[DÉCRYPTAGE] Photojournalistes en PQR, un déclin qui désole

Les jeunes journalistes sont de plus en plus formés à la photographie, pour pallier le manque de photographes dans les rédactions. Photo : David Darrault

La profession de photographe de presse est une profession qui subit de plein fouet la révolution numérique et les difficultés économiques de la presse écrite. A tel point que beaucoup d’emplois en Presse quotidienne régionale ne sont pas remplacés.

Le prix public 2024 de la meilleur photo de presse récompense le sport. Un peu comme un symbole, c’est le dernier domaine où les photojournalistes gardent une importance essentielle aux yeux des rédactions. Et pour cause, « les contraintes de zoom et de luminosité que gèrent difficilement les téléphones », assure Hugues Le Guellec, photojournaliste à la Nouvelle République depuis 34 ans et secrétaire du CSE (Comité social et économique).

En 2000, ils étaient près de 1 400 reporters photographes titulaires de la carte de presse délivrée par la CCIJP (Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels). En 2022, ils n’étaient plus qu’entre 300 et 450 titulaires. Une baisse drastique qui s’explique de différentes façons.

La première, plus pragmatique, serait de dire que les photojournalistes diversifient de plus en plus leur activité, ce qui ferait passer leur revenu journalistique en dessous de la barre des 50 % des revenus totaux, nécessaires pour avoir la carte de presse. C’est une réalité pour certains, mais qui s’explique par un contexte de paupérisation de la profession. « Être exclusivement photojournaliste aujourd’hui, ce n’est plus viable économiquement. Il faut chercher des revenus ailleurs », témoigne Régine Lemarchand, correspondante pour le Courrier de l’Ouest. Les reporters photographes se trouvent même tout en bas de la grille des salaires des journalistes, juste au-dessus des stagiaires.

Non remplacements de départs à la retraite

Mais cette raison est loin d’expliquer cette forte baisse. Elle est aussi lié à une véritable diminution du nombre de photojournalistes dans les titres de presse, notamment en presse quotidienne régionale (PQR). « La presse écrite souffre terriblement économiquement et, malheureusement, ce sont en général les photographes qui en paient le prix », déplore de son côté Philippe Bachelier, responsable de l’Union des photographes professionnels. « Les journalistes sont formés à la photographie et sont, pour beaucoup, capables de prendre de très bonnes photos », répond de son côté Luc Bourrianne, rédacteur en chef de la Nouvelle République à Tours. « Avec les téléphones d’aujourd’hui, on peut faire de super photos. En plus de cela, certains journalistes ont l’œil du photographe », confirme Régine Lemarchand.

Luc Bourrianne évoque également le budget alloué au matériel des photographes, « 40 000 € pour l’année 2024 ». Dans un secteur en « difficulté chronique », les photos ont un coût. « Il y a 15 ans, on était 25 photoreporters au journal. Aujourd’hui, on n’est plus que 7 et il n’y a plus de service photo dans la rédaction », rappelle Hugues Le Guellec. Ce ne sont pas tant des suppressions d’emplois qui ont lieu, davantage des non remplacements. Un photographe à Niort est par exemple parti à la retraite et n’a pas été remplacé.

Vulgarisation de l’image

Une situation qui remet en cause l’importance de l’image dans les articles. « Pour moi, la photo est au même niveau que l’article, ce n’est pas juste une illustration, c’est un élément d’information », raconte Lisa Darrault, pigiste pour la Nouvelle République. Son collègue, Hugues Le Guellec, poursuit : « La photo peut même avoir plus de valeur que le texte, c’est l’entrée dans l’article, l’accroche visuelle. » Beaucoup de photojournalistes mettent en avant le savoir-faire, comme Philippe Neu du Républicain Lorrain et élu CFDT : « Être photographe c’est un vrai métier. On ne fait pas des photos, mais on fait LA photo. »

Malgré ces arguments, de plus en plus de journalistes prennent les photos eux-mêmes. Le célèbre tandem rédacteur-photographe se perd, emportant avec lui la qualité des photos. « Quand on est en binôme, on est chacun concentrés sur notre tâche. On peut même se compléter et apporter des éléments que le rédacteur n’avait pas vu. Puis, ça évite d’avoir des photos faites au dernier moment, qui ne sont pas soignées et réfléchies », confie Lisa Darrault. « Il y a une sorte de vulgarisation de l’image. C’est du gâchis. On abandonne la photo alors qu’elle est essentielle », ajoute, dans un triste constat, Philippe Neu. Le rédacteur en chef de la Nouvelle République ne fait pas le même constat : « Les photos d’il y a trente ans n’étaient pas forcément meilleures. Du moins, pas autant que l’on veut le faire croire. »

Se posent donc la question de l’avenir de la profession. Si l’IA n’est pas une menace pour tous, « la presse quotidienne régionale, c’est de l’humain, du réel. L’IA ne pourra jamais remplacer ça », souligne Régine Lemarchand. Les photographes se posent tout de même des questions : « À chaque fois que je me déplace, je me demande comment je peux faire mieux qu’avec un IPhone. On peut jouer sur l’aspect artistique, sur de la créativité. Mais c’est clair qu’il faut qu’on se renouvelle », poursuit-elle. Luc Bourrianne évoque ces changements : « Il faut que les photographes basculent sur de la vidéo, en tout cas c’est ce que je leur demande. L’avenir de l’image se trouve là. »

 

Florian Pichet/EPJT

[REPORTAGE] Banquet journalisme et citoyenneté : au coeur d’une rencontre entre deux mondes

Au Bateau Ivre, cent personnes se rencontrent autour d’un repas, pour débattre sur le journalisme. Photo : Rhaïs Koko/EPJT

À l’occasion des Assises du journalisme de Tours, un banquet spécial a été organisé pour permettre à une centaine de journalistes et de citoyens d’échanger. Les débats ont été animés.

« Les journalistes ne cherchent plus à faire du contenu informatif, mais spectaculaire ». Jean-Loup, médecin du sport de 63 ans, est catégorique. Lorsqu’il a reçu son invitation, il n’a pas hésité une seconde à venir rencontrer des journalistes au Bateau Ivre, mercredi soir. A l’occasion des Assises du journalisme de Tours, 100 personnes, journalistes ou citoyens, se sont retrouvées pour débattre sur le journalisme, le temps d’un dîner. Objectif : « Faire se rencontrer deux mondes qui ne se comprennent pas toujours », explique Lucile Berland, journaliste indépendante et animatrice du banquet.

Entrée, plat, dessert, à chaque moment du repas, une question pour débattre : « En quoi le journalisme vous est utile ? », « En quoi le journalisme peut être inutile ou pas à la hauteur ? » et « En quoi pourrions-nous vous être plus utiles demain ? ». Tous changent de table entre chaque plat « afin de recueillir un maximum d’opinions », continue Lucile Berland.

Ce mercredi soir, les participants se font donc face sur des tables rondes couvertes de nappes blanches. Du vin blanc ou du vin rouge ; la parole est déliée. Lionel, 40 ans, travaille dans le secteur audiovisuel. Il s’informe quotidiennement, principalement via la télévision. Pour lui, « un journaliste n’est utile que lorsqu’il est objectif. » Un avis que ne partage pas Alexandre, son compagnon de table, journaliste. « Il est souvent difficile, quasi impossible, de ne pas donner ou suggérer son avis, rétorque-t-il. Le plus important est de ne pas déformer les faits et de les replacer dans leur contexte. » 

Journalistes anxiogènes

Sur une autre table, une infirmière de 37 ans, relativise. « Il ne faut pas oublier que les journalistes sont des hommes et des femmes orientés par leurs sentiments, déclare-t-elle. Chacun fait de son mieux. » Mais Lucile Berland assure qu’il y a « parfois une timidité des citoyens à dire que les journalistes sont des pourris ». Alors place au plat, ou plutôt au « plat de résistance des journalistes face aux critiques », comme elle le surnomme alors qu’elle prend le micro pour résumer la tonalité des avis des citoyens. Selon certains, le journalisme leur est inutile car les journalistes montent des sujets en épingle, sont anxiogènes et trop tournés vers les problèmes. Bref, une course permanente au buzz.

Un avis émerge. Les journalistes gagneraient à faire davantage de journalisme de solution et à aller toujours plus loin dans l’investigation, au lieu de relater en boucle des faits stériles. Yves, journaliste de 65 ans, est sans langue de bois et catégorique. Derrière sa longue moustache blanche, il affirme : « J’étais à Radio France lorsque Franceinfo est née. Nous étions plusieurs à suggérer à nos chefs de créer dans l’information en continu des thématiques où les sujets sont approfondis. Mais parce que le journalisme est aussi une économie, ils préféraient survoler l’information et la rabâcher pour faire de l’argent. » Ce système l’exaspère. Au Bateau Ivre, nombre de citoyens le sont également.

Pour Anaïs, le journalisme sera plus utile lorsque l’information sera traitée sous tous les angles. La jeune femme de 27 ans déplore le fait de devoir s’informer via plusieurs médias pour avoir différents points de vue, raison pour laquelle elle n’est abonnée à aucun d’entre eux. Yves lui dit que c’est impossible, car l’information est trop large et que le journalisme est surtout une affaire de choix. « Mais choisir, c’est renoncer au détriment de ceux qui n’ont pas conscience qu’il faut maximiser ses canaux d’informations », observe Anaïs.

Et les masques tombent

« Ce concept de réunir des gens autour d’un repas est inspiré des banquets républicains de l’Ancien Régime et permet de délier les langues, car tout le monde est mis en même niveau », se réjouit Lucile Berland. Pour elle, nul doute de la nécessité d’une telle rencontre entre journalistes et citoyens défiants. « C’est l’endroit où une colère, une frustration ou une incompréhension doit pouvoir s’exprimer, reprend-elle. Il faut un dialogue pour que les masques tombent de part et d’autre. »  

Les invités approuvent. En fin de cérémonie, certains parlent déjà de retenter l’expérience qu’ils qualifient d’utilité publique. C’est une évidence pour Sylvie, 54 ans qui cite Alfred Sauvy : « Bien informés, les hommes sont des citoyens; mal informés, ils deviennent des sujets. » 

Rhaïs Koko/EPJT

[ENQUÊTE] Quelle couverture médiatique pour Gaza ?

Le photojournaliste gazaoui Motaz Azaiza à Gaza le 8 octobre. Il publie cette photo dans un post Instragram dans lequel il précise « Je suis disponible pour des missions ». Photo : Motaz Azaiza/Instagram.

Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier, les médias français couvrent la situation en Israël et dans les territoires palestiniens. Mais l’impossible accès à la bande de Gaza et le déséquilibre entre les moyens de communication du gouvernement israélien et des Gazaouis complique le travail. 

Fake news autour des 40 bébés décapités par le Hamas le 7 octobre, incertitude quant à l’origine de l’explosion de l’hôpital al-Ahli : ces deux exemples illustrent la difficulté rencontrée par les médias pour recouper l’information dans ce nouvel épisode du conflit israélo-palestinien.

Sans accès à la bande de Gaza – hormis sous la surveillance et avec l’autorisation de l’armée israélienne, les journalistes sont contraints d’adapter leur pratique pour continuer d’informer. « Nous avons étoffé notre cellule de vérification des images, explique Guillaume Debré, directeur adjoint de la rédaction de TF1. Les images que nous trouvons sur les réseaux sociaux, par exemple, y sont toutes analysées avant diffusion. » Un moyen d’éviter le relais de fausses informations autant que de pallier le manque de correspondants sur place.

Pour Patrick Sauce, du service international de BFM TV, cette authentification des images reste insuffisante. « Les images relayées par les civils ou les journalistes depuis l’intérieur de Gaza sont sujettes à la pression du Hamas. Je ne remets pas en cause le travail de tous mes confrères mais les erreurs d’attribution de l’explosion de l’hôpital al-Ahli prouvent qu’il faut se méfier des images filmées sur le terrain. » Questionné sur les images filmées par les Gazaouis et relayées par des médias comme Al-Jazeera, il questionne à son tour les moyens employés par la chaîne. Et évoque les contrats d’exclusivité d’autres chaînes qui lierait les correspondants gazaouis à certains médias.

Un biais dans la couverture médiatique ?

Patrick Sauce admet néanmoins un déséquilibre dans cette guerre de l’information. « Israël a la 5G, c’est le pays de la tech. Ils ont les moyens techniques pour communiquer. Alors qu’aujourd’hui, sans électricité, les Gazaouis peinent ne serait-ce qu’à envoyer des messages vocaux. »

Pour autant, il ne ressent pas le malaise de certains journalistes de la rédaction de TF1 elle-même, que décrivait un article du média en ligne Blast en novembre dernier. « J’ai un peu de mal avec l’idée que nous aurions un biais pro-israélien dans notre couverture, estime Patrick Sauce. Nous avons fait des reportages sur les enfants palestiniens réfugiés en France et nous parlons souvent de l’extrémisme de Benyamin Netanyahou en plateau. S’il existe un biais, il est plutôt en défaveur des Israéliens pour lesquels l’opinion a perdu en empathie. »

Un argument qui ne convainc pas Daniel Schneidermann, fondateur du média en ligne Arrêt sur images. « Il existe un biais presque irrésistible qui ne relève pas de l’intention mais plutôt de la proximité globale des médias traditionnels avec Israël. » Il dénonce ainsi un « deux poids deux mesures » dans le choix des mots utilisés par les journalistes. Tandis que les agences de presse internationales différenciaient les « civils » des « soldats » israéliens tués par le Hamas le 7 octobre, les pertes du côté palestinien dans la réplique du 8 octobre restaient indéfinies.

« Rester honnête »

Mais d’où viendrait ce biais, si tant est qu’il existe ? « Les Israéliens sont plus proches culturellement des Occidentaux, avance Daniel Schneidermann. Ils ont une démocratie comme nous, une presse libre d’expression et une société civile qui critique le pouvoir. Il est plus aisé de s’identifier à eux qu’aux Palestiniens.»

Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique et fondateur du magazine Orient XXI, confirme : « Les médias parlent souvent du nombre de Palestiniens tués, mais il est difficile de s’identifier à un chiffre. Il nous faut des histoires, des portraits de famille pour comprendre ce que signifie 20 000 morts. » Diplômé de l’Ecole des hautes études en sciences sociales et spécialiste de la question israélo-palestinienne, il relève aussi un changement dans la lecture du conflit. « Depuis 2001 et le début d’une lutte mondiale contre le terrorisme, la lutte palestinienne est davantage perçue comme un phénomène terroriste par les pays occidentaux. En France, le gouvernement est passé d’un rôle de négociateur, voire de soutien aux revendications des Palestiniens, à un soutien affiché à Israël. » Et Daniel Schneidermann de compléter : « Dans toute guerre, les médias ont tendance à épouser la position diplomatique de leur pays. »

Une affirmation que réfute Patrick Sauce, qui insiste sur sa connaissance du terrain. Comme en écho, Guillaume Debré rappelle le nombre de journalistes de guerre dans sa rédaction. « Il faut avant tout traiter les faits et ne pas tomber dans l’éditorialisation. Rester honnête. » Un objectif que tous partagent. Encore faudrait-il s’entendre sur la définition du terme…

Mourjane Raoux-Barkoudah/EPJT

[DÉCRYPTAGE] Le sport, ce levier indispensable pour la survie de la PQR

La Nouvelle République s’appuie sur un cahier des sports chargé quand arrive le week-end. Photo : Julien Grohar/EPJT

Pour la presse régionale, le sport reste un des déclencheurs importants de vente. Les compétitions amateures conservent un lien de proximité, là où les rédactions s’appuient sur les performances des clubs professionnels de leur région.

Au milieu de toutes les difficultés que connaît la presse quotidienne régionale (PQR), le domaine du sport semble être encore l’un des piliers qui assure les ventes. D’après un rapport de 366, la régie publicitaire principale de la PQR, 700 000 articles de quotidiens régionaux dédiés au sport ont été publiés entre mai 2022 et mai 2023, dont 270 000 articles numériques.

Selon Frédéric Launay, responsable du service des sports à La Nouvelle République, le sujet demeure « un important déclencheur d’achat pour le print et de consultation pour le web ». Le service des sports est l’un des plus importants de la rédaction, avec une vingtaine de journalistes permanents, auxquels s’ajoutent un réseau d’au moins une cinquantaine de correspondants. Une logique similaire à Sud-Ouest, comme l’explique Frédéric Laharie, responsable des sports du quotidien : « Le sport, c’est entre 10 et 16 pages sur des journaux de 38 pages, les samedi, dimanche et lundi ». Il dirige une équipe de neuf journalistes permanents à Bordeaux.

Une couverture exclusive

Les quotidiens régionaux peuvent s’appuyer sur un lectorat intéressé par l’actualité des sports amateurs et aussi sur une couverture exclusive des équipes de référence dans leurs régions respectives. Mais quand l’équipe en question connaît des mauvais résultats, la rédaction peut en subir les conséquences. Cela a été le cas à La Nouvelle République, après la relégation administrative du Tours FC en Nationale 3, cinquième niveau du football français, le club étant habitué a évolué en Ligue 2, voire en Ligue 1 dans ses plus belles heures.

« Cela a forcément eu un impact sur nos ventes », confie Frédéric Launay. Pour autant, ça n’a pas empêché le quotidien de se renouveler dans le sport : « On donne plus de place aux autres disciplines qui marchent, comme le volley, le handball ou le basket. Ces clubs ont en quelque sorte bénéficié des mauvais résultats du Tours FC ».

Se renouveler grâce au sport

La dynamique aurait pu être similaire à Sud-Ouest, avec la relégation des Girondins de Bordeaux, club phare de la région, en Ligue 2. Cependant, le quotidien couvre les Girondins « comme s’ils étaient en Ligue 1 », affirme Frédéric Laharie. « On a toujours de très bonnes audiences pour les papiers sur les Girondins car il se passe toujours quelque chose. Les chiffres sont presque meilleurs aujourd’hui que quand ils étaient bloqués dans le ventre mou de la Ligue 1. »

Le quotidien girondin peut aussi compter sur un lectorat assidu au niveau du rugby : sa couverture s’étend sur neuf équipes professionnelles, avec un dispositif important à chaque match de l’équipe de France. « Les unes de sport font vendre : l’année dernière, la une la plus vendue était celle sur un match de rugby France-Angleterre », souligne Frédéric Laharie.

Désormais, l’enjeu pour les quotidiens régionaux est de se renouveler et cela passe aussi par le sport. Le lectorat sportif s’exporte de plus en plus sur le web, « et pas seulement les jeunes » selon Frédéric Launay. Le journaliste de sport l’affirme, « il faut aller chercher les jeunes lecteurs, sans perdre les fidèles du papier. Cela passe par la couverture de compétitions moins conventionnelles ou des nouveaux formats par exemple sur les réseaux sociaux. »

De nouveaux formats à imaginer

Sud-Ouest s’est déjà lancé dans ce domaine : création d’un compte X spécialement dédié aux sports, un autre uniquement pour les Girondins de Bordeaux. « On a également une newsletter rugby qui compte entre 45 000 et 50 000 abonnés », se félicite le responsable des sports. Le quotidien réalise de plus en plus de lives, parfois même pour des matchs amateurs, « parce que la demande existe. »

Et puisque les quotidiens régionaux cherchent à diversifier leurs activités, le sport est aussi utilisé à des fins économiques. La Nouvelle République et Sud-Ouest financent tous les deux des événements sportifs d’ampleur, respectivement le marathon de Tours et le Lacanau Pro Océan. Des vitrines pour les deux quotidiens, qui en plus d’y retrouver des avantages pécuniaires, mettent en valeur leur nom, devenu une véritable marque.

 

Hugo Laulan/EPJT

[DÉCRYPTAGE] Gaze, la presse féministe qui casse les codes

Photo : Capture d’écran 

Gaze est un magazine féministe et engagé qui revendique sa subjectivité. La ligne éditoriale est assumée, l’objectif est d’en finir avec les stéréotypes et de faire un travail journalistique collaboratif.

 

La Deferlante, Gaze, Censored : depuis 2020, un nouvel air souffle sur la presse féminine. Plus osée, plus affirmée, plus créative… Celle-ci se renouvelle pour correspondre à un nouveau public, jeune et militant. Gaze, magazine féministe exclusivement rédigé par des femmes et des personnes non-binaires a été créé en 2020. « Notre mission éditoriale consiste à promouvoir les regards subtils dans leur diversité, assume Clarence Edgar-Rosa, la co-fondatrice du magazine. Nous sommes avides de perspectives subjectives, car la manière dont nous abordons un sujet est aussi cruciale que le contenu que nous partageons. » 

Chaque article est écrit à la première personne du singulier. Cela permet aux journalistes de conserver leur point de vue tout au long de l’article. Du côté de la photographie, le magazine adopte une démarche similaire et met en avant les liens personnels entre le/la journaliste et la personne interrogée.

Contrecarrer l’entre-soi

« Nous rejetons l’idée de l’objectivité absolue et obligatoire, déclare Clarence Edgard-Rosa. C’est pour nous une illusion. Selon nous, ce n’est pas anti-déontologique d’agir ainsi, puisque nous restons tout de même transparents. C’est plutôt un parti pris. » Le processus éditorial est collaboratif. Depuis sa création en 2020, la rédaction choisit collectivement les thèmes de chaque numéro et engage des journalistes qui connaissent les réalités des sujets qu’ils traitent.

Le but est d’encourager la diversité des lecteurs et contributeurs. La volonté est de contrecarrer les tendances d’entre-soi dans le journalisme et de permettre à une variété de voix de s’exprimer. Un de ses principaux défis est de rendre Gaze accessible à un public diversifié. « Nous avons remarqué un désintérêt chez certains hommes pour nos sujets, mais nous espérons attirer leur attention grâce à la photographie notamment », souhaite Clarence Edgar-Rosa.

Changer les codes

D’après la sociologue spécialiste du rapport du féminin et du masculin, Christine Castelain-Meunier, ce qui se démarque dans le paysage médiatique actuel, c’est la capacité de ces rédactions à présenter l’information avec une analyse personnelle. Cette évolution vers une information non formatée contribue justement à combattre les clichés et à contrecarrer une presse féminine qui jusqu’alors perpétue un schéma patriarcal.

« Par exemple, Elle, en sollicitant des actrices grand public, communique avec les femmes à travers des stéréotypes, estime la chercheuse. A contrario, le nouveau type de presse féminine veut changer les codes. » Les jeunes cherchent à s’identifier et à trouver des résonances à travers des journalistes qui se caractérisent par leurs différences et qui leur parle directement. Et revendiquent désormais le besoin de médias qui partagent leurs ressentis.

Juliette HUVET-DUDOUIT

[ENQUÊTE] Ces médias citoyens veulent porter la voix des quartiers populaires

L’Association intergénérationnelle de La Rabière est une radio locale de Joué-lès-Tours qui se veut collaborative. Nezrina Prelic, Sylvie Aliti, Karim Arbia et Bertino Pinas sont au micro. Photo : Julien Grohar/EPJT

Dans les médias, les quartiers populaires sont régulièrement racontés sous l’angle du fait divers. A Tours, des médias citoyens tentent de porter la voix des quartiers.

Depuis l’arrêt de tram Jean-Jaurès, au cœur de Tours (Indre-et-Loire), cinq minutes de transport suffisent pour arriver au Sanitas. Rien de plus simple, mais il semblerait que les journalistes trouvent difficilement leur chemin jusqu’à ce quartier populaire du centre-ville. Ingrid Chemin, employée au centre social Pluriel(le)s, le déplore. En juin 2023, lorsque les premières révoltes urbaines gagnent Tours, après la mort de Nahel Merzouk, son lieu de travail menace d’être incendié. Elle s’apprête à partir lorsque des journalistes de La Nouvelle République (NR) débarquent pour couvrir l’événement. Lorsque le calme revient, aucun reporter ne songe à l’interroger. Elle regrette que le journal ne vienne « que quand ça crame ». Excepté les faits divers, « il peut se passer des semaines sans que l’on entende parler du Sanitas ».

De l’autre côté du Cher, Burhan Aliti fait un constat similaire. Président de l’Association Intergénérationnelle de la Rabière, il a été marqué par le traitement médiatique d’un fait divers qui a touché son quartier de Joué-lès-Tours en 2014. Un jeune homme qu’il connaissait a été tué par des policiers après les avoir attaqués au couteau. BFMTV avait diffusé des témoignages de personnes se présentant comme amies du défunt. Sur la seule vidéo trouvée sur la chaîne YouTube de la rédaction, le visage du témoin est dissimulé et sa voix modifiée, mais Burhan Aliti est catégorique : « Ce n’était pas ici, ce n’est pas notre quartier, ce n’est pas dans Joué-lès-Tours. » Pour parler de juin 2023, il ne révoque par le terme d’émeutes car « ce qu’il s’est passé, c’est de l’auto-destruction […] c’est une émotion ». Il déplore en revanche que les médias ne se soient pas davantage penchés sur la dimension sociale de l’événement, rapportant essentiellement les scènes de violences et les classant dans la rubrique faits divers. « C’est comme si vous aviez quelqu’un dans votre salon qui était en train de se tailler les veines et que vous détourniez le regard », illustre-t-il.

À La Rabière, les habitants ont rebaptisé le quotidien régional « La Nouvelle répugnante » et détournent globalement leurs regards des colonnes du journal. Le manque de points de distributions de la presse papier dans les quartiers populaires et le coût du journal à l’unité (1,50 €) ou à l’abonnement (40,70 € par mois pour le print et le web) s’ajoutent à une confiance en déclin. Les quartiers populaires de la métropole tourangelle ne sont pas censés passer sous les radars de ce journal. Alexandre Métivier, journaliste pour les pages de Joué-lès-Tours de la NR, se défend : « Ceux qui pensent que la NR vient uniquement lorsque les voitures brûlent sont ceux qui ne lisent pas le journal. » Le reporter reconnaît toutefois ne « pas avoir accès à tous les interlocuteurs » lorsqu’il se rend sur le terrain, car « beaucoup de personnes ne souhaitent pas répondre aux journalistes. »

Des représentations négatives

Pour Sarah Rétif, sociologue à l’université de Tours spécialiste de l’engagement des femmes dans les quartiers populaires, « les médias classiques entretiennent des représentations négatives, stéréotypées autour de l’idée d’anomie, de dangerosité, de délinquance ou même de montée du communautarisme et de l’islamisme ». Sanitas comme La Rabière sont classés quartiers prioritaires de la métropole de Tours. Ils abritent une forte densité de population aux revenus proches du seuil de pauvreté. La spécialiste précise que la stigmatisation des quartiers populaires est aujourd’hui « contestée par les travaux sociologiques qui montrent justement l’épaisseur sociale et historique de ces quartiers ». Pour inverser la tendance, améliorer l’image de leurs quartiers et se réapproprier l’espace de parole, des habitants prennent part à des initiatives de médias participatifs. Pepiang Toufdy, le fondateur du média citoyen Wanted TV, a mis un point d’honneur à installer son nouveau projet dans un grand appartement du centre historique de Tours : « Je veux que les jeunes sortent des quartiers. »

Sa Fabrique d’images citoyenne va proposer des ateliers d’éducation aux médias (ÉMI). Il a envie d’aller plus loin, en aidant les jeunes à « mieux comprendre la fabrication médiatique. » Wanted TV est un média aux 17 000 followers sur Instagram, à la ligne éditoriale urbaine, qui comble ce que son créateur décrit comme un vide : « Les médias ne sont pas partout. Ils ne peuvent pas tout couvrir. Donc il fallait avoir un média de proximité. » Ce média diffuse aussi sur TV Tours des reportages réalisés tout au long de l’année par ces jeunes, accompagnés d’un journaliste reporter d’images.

Journal de quartier

De l’autre côté de la gare, autour de la place Neuve et des grands ensembles, Ingrid Chemin et d’autres travailleurs sociaux ont repris « le journal de quartier », le Sanitamtam, qui existe depuis 20 ans. L’objectif est de publier quatre numéros par an pour couvrir l’actualité du Sanitas différemment. Cependant, le manque de budget, les difficultés à trouver des contributeurs et des lecteurs rendent la cadence difficile à tenir. « Les médias citoyens restent fragiles car soumis à des subventions publiques aléatoires », explique la sociologue Sarah Rétif. Malgré le manque de moyens, la volonté du monde associatif de porter la parole des habitants a continué de s’amplifier depuis juin 2023. À La Rabière, Burhan Aliti envisage aussi de mener des projets avec Pepiang Toufdy et tente de faire vivre une webradio de quartier ouverte à tous. Entre médias citoyens, la solidarité prévaut sur la concurrence. « On a trop souvent parlé à notre place, dit-il. Il fallait être notre propre média. »

 

Camille AMARA, Susie BOUYER et Marie-Camille CHAUVET/EPJT

[ENQUÊTE] Public visé, rentabilité… Les médias face au dilemme de l’esport

Les évènements d’esport rassemblent des dizaines de milliers de personnes de façon constante. Photo : Flickr/EPJT

L’esport est un domaine en pleine explosion mais il peine encore à s’affirmer dans les rédactions de presse nationale. De leur côté, les grands médias adoptent des stratégies qui divergent.

50 000 billets en quatre jours, 12 000 spectateurs pour la finale à Bercy, victoire d’une équipe française… Mais seulement 200 signes dans le journal l’Équipe du 22 mai 2023. Avec de telles statistiques, n’importe quelle compétition sportive aurait bénéficié d’une couverture spéciale. Du moins n’importe quelle compétition de sport traditionnel… Car ces chiffres, ce sont ceux de la finale du major de Counter-Strike à Paris en mai dernier. Si l’esport a déjà conquis un public large, les grands médias de presse nationale peinent encore à y accorder un suivi conséquent.

Il serait faux de dire que ces derniers ne sont pas sensibles au raz-de-marée que représente l’esport. La finale du major représente même un marqueur de ce développement, que ce soit du point de vue des publics, mais aussi des médias. Plusieurs journalistes, y compris des rédacteurs en chef – à l’Équipe, au Monde ou au Figaro – témoignent de l’importance de l’évènement : « Il faut le voir de ses propres yeux pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène et de la popularité des joueurs », raconte Paul Arrivé de l’Équipe, seul journaliste 100 % esport dans les médias de Presse quotidienne nationale (PQN).

L’esport comme laboratoire

Mais c’est le traitement qu’on accorde à l’esport qui pose encore question dans les rédactions. Surtout pour les grands médias de PQN, habitués aux longs textes qui peuvent faire peur au public de l’esport. « Il y a deux barrières qui se posent pour les jeunes qui suivent l’esport : l’habitude de la gratuité et la barrière psychologique des articles payants, puis le rapport à la lecture difficile pour la plupart », évoque Paul Arrivé. Pour lui, cette génération ne basculera pas vers la presse écrite : « Il faut qu’on se révolutionne. Je vois l’esport comme un laboratoire pour le journalisme, car c’est l’avenir de la profession qui se joue ici. Il faut tenter des nouveaux formats, avec de la vidéo notamment, si on veut toucher cette génération. Il faut faire le pari maintenant parce que ce sont eux les futurs consommateurs. »

Entre le journaliste, qui essaie d’anticiper, et ses supérieurs, les visions ne sont pas forcément les mêmes. « On fait nos calculs et on se méfie beaucoup de la gratuité. Oui, c’est bien mais les formats vidéo sont difficilement rentables. La presse écrite ne va pas bien mais on ne peut pas se lancer partout, embaucher plus de spécialistes esport etc. », justifie de son côté Jean-Philippe Leclair, rédacteur en chef-adjoint de l’Équipe.

La quête de la rentabilité freine beaucoup ces médias. Si l’esport dispose d’une vraie audience, ce n’est pas encore suffisant pour des journaux comme Le Figaro. « Tant que mes articles ne rapportent pas d’abonnements, on ne va pas se lancer à fond sur le sujet », souffle Cédric Cailler, qui reste très pragmatique sur la situation. « L’esport n’est pas encore assez structurant socialement et économiquement. Ça reste un domaine en construction. Même si c’est massif en audience, il y a encore beaucoup d’interrogations », ajoute Olivier Clairouin, chef du service Pixels du Monde.

Fossé générationnel

Certains médias ne cherchent pas forcément à attirer un nouveau public, mais plutôt à parler de ces thématiques à leurs lecteurs. « Les articles sont plutôt adressés aux parents, pour qu’ils comprennent ce à quoi s’intéressent leurs enfants », témoigne Olivier Clairouin. Le quotidien reste fidèle à sa ligne éditoriale quand il traite de l’esport. Les articles vont au-delà de l’aspect purement sportif et évoquent tout ce qui englobe l’univers esportif, que ce soit de façon économique, écologique, politique ou sociale. Une vision que partage Jean-Philippe Leclair : « On a l’ambition de couvrir tout le sport : du joggeur à Kylian Mbappé, en passant par le dopage et l’esport. Le fait de traiter l’esport comme n’importe quel autre sport, cela nécessite de l’évoquer sous tous les angles possibles. Pas seulement les résultats. » Cédric Cailler du Figaro s’adapte aussi à son journal : « Je cherche beaucoup l’humain dans mes sujets, sur des portraits notamment. Puis je parle souvent de chiffres, ou de « success story ». Je m’adapte à mon public. »

Cette question des publics visés est difficile. Si Le Monde ou Le Figaro s’adressent majoritairement à leurs lecteurs, Paul Arrivé a pour stratégie d’aller chercher le public de l’esport : « J’ai abandonné l’idée de toucher le grand public. C’est tellement complexe et le fossé générationnel est trop grand. Je pense qu’on ne convaincra jamais tout le monde. J’essaie de plus en plus de faire des sujets de profondeurs, qui apportent de la valeur ajoutée à ceux qui suivent l’esport. Le but, c’est de les attirer ensuite vers la marque l’Équipe, car ce public s’intéresse au sport en général. »

Mais si les articles paraissent sur le web, très peu arrivent dans les pages du journal. « Je trouve ça dommage car notre rôle est aussi d’éduquer le grand public sur ce qu’il se passe dans la scène sportive, et l’esport en fait partie. J’ai un peu arrêté de me battre pour cela, mais avoir 200 signes sur le major CS (Counter-Strike, ndlr) à Paris je ne trouve pas ça normal. Ça fait six ans qu’on ne s’est pas renouvelé sur le traitement de l’esport », se désole le journaliste de l’Équipe.

Le traitement médiatique de l’esport dans les grands médias de PQN relève d’une problématique bien plus générale à la profession : comment toucher un public jeune, qui boude ces journaux mais qui représentera bientôt la majorité de la population ? D’un sujet niche, l’esport devient petit à petit un sujet central que les rédactions observent de plus en plus près, véritable reflet de la fracture générationnelle dans les médias.

Jules Bourbotte et Florian Pichet/EPJT

[PORTRAIT] Nora Bouazzouni, un combat contre « le syndrome de l’imposteur »

Photo : Juliette HUVET-DUDOUIT/EPJT

Nora Bouazzouni, journaliste et écrivaine, évoque les difficultés à se sentir légitime durant son parcours et son changement de classe sociale.

Elle a le regard déterminé d’une femme qui a dû se battre toute sa vie pour grimper l’échelle sociale. Nora Bouazzouni, 38 ans, est journaliste freelance et écrivaine. En 2019, elle crée Paye ta pige, pour centraliser et partager les prix des feuillets. « Il y a quelques années, j’ai vu un de mes collègues qui obtenait ces informations sur son groupe Facebook de promo d’école de journalisme », s’emporte-t-elle.

En 2017, Nora Bouazzouni publie son premier livre, Faiminisme : quand le sexisme passe à table (ed. Nouriturfu). En 2023, elle en publie un troisième, Mangez les riches (ed. Nouriturfu). Cet ouvrage aborde la sociologie complexe du lien entre alimentation et revenus. Une victoire pour elle qui s’est longtemps privée de lire de la sociologie car elle se pensait trop peu intelligente. « La nourriture est un fait social, il y a toujours des choses à dire là-dessus, souligne cette passionnée. Lorsque je suis arrivée à Paris, je me suis rendu compte que le bon goût est celui des classes dominantes. »

Une sensibilité à l’injustice

Son père est ouvrier, arrivé d’Algérie en Picardie, sa mère assistante maternelle. Au lycée, elle quitte son établissement de secteur pour suivre une classe européenne. De cette époque, subsistent beaucoup de souvenirs amers. Elle se souvient d’un jour où ses amis lui ont proposé de manger au restaurant. Elle refuse et précise qu’elle n’en a pas les moyens. « Tes parents ne te donnent pas d’argent ? », rétorque l’une de ses camarades. La différence de réalités entre elles la foudroie et éveille une sensibilité à l’injustice qui ne l’a jamais quittée. « C’est à la fois un de ses défauts et une de ses qualités », affirme son compagnon. À l’aise et confiante dans la posture, Nora Bouazzouni est une femme de caractère. « Je suis arrivée à Paris en tant qu’étudiante en 2006 et j’avais l’échelon de bourse le plus élevé », explique la femme qui est aujourd’hui « une transfuge de classe », un terme employé par son compagnon, qu’elle réfute.

Après sa licence d’anglais, Nora Bouazzouni devient journaliste. Elle travaille pour Franceinfo, devient indépendante puis pige pour Mediapart et Libération. La Picarde se retrouve propulsée dans une catégorie sociale dont elle n’est pas issue. Plus de 15 ans après, Nora Bouazzouni déteste passer pour quelqu’un de privilégié et considère qu’elle a acquis un « bourgeois passing ». « Est-ce plutôt l’habitus, le cercle social fréquenté ou le quartier de résidence qui détermine l’appartenance à la bourgeoisie ? », se questionne-t-elle. Son sang ne fait qu’un tour lorsqu’on la renvoie à un élitisme qu’elle rejette.

Syndrome de l’imposteur

Pourtant, son entourage la ramène constamment à cette mutation sociale. La plupart de ses amis ne viennent pas du même milieu qu’elle : ils ont déjà un patrimoine, sont propriétaires ou ont fréquenté des écoles privées. Dans les rédactions, elle constate la permanente reproduction sociale sans oublier l’importante domination masculine. « La sacralisation du diplôme reconnu crée un véritable entonnoir. C’est dommage car les écoles de journalisme se privent de nombreux bons profils », regrette-t-elle.

Nora Bouazzouni s’est souvent sentie moins légitime, comme si son parcours atypique la plaçait en marge de la norme. « Pour beaucoup, ce n’est pas une question de légitimité, mais plutôt une interrogation sur qui détermine ce qui l’est et ce qui ne l’est pas », soulève-t-elle. Dans son histoire, le syndrome de l’imposteur est omniprésent, exacerbé par son expérience de vie qui l’a poussée à douter de ses compétences. « Aujourd’hui, ce n’est plus le cas », conclut-la journaliste, fièrement.

Juliette HUVET-DUDOUIT/EPJT

[ENQUÊTE] Jeux Olympiques 2024 : comment sont attribuées les accréditations ?

Photo : Julien GROHAR/EPJT
À quatre mois des jeux de Paris 2024, les rédactions se préparent à couvrir l’événement. Qui pourra assister aux épreuves ? Une commission composée en partie de journalistes aide à la distribution des accréditations.

Tous les quatre ans, à l’approche des Jeux olympiques, les rédactions des grands médias sont traversées d’un insoutenable suspense : à qui le CIO (Comité international olympique) distribuera-t-il les fameuses accréditations, précieux sésame pour couvrir l’événement mondial ? 

À chaque édition, le CIO délivre davantage d’accréditations au pays organisateur. Sur les 6 000 délivrées pour Paris 2024, 450 sont réservées à des journalistes et photographes français. C’est trois fois plus que pour les Jeux de Tokyo en 2021. « Ensuite, c’est aux comités nationaux olympiques de choisir les modalités d’attribution des accréditations », explique Étienne Bonamy, journaliste et ancien rédacteur en chef de L’Équipe. Il est lui-même membre du comité de sélection mis en place par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) qui s’appuie sur l’Union des journalistes de sport en France (UJSF) pour attribuer ces fameux passeports diplomatiques. « C’est une chance car dans d’autres pays, c’est le comité qui gère directement, souligne-t-il. Cela facilite le travail et cela permet une meilleure transparence. »

Dans le détail, il existe deux types de laissez-passer aux JO. D’un côté, les groupes comme France Télévisions qui payent pour diffuser les épreuves et les autres chaînes ou stations (TF1, RTL, etc.) qui achètent un droit de passage aux abords des terrains pour faire des interviews et suivre des conférences de presse. De l’autre, les rédactions de presse écrite et les photographes. Pour eux, il en existe plusieurs catégories : celles qui donnent accès à tous les sites et celles qui permettent de couvrir une seule catégorie de sport.

Représenter le plus de titres possibles

De septembre 2022 à janvier 2023, le CNOSF a demandé à toutes les rédactions le nombre d’accréditations qu’elles souhaitaient obtenir. « Ce travail d’échanges me prend un tiers de mon temps pendant les JO », reprend Étienne Bonamy, étonné d’avoir dû relancer des médias à visibilité importante qui avaient oublié d’envoyer leur demande.

Une question est primordiale pour le comité de sélection : est-ce que les journalistes de ce média ont une carte de presse ? « Il a fallu expliquer à certains que leur demande avait peu de chance d’aboutir, souligne-t-il. L’accréditation n’est pas une récompense pour assister à un événement, mais une obligation de travail. » Des influenceurs ont tenté d’obtenir des accréditations, en vain.

Plusieurs autres paramètres entrent en compte pour délivrer des accréditations, telles que la volonté de représenter le plus de titres possibles sur l’ensemble du territoire et le poids historique des médias. « Nous savons qui a l’habitude de couvrir du sport dans ses pages », complète le journaliste. Pour certains médias, les JO reviennent dans leur agenda tous les deux ans. C’est le cas de L’Équipe, seul quotidien sportif français, et du groupe France Télévisions, diffuseur officiel dans l’Hexagone. Pour d’autres, les JO à domicile sont l’occasion de couvrir cette messe sportive internationale pour la première fois ou depuis bien longtemps. « Beaucoup de médias, même non sportifs, font valoir leur volonté d’obtenir des accréditations », précise Étienne Bonamy.

Alors que chaque journal a découvert durant le mois d’octobre 2023 son nombre d’accréditations, la deuxième phase peut commencer. Elle intervient cette fois-ci du côté des rédactions qui doivent désigner nominativement les journalistes et les photographes qui couvriront les JO. « Si nous avons essayé de donner un petit peu à tout le monde, il n’y a pas assez de place », constate-t-il. Cependant, les JO ne se suivent pas uniquement dans les stades. De nombreux médias obtiendront des autorisations pour se rendre au Club France afin de suivre les conférences de presse et circuler au plus près des acteurs.

Les agences de presse ne sont pas concernées par cette démarche. À elle seule, l’Agence France-Presse a obtenu 120 accréditations pour les Jeux de Paris, bureaux français et internationaux confondus. L’Équipe n’en a eu qu’une quarantaine.

Thomas LANGEARD et Clara LEBARBEY

Voici les gagnants des prix EMI 2024

La cérémonie de remises des prix EMI 2024 récompense des initiatives sur l’éducation aux médias et à l’information dans six catégories différentes. La journaliste et présentatrice Marie Portolano est présidente du jury.

Marie Portolano et les lauréats des six catégories récompensées lors de la remise des prix EMI 2024. Photo : Susie Bouyer / EPJT

Les membres du jury 2024 étaient nombreux : Marie-Laure Augry (J&C), Serge Barbet (CLEMI), Christophe Boutin (La Nouvelle République), Carole Canette ( Région Centre-Val-de Loire), Elodie Cerqueira (Club de la presse centra-val de Loire), Marie-Laure Chérel (BNF), Marie-Anne Denis (Milan Presse), Sylvain Disson (DAVL) Damien Fleurot (Fondation TF1), Marco Gicquel (Jets d’encre), David Groison (Bayard), Tristan Goldbronn (la chance pour la diversité), Albéric de Gouville (France 24), Patricia Loison (France TV), Olivier Magnin (Ligue de l’enseignement), Charlotte Ménégaux (ESJ Lille), Etienne Millien, Christine Moncla (Radio France), Karen Prevost-sorbe (Clemi), Christophe (Provins CFI), Valérie Robin (Ministère de la culture) et Thierry Vallat (CFI).

La remise des prix a été présentée par Emilie Tardif, directrice déléguée de TV Tours-Val de Loire et responsable de production audiovisuelle du Groupe Nouvelle République, et animée par Marie Portolano. 

Les gagnants

Le prix de la catégorie Rive Sud de la Méditerranée, parrainé par CFI, est adressé à Rabemi, Burundi. Dans le but de promouvoir l’Education aux Médias et à l’Information (EMI) les associations burundaises actives dans le domaine de l’Education aux Médias et à l’Information (EMI) veulent conjuguer les efforts en créant un réseau nommé RABEMI. Ce dernier va aider dans la sensibilisation et la promotion de l’EMI au Burundi afin d’éradiquer les discours de haine et la propagation des fausses informations via les réseaux sociaux. Le prix a été remis par Thierry Vallat, président du CFI. 

Le prix de la catégorie Région Centre-Val de Loire, parrainé par la région Centre-Val de Loire, est adressé au Lycée Rémi Belleau de Nogent le Rotrou -R2B. Par l’éducation aux médias et à l’information (EMI), les élèves apprennent à devenir des citoyens responsables dans une société marquée par la multiplication et l’accélération des flux d’information. Ils développent leur esprit critique et sont capables d’agir de manière éclairée pour chercher, recevoir, produire et diffuser des informations via des médias de plus en plus diversifiés. Le prix a été remis par Gaëlle Lahoreau, vice présidente de la région Centre-Val de Loire, docteure en écologie et rédactrice scientifique.

Le prix de la catégorie Média, parrainé par le CLEMI – Réseau Canopé, est adressé à Milan Presse – Mon permis Smartphone. L’ambition est de comprendre les technologies embarquées, d’acquérir les bons réflexes sur Internet et sur les réseaux sociaux, de éviter les contenus inadaptés, de protéger son image, de maîtriser son temps d’écran, mais aussi de veiller à respecter la vie de la famille et le temps des repas partagés. Mon permis smartphone doit apprendre aux enfants à utiliser intelligemment son premier téléphone.  Le prix a été remis par Serge Barbet.

Le prix de la catégorie Association, parrainé par France Médias Monde, est adressé à Radio Pulsar. Radio Pulsar est une radio FM associative, curieuse et citoyenne basée à Poitiers, diffusant ses programmes dans le département de la Vienne. Créée en 1983, peu après la libéralisation des ondes, par René Cateau et un groupe d’élèves du Lycée des Feuillants, Radio Pulsar émet, depuis 2010, à partir de La Maison des Étudiants, située sur le campus de l’Université de Poitiers. Elle est portée par une centaine de bénévoles, une équipe de quatre salariés, un volontaire en service civique, un Conseil d’Administration et son Bureau. Le prix a été remis par Albéric de Gouville, le président de France 24. 

Le prix de la catégorie bibliothèque, parrainé par le ministère de la Culture, a été adressé à la Médiathèque Le Phénix – Colombelles. C’est une nouvelle catégorie pour les prix EMI.

Le prix de la catégorie École, parrainée par TF1, a été adressé au collège Ali Halidi de Chiconi à Mayotte. Le prix a été remis par Christelle Chiroux, Directrice déléguée de la fondation TF1. 

 

Ce qu’ils ont dit

Marie Portolano (Présidente du jury EMI 2024) : « Je salue tous les projets. Soixante-cinq dossiers ont été sélectionnés. J’ai été heureuse de prendre connaissance de tous les projets. »

Thierry Vallat (PDG de Canal France International (CFI), l’agence française de développement des médias) : « On travaille surtout avec l’Afrique et le monde arabe, on pense souvent que ce qui se passe au-delà de la Méditérannée ne nous concerne pas. Or, c’est le contraire. Nous sommes liés à eux. Il est bon à ce moment précis de s’en rappeler. »

Emilie Tardif (responsable de la cérémonie) « Il a été très difficile pour le jury de choisir les six lauréats.»

Marie-Laure Augry  (journaliste) : « L’éducation aux médias s’est développée dans les établissements scolaires. Il y a une évolution, des initiatives extraordinaires car il y a des projets beaucoup plus ambitieux aujourd’hui. »

Albéric de Gouville  (rédacteur en chef de France 24) : « Faire de l’éducation aux médias dans les prisons c’est essentiel. »

À retenir

La journée consacrée à l’Éducation aux Médias et à l’Information marque l’ouverture des Assises Internationales du Journalisme de Tours. Les Assises, qui se tiennent du 25 au 29 mars 2024, renouvellent une fois encore leur engagement autour de cet enjeu majeur de société et lancent dès aujourd’hui l’appel à candidatures pour les Prix 2024 de l’Éducation aux Médias et à l’Information. Ces prix seront décernés par un jury pluridisciplinaire composé de professionnels des médias, de l’éducation nationale et de l’éducation populaire, avec la participation de collégiens et de lycéens.

Camille Amara

 

 

[ENQUÊTE] Quand journalistes sportifs et clubs de football se livrent au match de l’info

La démocratisation des outils numériques, des plateformes de partage ont nettement participé à la prise de poids des créateurs de contenus sportifs. Photo : Axel Monnier/EPJT
Le journalisme sportif est-il en danger ? C’est ce que laisse penser la mainmise croissante des clubs sur leur communication dans le football français. Des entreprises qui s’appuient sur le crédit des journalistes pour bonifier leur image et se développer comme de véritables marques.
Après une semaine éprouvante, Matthieu Lecharpentier, alias Mattcharp sur X, entame « son deuxième boulot ». Responsable sécurité santé et environnement en Bretagne, il contribue, 35 heures par semaine, à Rouge Mémoire. Un site de référence pour les supporters du Stade Rennais, né en réponse aux railleries des finales perdues par le club breton entre 2009 et 2014. Aucun signe distinctif ne l’identifie comme un site de supporter. Un look moderne, aux couleurs rouge et noir, de Rennes qui pourrait tout aussi bien être une extension d’un journal régional. « On collecte les infos et on les introduit sur le web. Je me demande pourquoi je ne suis pas devenu journaliste », sourit Matthieu Lecharpentier. Au total, il a récolté, recoupé et classé près de 700 000 archives sur le Stade Rennais. « Notre but, explique Mattcharp, c’est de communiquer sur le club et d’en parler de façon positive. » Des datas infinies des effectifs, du nombre de buts, de saisons ou de scores mais aussi des « entrevues » aux allures d’interview avec des anciens joueurs mythiques, participent à cette mise en valeur.  Ce qui rend la frontière entre le journalisme et la communication de plus en plus poreuse et compromet le travail et les relations des journalistes avec les clubs.

Le Paris Saint-Germain, Rennes et d’autres équipes de Ligue 1 produisent des entretiens sur YouTube. Très actifs sur les réseaux sociaux, ils bénéficient d’une audience toujours plus importante et dont tout l’écosystème du football français souhaite profiter. « Nous ne sommes pas fous, les journalistes nous sauteraient dessus si on s’asseyait à leurs côtés en tribune de presse. Nous n’avons pas de lien direct avec les joueurs », assène Matthieu Lecharpentier. Aujourd’hui, les neufs contributeurs de Rouge Mémoire sont tout de même invités à chaque match. À la demande de la direction, ils ont même contribué à la création de la « Galerie des Légendes », un espace qui retrace l’histoire du club depuis 1901. « On supporte et on aide le Stade Rennais. Notre rôle est de reconstruire la narration du club mais nous ne faisons pas de journalisme », poursuit le fan des Rouge et Noir. Le Stade Rennais pose des limites claires entre créateurs de contenus et journalistes.

 

Des clubs juges et bourreaux

Ce qui semble plus difficile au PSG depuis le rachat par les Qataris, en 2011. Le club s’ouvre à d’innombrables marchés internationaux tout en se fermant de plus en plus aux journalistes. Une pratique classique pour Yann Philippin, journaliste à Mediapart et spécialiste de l’institution parisienne : « Verrouiller l’info pour avoir une couverture presse la plus positive possible : toutes les entreprises le font. »

La presse quotidienne régionale n’est pas épargnée, comme l’explique Frédéric Launay, rédacteur en chef des sports de La Nouvelle République. Après un match Nîmes-Tours FC, en 2017, Jean-Marc Ettori, président du club tourangeau, passe le mot à son chargé de communication : « Les joueurs ne parleront plus à Monsieur Launay. » En cause, un papier critique sur l’entraîneur Jorge Costa.

Il semble que le PSG aille plus loin dans la stratégie de « la carotte et du bâton », confie Yann Philippin. Lorsque tout se passe bien, le club récompense. Dans le cas contraire, il sanctionne. L’Équipe en a fait les frais peu après l’arrivée de Lionel Messi au club, en 2021. Après que la rédaction ait divulgué le salaire de la star argentine, les dirigeants se sont braqués et ont fermé temporairement les portes des conférences de presse et des entraînements aux journalistes de L’Équipe. Selon Yann Philippin, l’enjeu pour les journaux sportifs réside dans un échange de bons procédés. « Au foot, la presse spécialisée a besoin du club. Ces derniers ont donc un moyen de pression. Et le PSG sanctionne tous les écarts. » Un engrenage auquel il est fier d’échapper avec Mediapart, puisque le pure player ne traite pas des résultats sportifs.

Le PSG fait encore plus pour s’attirer les bonnes grâces des journalistes, a révélé Yann Philippin dans son enquête. D’abord, il permet à certains d’entre eux d’intégrer, sur invitation, le « carré vip » où se mélangent politiques, hauts-fonctionnaires et célébrités. « Une façon peu coûteuse pour le club de s’attirer les faveurs de certaines personnes », poursuit-il. Pour Jean-Martial Ribes, ancien directeur de la communication du PSG, c’est le « power of football ».

 

L’important c’est de participer

Après un voyage de presse organisé par le club, l’ancien rédacteur en chef de France Football, Pascal Ferré, a écrit des articles élogieux sur le PSG et son écosystème, dont un portrait flatteur du président, Nasser Al-Khelaïfi. Aujourd’hui, l’ancien journaliste de France Football occupe le poste de responsable de la communication de l’équipe parisienne. Pour Nelson Monfort, commentateur du patinage artistique sur France Télévisions, cette pratique nuit au journalisme. « Les agences de communication, les fédérations ou autres organisateurs de tournoi engagent de plus en plus des commentateurs et chroniqueurs à leurs bottes. Il faut être très intelligent pour engager quelqu’un qui peut être amené à nous critiquer. » Le PSG n’est pas le seul à l’avoir fait. Jacques Cardoze, ancien journaliste du service public, désormais chroniqueur dans l’émission de Cyril Hanouna, « Touche pas à mon poste », sur C8, a également occupé le poste de directeur de la communication à l’Olympique de Marseille.

Le football français entretient le flou entre communication et journalisme. Les clubs recrutent des influenceurs, des community managers qui ont un accès exclusif aux joueurs. Une véritable remise en question de la place et du rôle du journaliste sportif. Mais, Yann Philippin conserve tout de même l’espoir « que la communication du club ne se substitue complètement à sa couverture par les journalistes ».

David Allias, Théo Lheure et Jules Rouiller

[PORTRAIT] Nelson Monfort, des terrains à la scène

Photo : Arthur Charlier/EPJT

Nelson Monfort, journaliste et commentateur sportif, prépare son clap de fin pour se consacrer à toutes ses autres passions. Retour sur un parcours marqué par quatre « H ».

Du courage, il en faut pour l’arrêter. Aussi bavard que téméraire, Nelson Monfort s’apprête à dire au revoir aux caméras après les Jeux olympiques de Paris cet été. Pourtant, à 71 ans, il n’est pas encore prêt à tirer sa révérence. Derrière sa personnalité unique et son hyperactivité, l’animateur vedette de France Télévisions prépare sa nouvelle vie sur les planches. Au sous-sol d’un hôtel parisien, Nelson Monfort se met en scène dans une salle de théâtre aux fauteuils en velours rouge, pour l’instant vacants. Une aventure qu’il vit avec son acolyte de toujours, le patineur, devenu commentateur, Philippe Candeloro. Quelques semaines avant la grande première, il revient non sans émotion sur 40 ans de carrière à la télévision.

Humanité. Plus jeune, il se destine à la communication et la publicité. Pourtant, à 35 ans, il entre à France TV. Nelson Monfort voulait travailler en extérieur, « aller à la rencontre des gens et devenir un passeur d’émotions ». Il continuera à le faire avec sa comédie. Entre deux répliques, le journaliste grisonnant s’assoit et se rappelle ses déboires maladroits. En 2012, il propose à une nageuse de dédier sa médaille à sa mère, décédée quelques mois plus tôt. Une question « pleine de compassion » qui l’a abimé : « Je me suis dit « we have a problem ». On m’a dit que j’exploitais sa détresse alors que c’était totalement l’inverse. Je l’ai très mal vécu. » L’émotion le prend, ça ne fait pas partie du spectacle. « C’est quelqu’un qui a le cœur sur la main », assure son grand ami, Philippe Candeloro.

Humour. Le célèbre Monfort doit une partie de son succès à ses plaisanteries raffinées et ses gaucheries. Il n’a d’ailleurs pas changé, puisque quand il s’agit de répéter sa pièce, trous de mémoire et rires intempestifs perturbent dès le premier acte. Déjà en 1995, alors que Michael Chang s’incline en finale du prestigieux tournoi de tennis de Roland Garros, Nelson entre en scène. « Ce jour-là, résonne un brouhaha. Je comprends qu’il remercie, après le match, un certain Luigi, le pizzaiolo du coin, enfin j’en sais rien. J’apprends après qu’il remercie Jésus après chaque match, explique le passionné de sport. Mais à l’antenne, on ne peut pas se contredire. Je me dis que je vais être viré. Finalement, 25 ans après, on en rigole encore. » Drôle, le commentateur l’est bien plus qu’on ne l’imagine, « on a l’impression que c’est un garçon un peu chicos, coinços à l’anglaise mais il rigole tout le temps », s’amuse Philippe Candeloro.

Humilité. Nelson Monfort a bataillé pour s’imposer. Quand il débute, l’héritage linguistique de son père américain et de sa mère néerlandaise lui permettent de couvrir de grandes compétitions. « En athlétisme, comme il y a davantage d’athlètes étrangers que français, il fallait parler anglais. I’m an American citizen so I can speak English very well. »

Toute sa vie, il a pratiqué le hockey sur glace, le ski, le tennis et la natation. Mais le patinage, jamais. Pour Paul Peret, rédacteur en chef adjoint à France TV, le célèbre commentateur a été assigné au patinage artistique notamment du fait de son attrait pour l’art : « Il va pouvoir parler de musique, de mouvements, c’est artistique donc il peut très bien en parler. »

Honnêteté. « Si tout était à refaire, je ne recommencerais pas. » Gorge nouée, anxieux, mains moites, l’icône de France TV n’oublie pas les « petites blessures qui [l]’ont marqué ». Nelson ne parle plus avec sa tête, c’est son cœur qui le fait. Pour lui, les réseaux sociaux ou « fléaux sociaux » ont créé un éloignement entre journaliste et athlète. Ça lui manquera, c’est certain, même s’il espère encore ajouter à son palmarès le Tour de France masculin. Loin de se tourner les pouces en attendant sa chance, monsieur Monfort s’adonne au théâtre. Pour celui qui adore chanter du Sinatra, ou les Beatles, « l’essentiel c’est de ne pas s’ennuyer  ».

 

Arthur Charlier et David Allias

Nos publications 2024

Mardi 26 mars débutent les 17e Assises internationales du journalisme à Tours. A cette occasion, les étudiants en première année du master de l’EPJT réalisent La Feuille, dont les numéros seront distribués lors des Assises mais que vous pouvez également trouver ci-dessous.

Bonne lecture

 

 

 

 

[REPORTAGE] Le TFIEJ, l’événement sportif préféré des futurs journalistes

Photo : Susie Bouyer/EPJT

Le tournoi de football inter écoles de journalisme s’est déroulé samedi 23 mars. L’occasion pour les futurs journalistes de se rencontrer autour d’un événement sportif et de développer un esprit de solidarité.

Ambiance festive, chants et fumigènes… Les quatorze écoles de journalismes reconnues par la profession arrivent au complexe sportif du Vieux Melchior à Sassenage, samedi 23 mars. Environ un millier d’étudiants se sont rassemblés pour participer au Tournoi de Football Inter Écoles de Journalisme, plus communément nommé le TFIEJ. Organisé chaque année depuis 2008, il s’est déroulé cette année dans la banlieue grenobloise, à la suite de la victoire de l’École de journalisme de Grenoble l’an passé.

Unique événement où toutes les écoles se rencontrent durant l’année, le TFIEJ est un moment important dans le cursus d’un étudiant en école de journalisme. Un tournoi de football certes, mais pas que. Le classement général du TFIEJ ne prend pas uniquement en compte les résultats de la compétition sportive. D’autres épreuves sont également organisées pour tenter d’inclure les élèves qui ne souhaitent pas participer au tournoi en tant que joueur.

Avant la rencontre, un concours de la meilleure photo de capitaine et du meilleur teaser est organisé sur les réseaux sociaux afin de préparer les face-à-face et faire monter l’engouement autour du tournoi. Une préparation qui prend plusieurs mois, notamment pour organiser la venue de chaque promotion dans la ville hôte, qui se trouve parfois à l’autre bout de la France. Un prix de l’ambiance et de la meilleure mascotte sont également décernés en fonction des nombreuses animations proposées par les différentes écoles lors de la pause-déjeuner. Au programme, danses, musiques et défilés pour maintenir la bonne ambiance durant toute la journée. Alexis Cécilia-Joseph, journaliste pigiste à France TV et LCI et ancien étudiant du CUEJ à Strasbourg, est allé deux fois au TFIEJ. Pour lui, c’est surtout l’occasion de « de tous se rencontrer pour jouer au foot dans une ambiance sympa ».

Un aspect fédérateur

Mais le TFIEJ, c’est également un événement qui permet de montrer son attachement à son école. S’il s’agit d’un moment de rencontre entre futurs collègues, la journée permet également aux différents étudiants de développer un esprit de corporation de la profession. « C’est sûr que ça fédère » explique le jeune journaliste, qui a terminé son cursus en 2022. Une certaine fierté de l’école qui s’étend également sur les années d’après. Alexis Cécilia-Joseph est venu soutenir son école en 2023 à la suite de son cursus au CUEJ. « Je voulais venir soutenir les M2, dont on était proche et revoir des personnes qu’on avait parfois croisées dans nos stages. Il y a aussi une certaine fierté de voir leur parcours au sein de la compétition. » Cette année, à l’issue du tournoi, c’est finalement École de Journalisme de Cannes (EJC) qui remporte le TFIEJ 2024 et qui organisera la prochaine édition.

Annabelle Boos

[RENCONTRES] Journalistes et citoyens, un banquet aux avant-goûts de réconciliation

Le Bateau ivre de Tours a accueilli le banquet journaliste-citoyen de cette 16e édition des Assises. Photo : Jean Tramier/Assises du journalisme

Le Bateau ivre s’est transformé en restaurant le temps d’une soirée originale, mercredi. Au banquet des Assises du journalisme de Tours, 100 convives, 50 journalistes et 50 citoyens, se sont rencontrés pour échanger sur l’info, à toutes les sauces. Et essayer d’y retrouver goût.

’embarquement à 19h30 était ambitieux. Encore plus avec des journalistes dont le défaut est de trop parler. Pourtant, tout le monde était à l’heure mercredi soir, au Bateau ivre, à Tours. La salle de spectacle a été transformée pour accueillir le deuxième banquet Journalisme et citoyenneté. Vingt-cinq tables ont été dressées pour la soirée avec, à chacune d’elles, deux professionnels de l’information, et deux « citoyens ». Les convives ont été choisis dans des associations locales, féministes, écologistes, et tous ont un rapport à l’information réfléchi. Objectif de la soirée ? Déguster un (bon) repas traiteur et discuter du goût de l’info.

Avant le début du service, Thierry Bouvet, président du centre associatif et artistique, monte sur scène, prend le micro, et déclame un discours à mi-chemin entre manifeste et poésie. « Vous voilà à vos assises, dans notre bateau. Ne soyons pas des galériens de l’info mais des volontaires de l’aventure du donné à voir, à raconter, à lire et à écouter. Veuillez ne pas m’en vouloir de tenter de jouer avec les mots. » Comme un sentiment de gêne d’être face à un parterre de professionnels, dont le métier est de manier les mots. D’ailleurs, tout au long de la soirée, les citoyens auront du mal à s’imposer et à prendre la parole.

L’académicien retardataire 

Un seul retardataire : Erik Orsenna. Il achevait, quelques minutes plus tôt, sa carte blanche à Mame où se tient pendant une semaine la seizième édition des Assises. Cambré, essayant de se cacher entre ses épaules, son entrée dans la salle cherche à être discrète. Jérôme Bouvier, président de Journalisme et citoyenneté, l’association organisatrice, le dévoile. L’académicien est applaudi.

Les entrées arrivent. Sur certaines tables, on trinque. Pour ouvrir l’appétit, spaghetti de courgettes accompagné de sa question : qu’est-ce qui vous donne goût à l’info ? Sur la table 7, pour Gaëlle, citoyenne, l’actualité nourrit sa curiosité, ses intérêts personnels, et lui permet de comprendre le monde dans lequel elle vit. Elle était infirmière en Ehpad. Son refus de se faire vacciner lui a coûté son poste en décembre 2020. Ça attise la curiosité de Catherine Boullay, journaliste à L’Opinion.

La conversation embraye naturellement sur le complotisme. Gaëlle a très mal vécu le fait qu’on lui colle cette étiquette : « J’étais informée, la santé c’est mon métier. Je discutais avec les médecins, et j’ai refusé en conscience. » Elle est maintenant en reconversion pour devenir assistante de direction. Elle avouera plus tard être aussi gilet jaune.

 “Je me permet de vous interrompre”

À l’autre bout de la salle, les citoyens de la table 23 parlent de leur goût pour le long format. Un podcast de plus d’une heure ne leur fait pas peur. Au contraire, ils aiment prendre le temps de développer un sujet sur le fond. Mais les vingt minutes de l’entrée n’auront pas permis de finir la conversation. Les assiettes sont vides. C’est le jeu des chaises musicales, on prend sa serviette sur le bras, son verre d’eau dans une main, le verre de vin dans l’autre et on se dirige vers une autre table.

Vient le plat de résistance : une escalope de poulet aux épinards pour accompagner le dégoût de l’info. Cette fois-ci, on n’hésite pas à être critique et pessimiste. « Qu’est-ce qui vous hérisse les poils dans l’info ? » interroge Lucile Berland, pigiste indépendante et médiatrice de la soirée.

Sur l’une des tables, le directeur de la rédaction de La Nouvelle République, Luc Bourianne, prend place face à Benoît Bruère de France 3. « Je me permets de te tutoyer« , lance l’un d’eux à Gaëlle, l’ex-infirmière, qui ne voit pas de problème dans cette proximité.

Sauf quand la conversation devient technique et pas inclusive. « Je me permets de vous interrompre« , lance-t-elle, un peu dépassée. De retour dans la conversation, elle lâche : « Je ne fais pas confiance aux lignes éditoriales.« 

 “ Les marronniers, on n’en peut plus ”

Sur la table 23, c’est davantage la diversité des rédactions qui est remise en cause. Deux citoyens interpellent une étudiante en journalisme sur les profils de sa promotion et leurs origines sociales. Un paramètre qui se ressent dans le choix des sujets. Du coq à l’âne, les JT laissent un goût amer chez beaucoup. « Les marronniers, on n’en peut plus« , avoue Eric, membre d’un collectif d’artistes de rue.

Au dessert, les citoyens changent encore de place. Sucré rime avec solutions. Mais les citoyens ont quand même l’impression de ne pas être considérés. Zénaïde est membre de Touraine Women. Elle a pu présenter le concours qu’elle organise : récompenser les femmes cheffes d’entreprise de Tours.

La solution envisagée ici : davantage de jeunes dans les rédactions. Un sujet qui passionne Cécile Prieur, directrice de la rédaction de L’Obs. Autre proposition : l’éducation aux médias et à l’information. Les citoyens sont conscients de l’enjeu de bien s’informer, tout comme les journalistes, qui manquent parfois de pédagogie.

L’initiative a le mérite d’avoir mis le dialogue au cœur (coulant caramel) de la soirée. Au micro, une dame suggère que l’événement soit reproduit dans toutes les villes de France. Histoire de partager la recette.

Jane COVILLE et Maël PREVOST

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