalisme. Pour Sébastien Brangé, journaliste indépendant et réalisateur, formateur à Wanted TV, « Pepiang veut favoriser l’accès aux médias. Il est très pédagogue et sait guider les jeunes puisqu’il connait bien ces quartiers ».

 

Une persévérance payante

Tenace et volontaire, Pepiang est à l’initiative de plusieurs projets qui se succèdent en France et ailleurs. Né à N’Djamena, capitale du Tchad, en 1988, il est resté très attaché à son pays d’origine, quitté à 15 ans pour aller étudier en France. Un an plus tard, il tombe amoureux du cinéma en participant à des ateliers à l’éducation audiovisuelle portés par Sans canal Fixe. Ses premiers pas sont une révélation. Lettres de l’étranger, son premier court-métrage, est un message d’amour à sa mère, un témoignage poignant de son arrivée en France. En 2013, son premier long métrage, Esclavage moderne de Fatou, a donné voix aux silences oppressants de l’injustice. Récompensé au festival Écrans Noirs au Cameroun, il a gravé son nom dans les annales du cinéma africain.

 

Pepiang ne s’est pas arrêté là. Il a érigé un temple dédié au septième art, avec le festival Toumaï Film International. Cette détermination lui a été transmise par des professionnels durant sa formation. Une formation qui l’a mené jusqu’en Chine, à la Beijing Film Academy. Il y a appris un nouvel aspect de l’écriture cinématographique et de la nécessité de faire du social dans son travail. Nicolas Sourisce, ancien directeur de l’EPJT, a été amené à collaborer avec Wanted TV et estime que « Pepiang est avant tout tourné vers l’aspect sociologique du documentaire.»

 

Camille Amara-Bettati

[PORTRAIT] Nelson Monfort, des terrains à la scène

Photo : Arthur Charlier/EPJT

Nelson Monfort, journaliste et commentateur sportif, prépare son clap de fin pour se consacrer à toutes ses autres passions. Retour sur un parcours marqué par quatre « H ».

Du courage, il en faut pour l’arrêter. Aussi bavard que téméraire, Nelson Monfort s’apprête à dire au revoir aux caméras après les Jeux olympiques de Paris cet été. Pourtant, à 71 ans, il n’est pas encore prêt à tirer sa révérence. Derrière sa personnalité unique et son hyperactivité, l’animateur vedette de France Télévisions prépare sa nouvelle vie sur les planches. Au sous-sol d’un hôtel parisien, Nelson Monfort se met en scène dans une salle de théâtre aux fauteuils en velours rouge, pour l’instant vacants. Une aventure qu’il vit avec son acolyte de toujours, le patineur, devenu commentateur, Philippe Candeloro. Quelques semaines avant la grande première, il revient non sans émotion sur 40 ans de carrière à la télévision.

Humanité. Plus jeune, il se destine à la communication et la publicité. Pourtant, à 35 ans, il entre à France TV. Nelson Monfort voulait travailler en extérieur, « aller à la rencontre des gens et devenir un passeur d’émotions ». Il continuera à le faire avec sa comédie. Entre deux répliques, le journaliste grisonnant s’assoit et se rappelle ses déboires maladroits. En 2012, il propose à une nageuse de dédier sa médaille à sa mère, décédée quelques mois plus tôt. Une question « pleine de compassion » qui l’a abimé : « Je me suis dit « we have a problem ». On m’a dit que j’exploitais sa détresse alors que c’était totalement l’inverse. Je l’ai très mal vécu. » L’émotion le prend, ça ne fait pas partie du spectacle. « C’est quelqu’un qui a le cœur sur la main », assure son grand ami, Philippe Candeloro.

Humour. Le célèbre Monfort doit une partie de son succès à ses plaisanteries raffinées et ses gaucheries. Il n’a d’ailleurs pas changé, puisque quand il s’agit de répéter sa pièce, trous de mémoire et rires intempestifs perturbent dès le premier acte. Déjà en 1995, alors que Michael Chang s’incline en finale du prestigieux tournoi de tennis de Roland Garros, Nelson entre en scène. « Ce jour-là, résonne un brouhaha. Je comprends qu’il remercie, après le match, un certain Luigi, le pizzaiolo du coin, enfin j’en sais rien. J’apprends après qu’il remercie Jésus après chaque match, explique le passionné de sport. Mais à l’antenne, on ne peut pas se contredire. Je me dis que je vais être viré. Finalement, 25 ans après, on en rigole encore. » Drôle, le commentateur l’est bien plus qu’on ne l’imagine, « on a l’impression que c’est un garçon un peu chicos, coinços à l’anglaise mais il rigole tout le temps », s’amuse Philippe Candeloro.

Humilité. Nelson Monfort a bataillé pour s’imposer. Quand il débute, l’héritage linguistique de son père américain et de sa mère néerlandaise lui permettent de couvrir de grandes compétitions. « En athlétisme, comme il y a davantage d’athlètes étrangers que français, il fallait parler anglais. I’m an American citizen so I can speak English very well. »

Toute sa vie, il a pratiqué le hockey sur glace, le ski, le tennis et la natation. Mais le patinage, jamais. Pour Paul Peret, rédacteur en chef adjoint à France TV, le célèbre commentateur a été assigné au patinage artistique notamment du fait de son attrait pour l’art : « Il va pouvoir parler de musique, de mouvements, c’est artistique donc il peut très bien en parler. »

Honnêteté. « Si tout était à refaire, je ne recommencerais pas. » Gorge nouée, anxieux, mains moites, l’icône de France TV n’oublie pas les « petites blessures qui [l]’ont marqué ». Nelson ne parle plus avec sa tête, c’est son cœur qui le fait. Pour lui, les réseaux sociaux ou « fléaux sociaux » ont créé un éloignement entre journaliste et athlète. Ça lui manquera, c’est certain, même s’il espère encore ajouter à son palmarès le Tour de France masculin. Loin de se tourner les pouces en attendant sa chance, monsieur Monfort s’adonne au théâtre. Pour celui qui adore chanter du Sinatra, ou les Beatles, « l’essentiel c’est de ne pas s’ennuyer  ».

 

Arthur Charlier et David Allias

[PORTRAIT] Elle prend la Une

Depuis l’affaire de la Ligue du LOL, Aude Lorriaux, porte-parole de l’association Prenons la Une est très sollicitée par les médias pour s’exprimer sur la misogynie.

 

Au lycée, mes copains m’appelaient parfois “le troisième sexe” », se souvient Aude Lorriaux. Si sa période de cheveux verts est révolue, son engagement lui, est resté intact. La journaliste de 36 ans milite aujourd’hui pour une juste représentation des femmes dans les médias et l’égalité professionnelle dans les rédactions. Depuis janvier 2018, Aude Lorriaux est porte-parole de l’association Prenons la Une, fondée quatre ans plus tôt par Léa Lejeune (Challenges) et Claire Alet (Alternatives Économiques). Celle qui préfère défendre une cause commune plutôt que d’évoquer sa propre expérience de cyberharcèlement se réjouit de la nomination de son association au Grand Prix des Assises du journalisme de Tours pour « son action en faveur de la parité, la lutte contre le harcèlement et la place des femmes dans les médias ».
Sensible aux questions d’injustice sociale depuis longtemps, Aude Lorriaux a finalement déjoué les pronostics parentaux qui voyaient en elle une avocate. Après le baccalauréat, elle s’oriente vers les classes préparatoires littéraires de Louis-le-Grand avant d’intégrer l’Institut d’études politiques de Lille, l’Institut français de presse (IFP) puis l’école de journalisme de Berkeley en Californie.

En avance sur son temps

En commençant à exercer comme journaliste en 2010, elle prend véritablement conscience du sexisme. La jeune journaliste couvre alors de nombreux sujets liés au genre (elle publie par exemple « Le petit garçon qui aimait les barbies », une enquête sur les enfants transgenres). Un domaine qui n’emballait pas ses collègues : « Toi, tu t’occupes que des clodos et des pédés », lui reprochait son rédacteur en chef de l’époque.
S’ensuivent des années à écrire pour différents supports, de La Croix au Point en passant par AFP Multimédia, AFP TV et Fluctuat.net. Avec comme fil rouge les discriminations. Celles basées sur l’âge attirent notamment son attention. Pendant plus d’un an, Aude Lorriaux va dédier un podcast à ce sujet sur Nouvelles Écoutes intitulé « Vieilles Branches ». Deux fois par mois, elle rend visite à des personnalités de plus de 75 ans. Le tout premier épisode d’un nouveau podcast de Slate.fr, le « Deuxième texte », est sorti début mars. Elle y décortique avec Nassira El Moaddem et Marie Kirschen les livres qui font l’actualité féministe. Si la lutte pour plus d’égalité est au cœur de son travail depuis longtemps, la révélation de l’existence de la Ligue du LOL, il y a un mois, intervient comme un « accélérateur » dans le combat de la journaliste. « Il y a dix ans, ça n’aurait même pas été traité. Là, on a vu énormément de réactions s’emparer du sujet » , se réjouit-elle.

Prise de parole

À la question de savoir si le monde journalistique est plus touché que d’autres secteurs par les discriminations liées au genre, la diplômée d’une licence de philosophie répond que le sexisme est présent partout : « Récemment, des affaires ont été révélées chez les pompiers ». Avant d’ajouter que « dans les sphères à responsabilité sociale, il est encore plus nécessaire de montrer l’exemple ». Elle l’explique dans un essai, cosigné avec l’historienne Mathilde Larrère, Des intrus en politique : femmes et minorités : dominations et résistances, paru en 2018. Le chemin est encore long, à en croire les résultats de la consultation en ligne lancée par Prenons la une, Nous toutes, et Paye ton journal, publiés en mars. Deux tiers des femmes y ayant participé affirment avoir été victimes de propos sexistes au sein de leurs rédactions. L’auteure de 266 articles pour Slate estime toutefois que les choses avancent dans le bon sens. « On assiste à une évolution sociétale globale : actuellement, trois quarts des Français âgés de 16 à 25 ans se disent féministes. » Reste à le prouver dans les actes.

Melena HÉLIAS

[PORTRAIT] Ariane Chemin, femme du Monde

Il est 11 h 10, ses talons claquent sur le sol de la rédaction du journal, qu’elle traverse d’un pas décidé. Ariane Chemin est difficile à suivre, sans cesse en mouvement.  Un rapide passage à son bureau, « banal » comme elle le qualifie, qu’elle partage avec Florence Aubenas ou son amie Raphaëlle Bacqué.

Au journal Le Monde, elle fait partie de la famille des « grands reporters », mais elle, se définit simplement comme « journaliste ». Pour Ariane Chemin, le travail est le même : « Je n’aime pas certaines oppositions que l’on fait. Cela me parait étrange de toujours vouloir faire ces distinctions. Pour moi, ce qui fait la qualité d’un journaliste, c’est sa curiosité et sa volonté permanente de vouloir sortir des informations. »

Le goût du terrain

Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué présideront cette année le jury des Assises internationales du journalisme. Habituées à écrire à quatre mains pour Le Monde ou pour des livres, elles n’ont pas choisi le thème par hasard : « S’intéresser à la contestation envers les médias nous semblait pertinent, car c’est un phénomène nouveau. Selon moi, le déclencheur a été la dernière élection présidentielle. Certains candidats ont beaucoup critiqué la presse. C’était la première fois que cela arrivait dans une présidentielle », explique Ariane Chemin. Mais pour la journaliste, cela va même au-delà de la simple défiance : « Tout cela participe selon moi à la  montée d’un climat populiste qui ne se limite pas qu’à la France. »

Ariane Chemin est une femme de terrain. Après sept ans au service politique du Monde, sa curiosité la pousse à partir, mais jamais très loin de sa « deuxième maison ». Elle intègre le service grands reporters du journal en 2002 : « J’avais envie de découvrir d’autres choses. Certaines personnes sont plus heureuses en restant dans un domaine qu’elles connaissent, ce n’est pas mon cas. »

Aujourd’hui, elle traite de tous les sujets, sur tous les terrains, et elle aime ça. « Ce qui la caractérise, c’est son éclectisme. Elle aime aussi bien écrire sur la Corse ou sur les coulisses de l’élysée que sur le passage d’un ouragan », confie son amie de longue date et collègue Raphaëlle Bacqué.

Parfois, son travail l’amène un peu plus loin qu’elle ne l’avait imaginé. Le 18 juillet dernier, la journaliste publie dans Le Monde une enquête qui identifie Alexandre Benalla prenant à partie des manifestants place de la Contrescarpe à Paris. Le premier article d’une longue série… « Personne n’avait compris à ce moment qu’Alexandre Benalla n’était pas seulement l’homme qui usurpait une  fonction, mais qu’il était aussi un personnage au cœur de l’Elysée. Au fond, c’est une affaire qui raconte le fonctionnement d’un pouvoir. »

Un combat

Au fil des années, la femme de terrain est aussi devenue une femme de combats. En 2012, dans une série consacrée à l’histoire de son journal, Ariane Chemin revient sur l’année 1978, celle où Le Monde avait offert une tribune au négationniste Robert Faurisson. Un peu plus tard, l’article est repris dans le livre Le Monde, 70 ans d’histoire et le négationniste décide d’attaquer Ariane Chemin et le journal en justice pour diffamation. La journaliste gagnera son procès. « C’est l’une des choses dont je suis la plus fière », confie-t-elle.

En racontant son histoire, elle paraît très calme. Mais son regard, lui, ne perd jamais de sa force. Vincent Martigny est l’un de ses amis proches. Ensemble, ils ont animé pendant un an l’émission « L’Atelier du pouvoir » sur France Culture. Il se souvient du jour du procès : « J’ai vu quelqu’un de très différent de la personne que je voyais tous les jours. Une femme tenace et déterminée à ne pas laisser le mensonge l’emporter. »

Emmanuel Haddek Benarmas 

Roselmack, l’électron libre

Journaliste, réalisateur, entrepreneur… Harry Roselmack a plusieurs casquettes. (Photo : Lucie Rolland)

Harry Roselmack, président du jury des Prix éducation aux médias et à l’information, revient avec humilité et pragmatisme sur son parcours.

(suite…)