L’Association intergénérationnelle de La Rabière est une radio locale de Joué-lès-Tours qui se veut collaborative. Nezrina Prelic, Sylvie Aliti, Karim Arbia et Bertino Pinas sont au micro. Photo : Julien Grohar/EPJT

Dans les médias, les quartiers populaires sont régulièrement racontés sous l’angle du fait divers. A Tours, des médias citoyens tentent de porter la voix des quartiers.

Depuis l’arrêt de tram Jean-Jaurès, au cœur de Tours (Indre-et-Loire), cinq minutes de transport suffisent pour arriver au Sanitas. Rien de plus simple, mais il semblerait que les journalistes trouvent difficilement leur chemin jusqu’à ce quartier populaire du centre-ville. Ingrid Chemin, employée au centre social Pluriel(le)s, le déplore. En juin 2023, lorsque les premières révoltes urbaines gagnent Tours, après la mort de Nahel Merzouk, son lieu de travail menace d’être incendié. Elle s’apprête à partir lorsque des journalistes de La Nouvelle République (NR) débarquent pour couvrir l’événement. Lorsque le calme revient, aucun reporter ne songe à l’interroger. Elle regrette que le journal ne vienne « que quand ça crame ». Excepté les faits divers, « il peut se passer des semaines sans que l’on entende parler du Sanitas ».

De l’autre côté du Cher, Burhan Aliti fait un constat similaire. Président de l’Association Intergénérationnelle de la Rabière, il a été marqué par le traitement médiatique d’un fait divers qui a touché son quartier de Joué-lès-Tours en 2014. Un jeune homme qu’il connaissait a été tué par des policiers après les avoir attaqués au couteau. BFMTV avait diffusé des témoignages de personnes se présentant comme amies du défunt. Sur la seule vidéo trouvée sur la chaîne YouTube de la rédaction, le visage du témoin est dissimulé et sa voix modifiée, mais Burhan Aliti est catégorique : « Ce n’était pas ici, ce n’est pas notre quartier, ce n’est pas dans Joué-lès-Tours. » Pour parler de juin 2023, il ne révoque par le terme d’émeutes car « ce qu’il s’est passé, c’est de l’auto-destruction […] c’est une émotion ». Il déplore en revanche que les médias ne se soient pas davantage penchés sur la dimension sociale de l’événement, rapportant essentiellement les scènes de violences et les classant dans la rubrique faits divers. « C’est comme si vous aviez quelqu’un dans votre salon qui était en train de se tailler les veines et que vous détourniez le regard », illustre-t-il.

À La Rabière, les habitants ont rebaptisé le quotidien régional « La Nouvelle répugnante » et détournent globalement leurs regards des colonnes du journal. Le manque de points de distributions de la presse papier dans les quartiers populaires et le coût du journal à l’unité (1,50 €) ou à l’abonnement (40,70 € par mois pour le print et le web) s’ajoutent à une confiance en déclin. Les quartiers populaires de la métropole tourangelle ne sont pas censés passer sous les radars de ce journal. Alexandre Métivier, journaliste pour les pages de Joué-lès-Tours de la NR, se défend : « Ceux qui pensent que la NR vient uniquement lorsque les voitures brûlent sont ceux qui ne lisent pas le journal. » Le reporter reconnaît toutefois ne « pas avoir accès à tous les interlocuteurs » lorsqu’il se rend sur le terrain, car « beaucoup de personnes ne souhaitent pas répondre aux journalistes. »

Des représentations négatives

Pour Sarah Rétif, sociologue à l’université de Tours spécialiste de l’engagement des femmes dans les quartiers populaires, « les médias classiques entretiennent des représentations négatives, stéréotypées autour de l’idée d’anomie, de dangerosité, de délinquance ou même de montée du communautarisme et de l’islamisme ». Sanitas comme La Rabière sont classés quartiers prioritaires de la métropole de Tours. Ils abritent une forte densité de population aux revenus proches du seuil de pauvreté. La spécialiste précise que la stigmatisation des quartiers populaires est aujourd’hui « contestée par les travaux sociologiques qui montrent justement l’épaisseur sociale et historique de ces quartiers ». Pour inverser la tendance, améliorer l’image de leurs quartiers et se réapproprier l’espace de parole, des habitants prennent part à des initiatives de médias participatifs. Pepiang Toufdy, le fondateur du média citoyen Wanted TV, a mis un point d’honneur à installer son nouveau projet dans un grand appartement du centre historique de Tours : « Je veux que les jeunes sortent des quartiers. »

Sa Fabrique d’images citoyenne va proposer des ateliers d’éducation aux médias (ÉMI). Il a envie d’aller plus loin, en aidant les jeunes à « mieux comprendre la fabrication médiatique. » Wanted TV est un média aux 17 000 followers sur Instagram, à la ligne éditoriale urbaine, qui comble ce que son créateur décrit comme un vide : « Les médias ne sont pas partout. Ils ne peuvent pas tout couvrir. Donc il fallait avoir un média de proximité. » Ce média diffuse aussi sur TV Tours des reportages réalisés tout au long de l’année par ces jeunes, accompagnés d’un journaliste reporter d’images.

Journal de quartier

De l’autre côté de la gare, autour de la place Neuve et des grands ensembles, Ingrid Chemin et d’autres travailleurs sociaux ont repris « le journal de quartier », le Sanitamtam, qui existe depuis 20 ans. L’objectif est de publier quatre numéros par an pour couvrir l’actualité du Sanitas différemment. Cependant, le manque de budget, les difficultés à trouver des contributeurs et des lecteurs rendent la cadence difficile à tenir. « Les médias citoyens restent fragiles car soumis à des subventions publiques aléatoires », explique la sociologue Sarah Rétif. Malgré le manque de moyens, la volonté du monde associatif de porter la parole des habitants a continué de s’amplifier depuis juin 2023. À La Rabière, Burhan Aliti envisage aussi de mener des projets avec Pepiang Toufdy et tente de faire vivre une webradio de quartier ouverte à tous. Entre médias citoyens, la solidarité prévaut sur la concurrence. « On a trop souvent parlé à notre place, dit-il. Il fallait être notre propre média. »

 

Camille AMARA, Susie BOUYER et Marie-Camille CHAUVET/EPJT