[EN PLATEAU] Michel Denisot : « Vous avez la chance d’avoir une passion dont vous allez faire votre métier »

Michel Denisot, ancien journaliste et homme de télévision, est le président du jury de la 17e édition des Assises du journalisme de Tours. Il revient sur le journalisme d’aujourd’hui et la place de l’opinion dans le traitement de l’actualité. Il répond aux questions de Maël Prévost.

Réalisé par Maël Prévost/EPJT.

[EN PLATEAU] Pierre Benetti : « Documenter la société russe et faire place à une parole libre »

Pierre Benetti est rédacteur en chef web de Kometa (à l’Est, du nouveau), un nouveau média créé au lendemain de l’invasion russe en Ukraine. A la fois site web et revue littéraire trimestrielle, Kometa s’attache à traiter de l’actualité de l’Europe de l’Est à l’heure d’une guerre aux retentissements mondiaux. Sans pour autant résumer les dynamiques régionales à ce conflit.

Réalisé par Sellim ITTEL EL MADANI /EPJT.

[EN PLATEAU] Paul Arrivé : « Il faut traiter l’e-sport comme n’importe quel sport »

ASSISES 2024 / Paul Arrivé est journaliste spécialiste d’e-sport à L’Équipe. À l’occasion des Assises du journalisme 2024, il a participé à une conférence sur la place médiatique de l’e-sport en France. Il revient sur le traitement journalistique par son journal de cette discipline à l’ascension fulgurante.

Réalisé par Aya El Amri/EPJT.

[INTERVIEW] Julien Bancilhon, rédacteur en chef du Papotin : « Ces jeunes ont beaucoup à apporter à la société »

Les Rencontres du Papotin – Julien Bancilhon et Philippe Etchebest à l’institut du Monde arabe. Photo : Stéphane Grangier/FTV

Julien Bancilhon, psychologue, est engagé depuis 2019 dans l’aventure du Papotin. Vendredi 29 mars, il coordonnera l’équipe du Papotin lors de l’interview d’Edwy Plenel, co-fondateur de Mediapart.

Quel-est votre rôle au sein du Papotin ?

Julien Bancilhon. On m’appelle le rédacteur en chef du Papotin, mais je suis avant tout psychologue à l’hôpital de jour d’Anthony. Le Papotin, c’est d’abord une activité de centres spécialisés dans l’accueil des personnes autistes. Nous restons attachés à ce que cela reste un projet culturel, où nous ne parlons pas de personnes autistes mais de journalistes atypiques. Au sein du Papotin, j’anime les conférences de rédaction hebdomadaires. Elles réunissent en tout 60 à 70 personnes issues de différentes institutions (les hôpitaux de jour, instituts médico-éducatif, foyers d’accueil médicalisés) et des électrons libres, des personnes autonomes. Je coordonne alors la circulation de la parole et l’expression de nouvelles envies pendant ces conférences. Mais je reste un psychologue à plein temps, qui n’a aucune formation de journaliste. 

Comment l’équipe du Papotin organise-t-elle sa venue au théâtre de l’Olympia de Tours pour l’interview Edwy Plenel vendredi soir ?

J.B. À cette occasion, nous nous déplaçons avec environ un tiers de l’équipe, nous faisons l’aller-retour dans la journée. Nous serons à peu près vingt-cinq, deux cadreurs, une quinzaine de journalistes atypiques et des éducateurs. Babouillec, qui communique avec un alphabet de carton, se déplace avec sa mère et un aidant. Claire et Stanislas, qui eux sont autonomes, seront là aussi. Un voyage à Tours, c’est une logistique de dingue. Toutes ces personnes ont des emplois du temps compliqués. Les accompagnateurs font des heures supplémentaires qui ne sont pas forcément rémunérées et les parents doivent s’adapter pour emmener et venir chercher leurs enfants à la gare à des horaires tardifs. Mais nous le faisons parce que nous aimons cela et que nous pensons que ces jeunes ont beaucoup à apporter à la société. 

Comment préparez-vous cette interview de l’ex-rédacteur en chef de Mediapart ?  

J.B. L’organisation des Assises du journalisme nous a proposé de réaliser l’interview d’Edwy Plenel et il y a eu un enthousiasme particulier de la part des journalistes. Cette interview sera filmée et diffusée sur la chaîne Youtube du Papotin. Pour la préparer, je suis en charge de leur envoyer par mail des informations sur Edwy Plenel. Ensuite, je compte laisser la rencontre se faire. Pour cette interview, ce n’est pas le même travail que pour les classiques « Rencontres du Papotin », diffusées sur France 2 le samedi, qui demandent plus de préparation en amont et obligent une séance de mise en commun. Là, chaque éducateur va travailler de son côté avec les journalistes. Les éducateurs sont très engagés dans ce projet. Ce sont de bonnes équipes très dévouées qui aiment ce qu’elles font.

Pourquoi réaliser des interviews filmées en plus du journal ?

J.B. L’esprit est le même dans le journal du Papotin que dans les interviews filmées. L’idée est de faire partie du paysage médiatique car les journalistes atypiques passent beaucoup de temps devant la télévision et veulent rencontrer les personnalités qu’ils y voient. Nous sommes très heureux d’avoir pour invité Edwy Plenel, à qui j’aimerais d’ailleurs proposer de devenir corédacteur en chef d’un de nos prochains numéros. 

Propos recueillis par Susie Bouyer (EPJT)

[EN PLATEAU] Azaïs Perronin : « Quand j’étais jeune, je ne voyais que des hommes commenter l’athlétisme »

Azaïs Perronin a une double casquette : journaliste à Radio France et semi-professionnelle d’athlétisme. Pour autant, elle a tardé à traiter de sujets sports. Elle raconte son absence de modèle de commentateur féminin et sa volonté de traiter des sujets du sport par elle-même, avec son nouveau podcast.

Réalisé par Laura Blairet/EPJT.

[EN PLATEAU] Jean-Marie Charon : « De moins en moins de journalistes ont la carte de presse »

Jean-Marie Charon est sociologue au CNRS, spécialiste des médias. Tous les ans, aux Assises de Tours, il présente un baromètre social des médias qui prend la température de la profession de journaliste. Mais dans un milieu qui évolue, un journaliste peut-il seulement être défini par sa possession de la carte de presse ?

Réalisé par Laura Blairet/EPJT.

[INTERVIEW] George Eddy : « J’étais une grande gueule »

Photo : Alliance Internationale

George Eddy, la voix mythique du basket-ball en France, évoque avec passion les dessous de sa longue carrière.

Vous cumulez 27 finales de NBA et plus de 1500 matchs de basket-ball commentés. Quelle est la recette d’un bon commentaire sportif ? 

George Eddy Pour moi, c’est mettre la bonne parole sur la bonne image, au bon moment. C’est simple et à la fois très difficile à faire. Il est important de bien préparer son match pour éviter la totale improvisation. Le commentateur est là pour apporter des anecdotes sur les joueurs et sur les tactiques mises en place. Canal+ a d’ailleurs introduit l’idée que des anciens sportifs occupent le poste de consultant en qualité d’experts. Personnellement, je ne me verrais pas commenter du football.

À mes débuts, j’étais aussi joueur au Racing Club de France. Mes coéquipiers regardaient les matchs que je commentais à la télévision. Ils étaient mon « sounding board » [caisse de résonance, ndlr] et me faisaient des retours réguliers. La bonne recette, c’est aussi l’écoute des autres. 

Vous êtes connu pour vos jeux de mots et votre tendance à vous enflammer. Vous est-il arrivé de survendre le basket américain pour attirer le public français ? 

G.E. Oui, sans doute, mais cela fait partie de ma personnalité animée. Le métier a énormément changé. J’ai d’abord dû faire découvrir ce sport à des néophytes. Maintenant, je m’adresse à des aficionados qui connaissent le basket sur le bout des doigts. Mon passé de pédagogue, en tant que coach et fils de professeurs, m’a beaucoup aidé. Il fallait d’abord expliquer les règles de la NBA . J’ai copié mes confrères états-uniens en reprenant leurs expressions comme « alley-oop », « in your face », « coast-to-coast », etc. 

En réalité, j’ai d’abord été assez calme mais Charles Biétry m’a encouragé à donner de la voix. Quand il y avait un dunk, il me laissait le micro pour que j’exulte. Normalement, c’est le rôle du commentateur numéro un de décrire les actions. Le consultant n’intervient qu’après, pendant les arrêts de jeu. 

Lors de la demi-finale de l’EuroBasket en 2013, vous avez usé vos cordes vocales en soutenant les Bleus. Avez-vous travaillé votre voix ?

G.E. J’ai tendance à trop monter dans les aigus quand je m’enthousiasme. Je me suis cassé la voix plusieurs fois à l’antenne. J’ai d’ailleurs fait la finale sous cortisone. Cela m’a appris à mieux gérer mon intonation par la suite. J’ai commencé ma carrière en animant les matchs de mon lycée aux Etats-Unis. On me l’a proposé car j’étais une grande gueule et que je faisais rire la galerie. Sans le savoir, cela m’a conditionné pour mon futur rôle de commentateur.

Petit, j’avais un voisin qui était coach vocal pour les acteurs de théâtre et de cinéma. Mon père m’obligeait à passer une heure avec lui après l’école pour apprendre à lire des poésies. C’était une chance inouïe de l’avoir comme mentor. Je lui dois beaucoup.

 

Recueilli par Florian PICHET, Jules ROUILLER, Corentin VALLET

[EN PLATEAU] Arnaud Schwartz : « Se pose un problème de désirabilité des entreprises de presse »

Directeur de l’Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine (IJBA), Arnaud Schwartz est également secrétaire général de la Conférence des écoles de journalisme (CEJ), qui regroupe les 14 cursus reconnus par la profession en France. Les étudiants et les jeunes diplômés souhaitent que « les entreprises de presse les reconnaissent à la hauteur de leur niveau de diplomation et des efforts qu’ils ont fait pour intégrer ces écoles reconnus ».

Réalisé par Zacharie Gaborit/EPJT.

[INTERVIEW] Christian Prudhomme : « Le Tour me rapproche des autres »

Photo : Corentin VALLET/EPJT

Avant de diriger le Tour de France, Christian Prudhomme, 63 ans, l’a d’abord suivi en tant que fan puis couvert comme journaliste. Vingt ans après avoir rendu sa carte de presse, il revient sur son amour pour cet événement, créé et popularisé par les médias.

Comme tous vos prédécesseurs, vous avez été journaliste avant de prendre la direction du Tour de France. Comment êtes-vous entré dans ce milieu?

Christian Prudhomme. Tout est lié au Tour. Quand j’étais petit, avec mon père et mon frère, on suivait les étapes à la radio. Contrairement à aujourd’hui, seuls les quinze derniers kilomètres étaient retransmis à la télévision. En fait, je suis devenu journaliste pour raconter aux gens ce qu’ils ne voient pas. Même si j’ai voulu faire ce métier grâce à la Grande Boucle, au départ, je ne m’étais pas forcément dit que je serais dans le sport. Mais quand il fallait traiter ce genre de sujet, personne ne levait la main donc j’y suis allé. Pour ma première interview de cycliste, je dois interroger Jean-René Bernaudeau, qui venait d’abandonner sur le Tour. J’appelle l’hôpital et au bout du fil, une dame me dit : « Mais enfin monsieur, vous n’y pensez pas ? ». Et là j’entends une voix derrière : « Si si, je vais répondre. » (rires)

Entre 2001 et 2003, vous commentez le Tour sur France 2. À quoi devez-vous cette ascension ?

C. P. La Cinq m’a offert mon premier CDI. Elle récupère les droits des championnats du monde de cyclisme en 1989 et me demande de les couvrir. C’est la première fois qu’une épreuve cycliste est retransmise en intégralité à la télévision. Ensuite, je commente le Tour de France pour Europe 1 en 1995 et 1996. À mon arrivée sur le service public, Charles Biétry me confie la présentation de Stade 2 et le commentaire du Tour, justement parce qu’il m’a entendu dix ans plus tôt sur La Cinq. 

Rapidement, Jean-Marie Leblanc, qui occupait vos fonctions à l’époque, vous propose de le rejoindre. Comment a-t-il réussi à vous convaincre ?

C. P. Il me contacte en deux fois. La première, c’est en 2001 au Grand Prix de Denain. Il me prend par la manche dans la salle de presse et me dit: « J’aurais bien aimé que ce soit toi après moi, mais on a pris quelqu’un de très bien alors ce ne sera pas toi. » Deux ans plus tard, le 12 avril 2003, à la veille de Paris-Roubaix, il me demande de le remplacer. J’accepte immédiatement car ce truc avait mûri dans ma tête. Je n’ai pas oublié cette date, car le 12 avril 1992 correspond à la fin de La Cinq. Les 800 salariés de la chaîne, dont moi, sont alors jetés au chômage. Tu as une petite notoriété, t’es jeune, ça marche bien et puis d’un seul coup tu longes le mur du cimetière du Père-Lachaise pour aller pointer à l’ANPE [aujourd’hui France Travail, ndlr]. C’est inoubliable.

Vous vous retrouvez patron de la plus grande course cycliste au monde. Avez-vous eu peur de ne pas être à votre place ?

C. P. Bien sûr car le journalisme, c’est le métier de ma vie. C’est la seule chose que je sais faire. Mes amis s’inquiétaient pour moi. Mais comme l’a dit Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue à la tête d’un État africain [le Libéria, ndlr] : «Si vos rêves ne vous font pas peur, c’est qu’ils ne sont pas assez grands.» Heureusement, il y a eu une transition, qui était indispensable : pendant trois ans, je suis l’adjoint de Jean-Marie Leblanc dont je suis en réalité le successeur, l’héritier. Il me dit : « Va voir ce que tu ne pourras plus voir ensuite. » De plus, à mon arrivée, je connais tous les journalistes français qui sont sur le Tour, un certain nombre d’étrangers et surtout, ils savent que j’étais l’un d’eux peu de temps auparavant.

Vous êtes passé de l’autre côté de la barrière. Quelle(s) différence(s) y a-t-il entre commenter et organiser cet événement ?

C. P. Tu as beaucoup moins d’emmerdes. Quand j’étais simple amoureux du vélo ou journaliste, je savais tout ce qui se passait sur la course. Maintenant, dans la voiture, je regarde davantage le gamin qui lâche la main de son père au bord de la route que le champion qui va attaquer. L’aspect sécurité est capital. Je suis tout le temps sur les routes. J’ai cru que je travaillais beaucoup pendant dix-huit ans de journalisme, jusqu’à ce que je fasse autre chose (rires). Si ce n’est pas quelque chose qui est en toi, tu le fais peut-être un an, mais pas dix-huit. Le Tour me rapproche des autres mais m’éloigne des miens. 

 

Recueilli par Thomas LANGEARD et Corentin VALLET

[EN PLATEAU] Ariane Lavrilleux : « Les lanceurs d’alerte sont très peu protégés en France »

Ariane Lavrilleux est reporter et journaliste d’investigation indépendante. Elle a été perquisitionnée et mise en garde à vue, en septembre dernier, pour avoir enquêté sur des ventes d’armes de la France à l’Égypte. Mercredi 27 mars, aux Assises, elle déplore un manque criant de protection des journalistes et de leurs sources, les lanceurs d’alerte, en France.

Réalisé par Laura Blairet/EPJT.

[EN PLATEAU] Emeline Odi : « On veut lutter contre le racisme banalisé dans le journalisme sportif »

Emeline Odi, journaliste sportif indépendante et membre de l’Association des journalistes anti-racistes et racisée (Ajar), anime une sensibilisation contre le racisme dans le journalisme sportif, à l’approche des jeux Olympiques et Paralympiques. Les journalistes ont un rôle à jouer pour ne pas véhiculer des biais racistes. Elle répond aux questions de Maël Prévost.

Réalisé par Maël Prévost/EPJT.

[EN PLATEAU] Ana Navaro Pedro : « Les élections européennes sont très importantes » au Portugal

Ana Navaro Pedro est correspondante pour les médias portugais à Paris, dont l’hebdomadaire Visão. Alors que se profilent les élections européennes, elle revient, mercredi 27 mars aux Assises, sur la perception qu’en ont les Portugais et la récente percée du parti d’extrême droite Chega dans le paysage politique portugais.

Réalisé par Laura Blairet/EPJT.

[INTERVIEW] Nicolas Legendre : « Il y a une prise de conscience sur le monde paysan »

En 2023, Nicolas Legendre a remporté le Prix Albert-Londres pour son livre Silence dans les champs. Photo : Benjamin Géminel/Hans Lucas pour Prix Albert Londres

En 2023, Nicolas Legendre a publié Silence dans les champs (éd. Arthaud), une enquête de sept ans sur l’agro-alimentaire breton, ses dérives politiques et économiques. Il revient sur son travail et le traitement médiatique du monde paysan.

Qu’est-ce qui vous a mené à réaliser une enquête sur l’agroalimentaire breton ?

Nicolas Legendre. En 2015, j’étais pigiste pour Le Mensuel de Rennes et correspondant pour Le Monde en Bretagne et les questions agricoles et agroalimentaires sont devenues des sujets inévitables. J’accumule des témoignages que je prends de plein fouet car ils incarnent le mal-être paysan. Je vois aussi la force du narratif dominant et les éléments de langage répétés par des présidents du syndicat de la FNSEA ou des préfets. Selon eux, l’agroalimentaire sort la Bretagne de la misère. J’ai l’impression qu’ils répètent sans cesse les mêmes choses sans les questionner. En parallèle, j’étais pigiste pour Bretons en cuisine. J’écrivais des portraits de maraîchers et d’éleveurs avec des démarches ancrées dans leur territoire et qui sont dans le bio. Donc je vois aussi le contre-modèle avec ses difficultés économiques comme ses réussites.

Les sujets sur le monde paysan sont plutôt traités par la presse quotidienne régionale. Est-ce que cela a été difficile d’en parler dans Le Monde ?

N. L. Je pense que je suis arrivé au bon moment. Dans les années 2010, il y a une certaine prise de conscience citoyenne à la faveur des problématiques environnementales. Dans ce contexte, cela a été plus facile de leur proposer des papiers et au contraire, il y avait une demande. Le Monde a des journalistes spécialisés sur l’agriculture mais ils étaient basés à Paris. Ces dernières années, nous assistons à un regain pour ce sujet et les causes profondes du dysfonctionnement.

Récemment, les médias ont beaucoup parlé du ras-le-bol et de l’épuisement des agriculteurs suite aux manifestations. Estimez-vous que la couverture médiatique de leur situation représente fidèlement leur situation ?

N. L. Dans ce que j’ai pu voir, un certain nombre de chaînes d’information en continu ont un traitement médiatique assez partial. Dire « les agriculteurs » ne veut rien dire puisqu’il y a tellement de situations, de filières ou d’exploitations différentes. C’est un non-sens. J’entends aussi des éléments de langage répétés par des journalistes sans être questionnés. Comme l’idée que la France est en train de perdre sa souveraineté alimentaire. C’est éminemment questionnable. Après, j’ai lu d’excellents papiers de fond chez Libération, Mediapart, Basta !, Le Monde, France Télévisions ou sur TF1. C’était des analyses de datas ou des enquêtes interrogeant le modèle dominant.

Vous avez travaillé pendant sept ans sur votre enquête Silence dans les champs, récompensée par le prix Albert Londres 2023. Est-ce que vous allez y donner suite ?

N.L. J’ai encore beaucoup de choses à dire mais replonger dans une longue enquête, ça demande un équilibre entre le temps et l’argent. J’écris d’abord une postface pour la version poche de l’enquête. A côté de cela, je travaille sur des projets audiovisuels de documentaires, de fiction et de ciné-concerts qui sont toujours en lien avec ce sujet.

Propos recueillis par Lou Attard (EPJT)

[EN PLATEAU] Hugo Coignard sur les journalistes en formation : « Une génération qui n’accepte plus d’être épuisée »

Le mal-être étudiant est de plus en plus présent, notamment dans les cursus sélectifs de l’enseignement supérieur. Les étudiants en journalisme sont particulièrement concernés et la parole se libère chez ces futurs professionnels de l’info. Hugo Coignard, journaliste pigiste, s’est intéressé au fonctionnement de l’École de journalisme (EDJ) de Science Po.

Réalisé par Maël Prévost/EPJT.

[INTERVIEW] Charlotte Clavreul, sur l’indépendance de la presse : « Il y a eu une prise de conscience »

Charlotte Clavreul, directrice exécutive des Fonds pour la presse libre. Photo libre de droit.

Le Fonds pour une presse libre est la première structure en France à avoir été reconnu mission d’intérêt public pour la protection de l’indépendance du journalisme. Charlotte Clavreul est la directrice exécutive.

Pourquoi le Fonds pour une presse libre a-t-il été créé ?

Charlotte Clavreul. Le Fonds pour une presse libre (FPL) a été créé fin 2019 à l’initiative des cofondateurs de Mediapart avec deux objectifs. Le premier, monter cette structure pour rendre indépendant leur capital. La structure juridique s’inspire du Guardian. Le FPL contrôle le capital de Mediapart via une holding, c’est-à-dire une société pour la protection de l’indépendance du journal. Nous sommes propriétaires de ce capital. Il n’est ni cessible, ni spéculatif. Le second objectif est de protéger le pluralisme de la presse et l’indépendance de l’information.

Comment le Fonds pour une presse libre agit-il pour l’indépendance de la presse ?

CC. Nous accordons des aides financières aux médias indépendants qui candidatent à nos appels à projets. Nous en publions un par an. Ces propositions peuvent impliquer une innovation éditoriale ou des développements techniques. Cela peut être une création de podcasts, la réalisation d’enquêtes longues ou l’amélioration d’une newsletter.

De manière plus précise, comment accordez-vous des aides financières ?

CC. Nous pouvons accorder des aides financières de deux manières différentes. D’abord, sous la forme de subventions qui tournent en général autour de 15 000 euros ou par le biais d’avances remboursables qui débloquent des sommes plus importantes. Dans ces cas-là, cela peut aller jusqu’à 45 000 à 50 000 euros. Nous avons mis en place ce dispositif car les médias n’ont très peu voire pas du tout accès aux établissements bancaires. Quand ils obtiennent des prêts, ce sont à des taux assez élevés. C’est pourquoi nous faisons des avances de trésorerie sans taux d’intérêt. Mais l’organisme n’apporte pas seulement une aide financière, il sensibilise aussi les grands publics. C’est dans cette démarche que sont inscrits les États Généraux de la presse indépendante.

Était-ce une volonté d’inscrire les États généraux de la presse indépendante en même temps que les États généraux de l’information lancés par l’Élysée ?

CC. Oui, Emmanuel Macron a lancé les États généraux de l’information (EGI) le 3 octobre 2023, mais la méthode utilisée n’était pas la bonne. Il n’aurait pas dû lancer ces EGI sans consulter au préalable les journalistes et les syndicats de la profession. Il n’y a pas de transparence sur cette démarche. Les rapporteurs des groupes ont été nommés de façon opaque. Nous avons organisé ces États généraux de la presse indépendante pour montrer que des réformes sont en cours d’élaboration depuis des années. Certaines sont vieilles de trente ans. Il y a une exaspération des journalistes sur les conditions de travail et la mainmise des médias.

Vous avez été auditionnés par les différents groupes qui composent les États généraux de l’information. Est-ce que cela peut influencer leurs conclusions ?

CC. Même si nous avons été auditionnés par le groupe 2 intitulé « citoyenneté, information et démocratie », le 3 sur “l’avenir des médias d’information et du journalisme » et le 5″ spécialisé sur l’État et la régulation », nous ne croyons pas trop aux EGI. Nous voulons qu’une vraie loi sur la presse soit mise en place. C’est une demande commune. La preuve, nous avons réussi à réunir 100 signataires dont des médias indépendants, des organisations syndicales et des associations de défense des droits pour écrire 59 propositions. Ensuite, nous nous sommes mis d’accord sur 16 recommandations à défendre devant les parlementaires. Récemment, nous avons été auditionnés à l’Assemblée Nationale par Violette Spillebout. Nous avons été agréablement surpris du rapport parlementaire sur la Loi Bloche, car des propositions des États généraux de la presse indépendante ont été reprises, comme l’existence juridique des rédactions. Pourtant, rien ne bougeait il y a encore un an, voire six mois à peine. Il y a eu une prise de conscience avec les États généraux de la presse indépendante.

Les prochains États généraux de la presse indépendante se tiendront à Lille le 3 avril prochain. Avez-vous remarqué une différence avec ceux organisés à Paris ?

CC. Oui, contrairement à ceux organisés à Paris, nous avons des échanges avec le public pour préparer l’événement. À Marseille, des rapporteurs sont allés sur la Cannebière pour interroger les habitants de la ville sur leurs ressentis vis-à-vis des médias. Pour certains, ce qui ressort, en plus de la défiance envers les médias, c’est d’être noyé sous l’information. L’indépendance des médias était aussi un sujet d’inquiétude.

Recueilli par Inès FIGUIGUI et Noé GUIBERT

 

 

[INTERVIEW] Me Pierre-Eugène Burghardt : « La presse reste assez mal vue par le législateur »

Me Pierre-Eugene Burghardt constate que les procédures bâillons sont désormais quasiment systématiques. Photo : collection personnelle Me Burghardt

Me Pierre-Eugène Burghardt est élu au Conseil scientifique de l’association des avocats praticiens du droit de la presse. Il déplore le manque de protection juridique contre les procédures-bâillons.

Depuis une dizaine d’années, les poursuites judiciaires à l’encontre de journalistes se multiplient. On les nomme « procédures-bâillons ». Elles servent à faire taire ceux qui parlent et à dissuader ceux qui voudraient parler. Pour les journalistes et les médias visés, c’est une charge financière et mentale très lourde.

Pour intimider les journalistes visés, les procédures-bâillons multiplient souvent les poursuites, à la fois en droit pénal (diffamation…) et en droit civil (concurrence déloyale…). Comment la loi française les protège contre elles ?

Burghardt Pierre-Eugene. L’appréhension des procédures-bâillons en matière de presse est assez lacunaire en droit français, quel que soit le type de droit traité. Il y a des dispositions du Code de procédure civile qui sanctionnent les accusations abusives, mais elles sont peu appliquées car les juges y sont réticents. Seul le droit d’accès à la justice est primordial. Du côté du droit pénal, l’article 475- du code de procédure pénale permet à celui qui attaque la partie civile, d’obtenir le remboursement de ses frais d’avocat. Toutefois, cette disposition n’est pas au bénéfice de la personne qui est prévenue ou poursuivie, même abusivement. Mais les choses évoluent légèrement. La 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris a rendu un jugement qui a condamné Konbini à 6 000 euros de dommages et intérêts pour procédures abusives contre La Lettre A. Elle a dégagé pour la première fois des critères permettant d’identifier une procédure-bâillon. C’est un jugement qui suit la volonté européenne d’encadrer les procédures-bâillons, avec notamment un projet de directive sur cette question.

Est-ce que ce projet de directive de l’Union européenne qui vise à mieux encadrer les procédures-bâillons est un réel progrès ? Pourra-t-elle améliorer la protection des journalistes une fois transposée dans le droit français ?

P.-E. B. La directive elle-même me paraît assez insuffisante. Elle ne s’applique qu’en matière civile et commerciale. C’est un problème car le vrai cœur du sujet en France est le caractère pénal. Généralement, les procédures en diffamation relèvent du droit pénal et ne sont donc pas concernées par la directive.

Pourquoi la France attend que le droit communautaire se saisisse de ces questions plutôt que de se saisir directement du problème en droit interne ? 

P.-E. B. Peut-être que nos députés manquent d’imagination ! Mais je ne pense pas. La classe politique a dans la tête que les journalistes sont un peu des empêcheurs de tourner en rond. La question qui se pose pour les pouvoirs politiques est de savoir s’ils ont vraiment envie de protéger efficacement les organes de presse contre ces procédures abusives. Quand on voit la révélation de l’affaire Benalla ou de l’affaire Cahuzac, on peut se dire que malgré les discours favorables à la liberté de la presse, elle reste en réalité assez mal vue par le législateur. D’où l’immobilisme de la France sur cette question.

Quels sont les dispositifs qui pourraient être mis en place en France pour assurer une protection efficace des journalistes ?

P.-E. B. Je pense qu’il faudrait d’abord contraindre les juridictions à étudier le bien-fondé d’un recours avant d’en examiner le fond. Quand une procédure de presse est engagée, le juge d’instruction a assez peu de pouvoir. Il peut uniquement mettre en examen l’auteur des propos, qui sont ensuite examinés devant les juridictions correctionnelles. Il faudrait permettre au juge d’instruction d’examiner ou de recueillir les observations des parties sur le caractère abusif, ce qui pourrait éventuellement conduire à une irrecevabilité. Ensuite, je pense qu’il faudrait créer des délits de manipulation de l’information pour lutter contre cette fabrique d’information afin de permettre aux personnes abusivement poursuivies de se constituer partie civile pour obtenir réparation, que ce soit lors d’une relaxe ou si la procédure venait à être annulée pour non-respect des dispositions de la loi de 1881. Aujourd’hui, si vous obtenez une nullité, vous ne pouvez même pas recouvrer vos frais de justice. Vous avez juste la nullité et ça, ça me paraît un peu léger.

Propos recueillis par Noé Guibert (EPJT)

[EN PLATEAU] Renate Schroeder : la loi sur la liberté des médias « n’est pas assez ambitieuse »

Renate Schroeder est la directrice de la Fédération européenne des journalistes (FEJ), qui rassemble les associations professionnelles et les syndicats de journalistes à l’échelle européenne. Elle s’exprime sur l’adoption par le Conseil européen, mardi 26 mars, de la loi sur la liberté des médias (Media Freedom Act). Parmi les enjeux, la lutte contre l’utilisation de logiciels espions à l’encontre des journalistes.

Réalisé par Laura Blairet/EPJT.

[EN PLATEAU] Manoubi Marouki, secrétaire général du Conseil de presse tunisien, sur la liberté de la presse en Tunisie

En Tunisie, le décret-loi 54 suscite les inquiétudes de Manoubi Marouki, Secrétaire général du Conseil de presse Tunisien. Le décret « sous couvert de lutte contre la cybercriminalité et des « fake news », permet aux autorités tunisiennes d’imposer des restrictions illégales et arbitraires à l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression”, explique la Commission internationale des juristes (ICJ).

Réalisé par Maël Prévost/EPJT.

[INTERVIEW] Jean-Marc Duret : « Je ne serais pas à l’aise en couvrant une rencontre de mon club »

Jean-Marc Duret dans les locaux de La Nouvelle République, lundi 25 mars 2024, avec son article sur la victoire d’Alexis Lebrun lors des championnats de France de tennis de table. Photo : Paul Vuillemin/NR
Jean-Marc Duret découvre le journalisme en devenant pigiste, en rubrique sport, à Nantes, à l’âge de 17 ans. Depuis 2009, il est journaliste sportif à La Nouvelle République et joue au tennis de table à Saint-Avertin, en Régionale 3 dans la catégorie Vétérans 2 (+ 50 ans).

Le journalisme et le sport occupent chacun une place importante dans votre vie. Si vous deviez choisir l’un ou l’autre, que feriez-vous ?

Jean-Marc Duret. Je choisirais les deux. J’ai toujours été très sportif et intéressé par la presse. Le sport, c’est une passion. J’ai joué au basket pendant plus de 20 ans avant de me lancer dans le tennis de table, que j’ai découvert il y a une dizaine d’années, en inscrivant mon fils. J’ai rapidement accroché et commencé la compétition.

J’étais aussi attiré par l’actualité et j’ai demandé à être correspondant sportif à Presse Océan, où j’ai travaillé pendant quatre ans en parallèle de ma licence d’histoire. Puis j’ai décroché un premier poste professionnel dans l’hebdomadaire Courrier du pays de Retz, au sein duquel je traitais l’actualité générale. En réalité, c’est quand je suis arrivé à La Nouvelle République, en 2000, que je me suis réellement spécialisé dans le journalisme sportif.

En tant que joueur de tennis de table, vous avez sûrement plus de relations dans ce sport-là. Arrivez-vous à critiquer des clubs et des joueurs que vous affectionnez particulièrement ?

J-M D. Je connais bien les deux clubs professionnels de tennis de table, masculin et féminin, de Tours. Je les couvre régulièrement et ils savent que je fais la part des choses. Si certains ne me connaissent qu’en tant que joueur, je les préviens en arrivant que je suis là en tant que journaliste. Il y a un bon feeling. Ce n’est pas un star system.

Couvrez-vous les rencontres de votre club ?

J-M D. Au club de Saint-Avertin, nous ne jouons pas à un niveau suffisant pour qu’il y ait régulièrement des articles. Mais je ne serais pas à l’aise de couvrir une rencontre de mon club. Si je n’étais que joueur, je pense que je pourrais. Mais je suis aussi vice-président et je suis donc directement impliqué dans le fonctionnement du club, ce qui entraînerait une situation délicate.

 

Edgar Ducreux 

[EN PLATEAU] Marie Portolano : « Le sport est le dernier bastion des hommes »

Marie Portolano est coprésentatrice de Télématin sur France 2. Elle a réalisé un documentaire sur le sexisme dans le journalisme sportif, « Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste », en 2021, et vient de publier un livre sur le même sujet : « Je suis la femme du plateau », en mars 2024. Elle se dit optimiste quant à l’évolution des mentalités dans le milieu.

Réalisé par Laura Blairet/EPJT.

[EN PLATEAU] Léandre Leber : « Il faut un lien de proximité entre les médias et les clubs de sport »

Léandre Leber est journaliste fondateur de La Gazette des Sports, un média situé à Amiens (Somme). Il promeut l’Education aux médias et à l’information (EMI) dans les clubs de sport. L’objectif : améliorer les relations entre ces clubs et les journalistes pour contribuer à une meilleure information.

Réalisé par Anne-France Marchand/EPJT

[EN PLATEAU] Aziza Naït Sibaha : « Les médias sont essentiels pour promouvoir le sport au féminin »

Aziza Naït Sibaha est journaliste et présentatrice sur France 24 et la fondatrice du média Taja sport, qui traite du sport « au féminin » dans les régions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Dans le cadre des Assises internationale du journalisme de Tours, le 26 mars 2024, elle s’exprime sur les représentations des sportives dans les médias.

Réalisé par Laura Blairet/EPJT.

[EN PLATEAU] Romain “Caelan” Albesa : « Les médias traditionnels parlent de plus en plus d’e-sport »

Romain Albesa, dit « Caelan », est le fondateur et manager général de l’équipe e-sport de Solary, basée à Tours. À l’occasion des Assises 2024, il était invité à une conférence dédiée à la couverture médiatique du e-sport en France. Il répond aux questions de Zacharie Gaborit.

Réalisé par Zacharie Gaborit/EPJT.

[EN PLATEAU] Jérôme Bouvier : « On ne peut pas ignorer le massacre des journalistes à Gaza »

Jérôme Bouvier est le président de Journalisme & citoyenneté, association organisatrice des Assises du journalisme de Tours. Il lance le mardi 26 mars 2024 la 17e édition des Assises. Au programme cette année : le sport, l’éducation aux médias et la situation des journalistes sur les théâtres de guerre.

Réalisé par Maël Prévost/EPJT.

[INTERVIEW] Quentin Müller : « J’ai fait mon travail, raconter des faits et les prouver »

Quentin Müller est désormais rédacteur en chef de la rubrique International de Marianne. Photo : Lou Attard/EPJT

Début 2024, TotalEnergies Yémen a été assigné en justice pour avoir pollué les sols de la région de l’Hadramaout. Cette plainte intervient après une enquête dans L’Obs de Quentin Müller. Il revient sur l’enquête qui lui a valu le Grand Prix Varenne de la presse magazine 2023. 

Parlez-nous de votre attrait pour la péninsule arabique et particulièrement pour le Yémen.

Quentin Müller. J’ai eu un déclic lors de mon premier reportage en Galilée, dans le nord d’Israël. J’ai été pigiste pendant dix ans dans les pays du Golfe. Je n’avais pas envie d’errer de pays en pays, y passer deux semaines et après passer à autre chose. Je voulais me poser dans une région et comprendre les dynamiques géopolitiques. Avec mon collègue Sebastian Castelier, on a travaillé sur Oman et beaucoup d’histoires ressortaient sur le Yémen qui partage une frontière avec ce pays. J’ai commencé à faire des allers-retours pendant deux ans avant de finir par y aller plus longtemps. Quand je suis arrivée à Socotra, une île du Yémen, je ne pouvais pas croire que de tels paysages existaient. Plus tard en 2022, je prends connaissance de pollutions d’entreprises pétrolières étrangères. Beaucoup de personnes meurent de cancer à cause de ça. Je me dis tout de suite qu’il fallait y aller.

Dans votre une enquête, vous mentionnez « une brillante étude du think-tank américano-yéménite Sana’a Center, sans laquelle cette enquête n’aurait pas démarré ». Comment avez-vous pris connaissance de cette étude ?

QM. En 2020, après un reportage à Bagdad, en Irak, je suis tombé sur cette étude qui parlait de pollution dans l’Hadramaout, une région magnifique. Un chercheur parlait d’entreprises pétrolières, sans mentionner que c’était TotalEnergies. Il y avait beaucoup de problèmes listés de manière précise sur une zone d’exploitation pétrolière appelée le bloc 10. Je me dis tout de suite que c’est quelque chose d’énorme. Je me promets que si un jour je vais au Yémen, je vais faire un reportage là dessus.

Comment avez-vous déjoué les éléments de langage du service de communication de TotalEnergies ?

QM. Les multinationales ne vont pas reconnaître avoir fait des erreurs. Je les ai contactés très tard pour consolider tout ce que j’avais sur le dossier. Au-delà de la déontologie journalistique, ce qui était très important, c’était de voir où est-ce qu’ils allaient se prendre les pieds dans le tapis. Je voulais voir leurs contradictions en leur posant des questions dont j’avais les réponses. Ça n’a pas été très compliqué pour moi de prouver que c’était des mensonges. Au début, je me disais qu’ils allaient peut-être me jeter le doute, qu’ils allaient produire des rapports qui me causeraient des maux de tête. Quand j’ai vu leurs réponses, j’ai su que c’était bon. J’étais convaincu que j’avais vraiment quelque chose de concret parce que leurs arguments étaient totalement à côté de la plaque. Ils n’ont même pas répondu à certaines questions. J’avais des preuves tellement solides: des rapports gouvernementaux officiels yéménites, des extraits d’échanges entre Total et des plaignants yéménites et des témoignages d’ingénieurs et de personnes sur place.

Qu’est-ce que ça vous fait de savoir que votre enquête a donné la force à ces personnes de témoigner après un premier échec de plainte en 2015 ?

QM. C’est très gratifiant. Ça arrive peut-être quelquefois dans la vie d’un journaliste, c’est très rare que ça aboutisse à un procès et en même temps, je joue ma crédibilité. Je suis très heureux d’avoir donné un peu d’espoir. Malgré toute la souffrance que j’ai pu voir durant cette enquête, je n’ai pas franchi cette limite. J’ai juste fait mon travail, c’est-à-dire raconter des faits et les prouver avec des documents.

Propos recueillis par Lou ATTARD

[INTERVIEW] Sophie Rolland : « Les compétitions doivent intégrer les enjeux environnementaux pour de vrai »

Sophie Roland est formatrice aux enjeux de climat et de biodiversité pour les rédactions. Photo : Irène Prigent/EPJT.

La charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence climatique le démontre : la volonté de traiter des sujets environnementaux est de plus en plus forte au sein des rédactions. Des cellules dédiées ou des rubriques environnement ont vu le jour. Mais cette thématique concerne tous les services, sport inclus. 

Comment forme-t-on aux enjeux climatiques ?

Sophie Rolland.  Le but de la formation est de proposer de nouveaux angles, pour des sujets d’adaptation. D’abord, on rappelle les bases scientifiques. On explique ensuite l’importance d’intégrer cette question à tout traitement médiatique. Je prends toujours l’exemple du sport. Interroger le choix des sportifs, c’est aussi éclairer le débat public.

Comment aborde-t-on la question des enjeux climatiques dans le sport ?

S.R. Les Jeux olympiques, ça pourrait être le moment-clé pour s’intéresser aux enjeux. Au-delà de l’organisation de la compétition, c’est le régime des athlètes par exemple qu’on peut interroger. Questionner l’empreinte carbone des touristes, le climat mais aussi la biodiversité. Les compétitions doivent intégrer les enjeux environnementaux pour de vrai. Le rôle des journalistes, c’est d’aller voir jusqu’au bout la manière dont elles l’intègrent ou pas.

Les rédactions sont-elles assez sensibilisées ?

S.R. Pour l’instant, les rédactions ne s’emparent pas assez de ces questions. Il s’agit en fait de remettre en cause des décisions politiques en amont des compétitions. Pour le Qatar par exemple, la décision avait été prise il y a trop longtemps, c’était trop tard. Pour les futures grandes compétitions, dont la Coupe du monde de 2030 qui devrait s’organiser sur trois pays, on devrait déjà remettre en question ce choix dans les rédactions. On devrait se poser ce genre de questions : est-ce qu’on peut organiser des manifestations sportives comme ça ? Est-ce qu’on ne devrait pas renoncer à organiser une compétition avec un impact environnemental aussi élevé ? Le Shift Project a récemment publié un rapport sur la décarbonation des stades. On pourrait par exemple poser la question dans nos articles : comment décarboner les stades ? La formation donne les bases. Maintenant, les réflexions actuelles portent sur une formation plus spécifique.

                                                                                                       Propos recueillis par Clara Duchêne et Victoire Renard Dewynter (EPJT)

[EN PLATEAU] Isabelle Roberts & Raphaël Garrigos : « Se comporter en bons artisans du journalisme »

Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos sont présents aux Assises du journalisme 2023. Le duo qui a créé « Les Jours » en 2015 est cette année président du jury. Nous les avons interrogés avant la remise des prix sur les spécificités de leur média en ligne, ainsi que sur les grandes réflexions qui ont court dans le métier actuellement.

Réalisé par Zacharie Gaborit/EPJT.

[Interview] Michel Dumoret « Jamais considérer que ce qu’on reçoit sur les réseaux sociaux c’est argent comptant »

L’arrestation de Donald Trump ou encore Emmanuel Macron en éboueur dans les rues parisiennes sont, entre autres, les images qui circulent sur les réseaux sociaux ces derniers semaines. Leur point commun ? Elles ont été générées à partir d’un programme d’intelligence artificielle (IA), Midjourney. Avec des IA de plus en plus performantes, le risque pour les médias de propager une fausse image est présent. Michel Dumoret, directeur en charge de la lutte contre la désinformation à France Télévisions, revient sur le risque « démocratique » de ce type d’image et comment France Télévisions travaille dans ce contexte. Il évoque également les bons réflexes à adopter.

Réalisé par Kelvin Jinlack/EPJT.

[INTERVIEW]« Ensemble on retrouve le goût de l’info, le plaisir de s’informer »

Photo : Mathilde Lafargue/EPJT

Jérôme Bouvier, Président de Journalisme et Citoyenneté, l’association organisatrice des Assises, nous explique l’idée derrière la thématique de cette année « Retrouver le goût de l’info ».

« Une des raisons pour laquelle on fait ce métier de journaliste, c’est parce qu’on a le goût de l’autre, du terrain, des gens, des histoires, des parcours. Et je pense que depuis trois ans on a un peu perdu ce goût des gens. » C’est ainsi que Jérôme Bouvier justifie le thème de cette 16e édition des Assises internationales du Journalisme de Tours.

Une idée qui lui est venue après trois années intenses en actualité et qu’il a proposé cet automne au comité des Assises : « Je ne sais pas si vous vous souvenez les trois dernières années des Assises. On a eu s’informer au moment du Covid, ce moment incroyable où le monde s’est arrêté, il y a eu la guerre en Ukraine, il y a eu l’urgence climatique avec l’anxiété qu’elle génère. C’étaient des thèmes d’actualité très précis. Trois ans après, cette succession d’événements nous a profondément marqué dans nos rapports à l’actualité, dans notre rapport au monde et à l’autre. On a profondément perdu nos repères. »

Jérôme Bouvier a répondu aux questions d’Elise Bellot de l’EPJT. 

Pour le Président de Journalisme et Citoyenneté, cette nécessité de « redonner le goût de l’info » concerne autant les journalistes que les citoyens : « On le verra dans le baromètre ViaVoice des Assises qu’on rend public cet après-midi. Il y a plus d’un tiers de nos concitoyens qui disent « moi, depuis le Covid, depuis la guerre en Ukraine, je ne veux plus suivre l’info, c’est trop anxiogène pour moi ». Et puis, il y a ceux qui nous disent : « je ne veux plus suivre l’info parce que je ne nous fais plus confiance ». » C’est un travail collectif : « Ensemble on retrouve le goût de l’info, le plaisir de s’informer. »

 

Fanny Uski-Billieux (EPJT)

[INTERVIEW] Elin Casse : « En tant que femme trans, je sers parfois à redorer le blason de certains médias »

Photo : Maëva Dumas/EPJT

Elin Casse, journaliste chez Radio Parleur et membre de l’association des journalistes LBGT (AJL), porte un regard critique sur le traitement des communautés queer par les médias. Un sujet qui l’affecte directement en tant que journaliste et femme trans.

Comment les médias abordent-ils les sujets liés aux communautés queer ?

Le plus souvent, le traitement de ces thématiques est maladroit. Pour commencer, les sujets sont souvent les mêmes. On parle rarement du sida chez les lesbiennes par exemple. Cela va être plutôt des thèmes qui correspondent aux fantasmes associés aux LBGT+ : le chemsex, la chirurgie autour de la transition, le sexe entre deux lesbiennes. La vision qu’on a de la communauté est d’ailleurs souvent liée à la pornographie. Au-delà des sujets, le vocabulaire employé peut aussi poser problème comme lorsqu’on parle des personnes trans. Dans certains articles, le dead name est cité ou le mauvais pronom est utilisé pour qualifier une personne. Cela peut sembler être des détails mais ça touche directement à l’identité des trans. Il y a aussi des sujets où l’écriture est maladroite mais les informations données correspondent à la réalité et partent d’une bonne intention. Je pense notamment à l’émission de Karine Le Marchand l’année dernière, « Enfant trans : comment faire ? », le titre est désastreux mais l’idée était de sensibiliser à la trans-identité.

En tant que journaliste et femme trans, quel est votre ressenti vis-à-vis de ces médias ?

E.C. Je suis mitigée. Je travaille pour une radio indépendante et je vais devoir me tourner à contre-coeur vers des médias plus généralistes parce que je ne gagne pas suffisamment d’argent. Si je dis à contre-coeur, c’est parce que je sais que les sujets qu’ils abordent sur les communautés queer sont catégorisés. Il y a aussi le fait qu’en tant que femme trans, je sers parfois à redorer le blason de certains médias. Médias qui le plus souvent me contactent après avoir été accusés de discrimination. 

Selon vous, quels changements devraient être opérés dans la façon de traiter l’actualité liée aux communautés queer ?

E.C. Pour commencer, il faudrait simplement faire preuve de déontologie journalistique. Quand je vois un psychologue et un prêtre sur un plateau télé pour aborder la trans-identité, je me demande où est la contradiction. Il faut donner la parole aux personnes directement concernées. Les journalistes devraient aussi lire plus de la littérature scientifique à propos des transitions ou tout simplement des ouvrages liés à la communauté LGBTQI+. Enfin, il faut faire attention au vocabulaire utilisé et ne pas être dans une forme de voyeurisme en abordant que des sujets « chocs » comme le chemsex.

Recueilli par Maëva Dumas (EPJT)

[INTERVIEW] Yousra Gouja : « La diversité doit être visible »

Photo : Tom DEMARS-GRANJA/EPJT

Étudiante La Chance en 2018-2019, puis à l’ESJ-Pro, Yousra Gouja est aujourd’hui pigiste. Présente à l’atelier « Diversité dans la rédaction : Les RH s’engagent avec La Chance » aux Assises internationales du journalisme, elle revient sur son expérience et pointe du doigt les enjeux de la lutte pour la diversité au sein des rédactions.

Durant la conférence, Estelle Ndjandjo, porte-parole de l’Association des journalistes antiracistes et racisés (AJAR) a interpellé l’association La Chance : « Vous parlez d’un recrutement basé sur des critères sociaux, je me demande quels sont-ils ? Vous parlez de diversité, j’ai vu la promo La Chance cette année, ce n’est pas ce que j’appelle diversité. » La rejoignez-vous sur ce point ?

Yousra Gouja. Bien sûr ! La Chance ce ne sont pas que des personnes racisées. Il faut aussi prendre en compte notre territoire. Paris, ce n’est pas le fin fond de l’Auvergne, où les opportunités sont presque inexistantes. Il ne faut pas ignorer ces conditions. Ce qui n’est pas normal c’est que ces profils auront plus de chance à l’embauche qu’un Parisien racisé. On sait très bien que le prénom Mohammed est mis de côté dans la pile des CV. Les rédactions internationales ont compris. À la BBC par exemple, il y a de tout, c’est l’idéal. La diversité doit être visible. Tout le monde n’est pas blanc en France, pourtant, on continue de faire les mêmes erreurs.

Quelles sont les limites de La Chance ?

Y. G. La Chance nous aide et nous prépare à ce à quoi nous pourrons être confrontés après les écoles. Ils sont là pour nous challenger. Parfois trop et des propos discriminatoires ou déplacés vont être exprimés, notamment pendant les épreuves orales pour intégrer La Chance. Ils en sont conscients et savent qu’il y a un travail à faire. Il y a un code de bonne conduite à adopter. Il faudrait que des formations anti-discrimination soient mises en place. Premièrement pour lutter contre ces comportements, mais aussi et surtout, pour que les membres de La Chance prennent conscience de ce problème. Trop d’abstractions sont faites, il y a peu de remise en question. Ils travaillent pour les médias, mais également pour les Français. Il y a urgence sur la question. J’ai déjà été confrontée à des journalistes qui ne savent pas comment me parler ou qui ne vont pas aborder certains sujets avec moi, parce qu’ils pensent que je vais « m’énerver » [rire].

Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontée aujourd’hui en tant que journaliste ?

Y. G. Pour commencer, il y a des enjeux face à la diversité. Parce que je suis racisée, on va penser, dans certaines rédactions, que je ne vais pas m’intégrer et comprendre le jargon. D’autant plus que je travaille sur des thématiques spécifiques et très techniques : majoritairement l’immobilier. C’est un milieu très masculin où l’on va me faire des réflexions sur mes cheveux, sur ma langue natale. Ce n’est pas méchants, selon eux, mais ce sont des remarques constantes. D’où l’intérêt d’éveiller les consciences avec des formations par exemple.
Ensuite, en tant que pigiste nous sommes confrontés à un manque de transparence et de communication avec les rédactions. Nous passons trop de temps à attendre et à relancer. Les pigistes ont besoin de réponses ou ils finiront par changer de métier. C’est un combat permanent alors que nous avons tous le même objectif : nous sommes tous là pour faire en sorte que le lecteur ait la bonne information. Nous sommes ensemble.

 

Recueilli par Sarah Costes et Manon Louvet (EPJT)

[INTERVIEW] EMI : « La façon de faire ne peut être que territoriale », défend Tarik Touahria

Tarik TOUAHRIA, président de la Fédération des centres sociaux, à la fin de la conférence « Quels changements pour une politique de l’Éducation aux médias et l’information (EMI) tout au long de la vie ? », mardi 28 mars. Photo : Roméo Marmin/EPJT

Tarik TOUAHRIA est président de la Fédération des centres sociaux depuis 2020. Il porte haut et fort le rôle des centres sociaux comme acteurs de démocratie pour plus de justice sociale.

Vous avez été la voix des acteurs associatifs de l’EMI durant cette conférence, quelle légitimité quand on est ni journaliste ni professeur ?

C’est la légitimité de la citoyenneté. Finalement, notre légitimité c’est le bien public, tout simplement. Au titre du bien public, ça concerne tout le monde y compris l’éducation populaire. Depuis son origine, l’éducation populaire travaille les questions de renforcement du sens critique et l’appartenance de l’information au privé. 

Dans le public, des membres associatifs de l’EMI ont évoqué leurs craintes face à une initiative d’homologation de leur pratique. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Je comprends l’intention de la Mission Flash de dire : « Il y a besoin d’un certain niveau de qualité des actions d’éducation aux médias. » Par contre, je ne suis pas sûr que l’homologation, en ce qui concerne l’éducation populaire, soit le meilleur moyen de le faire. Je préférais que les moyens proposés viennent d’en bas en terme de formation des acteurs, des engagements ou de la constitution d’une charte. Il nous paraît assez dangereux d’avoir des modèles qui descendraient du haut pour être appliquer en bas. 

Il y a un problème de coût parce que, souvent, il faut payer les homologations. Il peut y avoir des petites associations qui n’ont pas les moyens de payer ces formations et de prendre en charge 100 % des coûts. Il y a aussi des questionnements sur la capacité des acteurs à innover et inventer pour répondre à des problématiques très spécifiques. C’est la même question que la liberté associée à la loi de 1901, qui est une loi de confiance. Or, plus ça va, plus on est en train de transformer cette confiance en défiance alors qu’on a besoin de liberté pour innover. Si on nous met tout le temps de la suspicion, c’est absolument contre-productif. Il faut laisser l’éducation populaire utiliser ces propres moyens et partir de là pour les innover et les renforcer. Il faut faire attention que ça ne devienne pas trop normatif. 

Vous avez parler de la nécessité de créer des agents de coopération territoriale autour de la question de l’information. Pourquoi et à quels besoins ils répondent ?

Pour construire une politique d’intervention sur un sujet vital comme celui-là, il faut nécessairement partir des territoires. Il faut se baser sur le savoir-faire et les problématiques spécifiques aux territoires. Ce n’est pas la même chose de travailler sur les questions d’éducation aux médias à La Ferté-Macé (Orne) que dans le quartier nord de Marseille (Bouches-du-Rhône). Les choses ne vont pas se gérer de la même manière. Rien qu’au niveau du diagnostic, il faut regarder ce qu’il fonctionne et les forces du territoire pour ensuite intervenir. Certaines personnes préconisent de cibler des populations parce qu’il y a urgence mais comment on construit ces cibles et celles-ci ne sont pas les mêmes partout. La façon de faire ne peut être que territoriale. Un acteur comme la région ou le département ne peut pas être le seul à décider. La députée, Mme Violette Spillebout, a évoqué les communautés de communes comme pouvant être un niveau d’échelle intéressant surtout sur un sujet comme l’Education aux médias. 

Recueilli par Jane Coville et Roméo Marmin

Alhussein Sano, l’exemple parfait de l’utilité de la Maison des Journalistes

Alhussein Sano (à gauche) et Albéric De Gouville (à droite) discutent de la liberté de la presse sur la scène de l’Agora à Mame.

Photo : Tom Demars-Granja/EPJT

La Maison des Journalistes intervient tous les matins à 9h15 à l’Agora de l’Espace MAME devant un public de collégiens et de lycéens. L’association a été fondée en 2002 pour accueillir les journalistes réfugiés en France et pratique l’éducation aux médias et à l’information (EMI) depuis 2007.

L’Agora n’est pas encore tout à fait remplie mardi 28 mars à 9 h du matin. Ce sont principalement des adolescents qui sont assis, même si la conférence est ouverte à tous. Tous les matins, de 9h15 à 10h30, pendant les Assises, la place est laissée à la Maison des Journalistes (MDJ).

Sur la scène, deux intervenants : Albéric De Gouville et Alhussein Sano. Le premier est le président de l’association. Le second est un journaliste guinéen, demandeur d’asile, qui vit en ce moment à la MDJ à Paris.

Car accueillir des journalistes en exil, menacés pour leur profession dans leurs pays d’origine est la priorité de cette association, fondée en 2002. « Il y a quatorze chambres pour six à huit mois de présence par personne, le temps que les demandes d’asile soient acceptées » explique Albéric De Gouville.

L’association propose à ses protégés des aides pour les démarches, des cours de français et organise des évènements. Elle est financée par des organismes français, le fond européen pour les réfugiés et par des médias partenaires.

Ce n’est pas tout : « L’autre mission principale de la Maison, c’est l’éducation aux médias et à l’information », précise M. De Gouville. A travers le projet Renvoyés Spécials, les journalistes de la Maison rencontrent des classes de collèges et de lycées à travers la France. Pendant les Assises internationales de journalisme de Tours, cette rencontre a lieu à Mame.

Arrêté par la junte guinéenne

Alhussein Sano est un professionnel de médias depuis 2007. En Guinée, il travaillait à la tête d’une agence de production. Celle-ci travaillait en collaboration avec la RTJ, la radio-télévision publique guinéenne. Lui-même a exercé le poste d’animateur d’une émission de télévision culturelle. En 2013, il devient directeur des programmes de la chaine.

En 2017, « le directeur général est remplacé par un militant du parti au pouvoir » explique Alhussein Sano. La ligne éditoriale change pour une promotion active du président, Alpha Condé et de son troisième mandat consécutif. « Je me suis opposé à cette promotion et j’ai donc été rétrogradé. Par la suite, je me suis surtout concentré sur mon agence de production. » C’est là que les ennuis ont commencé : « Je louais mon matériel aux opposants, j’ai fait un documentaire sur les oppositions au troisième mandat, j’interviewais des jeunes de cette frange. On refusait de diffuser mes productions. »

En 2021, il y a eu un coup d’Etat militaire en Guinée. M. Sano continue à louer son matériel aux mêmes opposants. Cette fois-ci, il ne s’agit plus de mise au placard mais de menaces physiques. « J’ai été arrêté deux fois, à la première, j’ai été emprisonné et j’ai réussi à m’enfuir. C’était en juin 2022. Un mois plus tard, après la première grande manifestation de juillet contre la junte. Le lendemain, on est revenu m’arrêter. J’ai une nouvelle fois réussi à m’enfuir et ai préféré quitter le pays avec ma famille. »

« Ca me fait du bien ces rencontres »

Sano arrive donc en France fin 2022. « J’ai découvert la Maison des journalistes sur internet. Je les ai contactés, ils m’ont poussé à faire ma demande d’asile. » Après trois mois en hébergement d’urgence pour les demandeurs d’asile à Strasbourg, puis dans un centre d’urgence à Reims, il est finalement recontacté par la MDJ et s’y installe le 7 décembre dernier.

Il a participé lui-même aux opérations Renvoyé Spécial à Paris et à Montpellier. C’est la première fois qu’il vient aux Assises de Tours. « Ça me fait du bien ces rencontres. Cela me permet de parler de mon métier. J’échange avec des collégiens et des lycéens, je leur parle de l’importance de la liberté d’expression qui est un pilier de la démocratie et même, pour moi, un pilier de l’existence. »

Laura Blairet

[INTERVIEW] Marc Sinnaeve : « La question d’environnement touche absolument à tout »

Marc Sinnaeve lors du débat « Journalisme en Europe et urgence climatique : l’heure des choix ». Photo : Jihane ZIYAN/Ihecs

Marc Sinnaeve est enseignant à l’Ihecs en information économique, écologique et sociale. Il décrypte la difficulté de traiter la question écologique pour les journalistes tant elle est multiforme et touche à tous les secteurs de la vie économique et sociale.

Les journalistes sont-ils à la hauteur de l’urgence climatique?

Marc SINNAEVE. La plupart des journalistes salariés en matière d’écologie et d’environnement le sont parce qu’il s’agit très souvent d’un engagement. C’est donc des personnes qui s’intéressent à la question depuis longtemps. Si ce n’est pas le cas, ils ont investi beaucoup d’énergie parce qu’il s’agit d’une question très large. Pour la maîtriser, il faut travailler beaucoup. Pour les indépendants, c’est peut être une autre question à traiter. Mais les journalistes salariés ont cet investissement nécessaire, en tout cas dans ce que je vois. Il y a cependant une limite malgré tout, mais qui ne tient pas tant à la qualité du travail et aux compétences de ces journalistes mais plutôt des freins et des limites liés à la complexité du sujet. Effectivement, parler de climat aujourd’hui c’est aussi parler des solutions mais aussi des problèmes, des causes, des origines des bouleversements que l’on vit aujourd’hui. Ces origines et ces causes résident notamment dans notre modèle économique de croissance illimitée. Celui-ci est au cœur de notre société et ce depuis la révolution industrielle. Il est finalement le socle de l’organisation capitaliste de nos sociétés. C’est une partie intégrante du décor, une réalité et une évidence de nature au point qu’on ne songe même pas à questionner – je ne dis pas forcément à critique r- l’intérêt et la persistance de ce modèle. Il est pourtant à l’origine de la destruction des écosystèmes à travers les énergies fossiles qui sont utilisées pour nourrir la croissance.

Y a-t-il une autre limite, propre à la profession ?

M. S. Prenons un exemple : si un journaliste veut questionner le poids de l’industrie automobile ou la pertinence du switch qui est en train de s’opérer vers les voitures électriques (et donc finalement une réponse de marché et de croissance à des problèmes causées par la croissance), il risquent de se voir confrontés à des rappels à l’ordre, des avertissements et des objections de la part de leurs hiérarchies. Un traitement équilibré de ce genre de question est compliqué dans la mesure où la principale source de financement des médias privés aujourd’hui – voire la seule – est la publicité. Il suffit, pour s’en rendre compte, de regarder un journal télévisé ou n’importe quelle émission, le nombre de publicités pour les voitures électriques. Alors est-ce que ces journalistes sont rappelés à l’ordre ou est-ce qu’il existe une forme d’autocensure, c’est la question.

En tant qu’enseignant à l’Ihecs, quels conseils donneriez-vous aux étudiants et jeunes journalistes?

M .S. J’ai conscience que c’est une matière complexe, au sens où le climat est un sujet constitué de beaucoup de dimensions. La question du climat touche pratiquement toutes les dimensions de la vie publique et la vie des gens aujourd’hui. C’est ce qu’on appelle soit une question totale soit une question politique, parce qu’elle implique toutes les questions de la vie en société, que ce soit économique, politique, mais aussi culturelle, philosophique et psychologique. Je crois que la question du climat vient cristalliser tout cela. Tout ça finalement, demande sans doute, pour les jeunes, un peu de travail et d’investissement. Cette question d’écologie peut aussi être une formidable opportunité d’entrer dans la complexité de notre monde actuel. Ce prisme écologique en effet brasse beaucoup de défis et de questions concernant l’organisation de l’économie, les inégalités sociales ainsi que les questions liées au financement pour la transition écologique.

Recueilli par Jihane Ziyan (Ihecs)

 

[INTERVIEW] Reeta Nousiainen : «There’s just a big difference between the place of women in newsrooms in Finland and in newsrooms in Europe»

Reeta Nousiainen est professeure en journalisme à l’université Haaga-Helia et chercheuse spécialisée sur les questions de diversité dans les rédactions. Invitée à la première édition des Assises européennes du journalisme à Bruxelles, elle s’exprime sur l’évolution des rédactions.

https://soundcloud.com/epjt-tours/interview-de-reeta-nousiainen?si=1f11604c8ed9465cb460d4fe2ae73362&utm_source=clipboard&utm_medium=text&utm_campaign=social_sharing

Reeta Nousiainen. J’ai travaillé en tant que journaliste pendant longtemps et maintenant je fais un doctorat sur la diversité dans les rédactions en Finlande. J’ai interviewé plusieurs éditeurs en chef finlandais et après analyse de ces réponses, il ressort qu’ils pensent tous que la diversité dans les rédactions est importante. Cependant, ils manquent de moyens pour l’améliorer. C’est difficile pour eux de trouver les bonnes personnes.

Delphine Grote. Vous dites qu’il y a une grande différence entre la place des femmes dans les rédactions en Finlande et leur place en Belgique ou plus généralement. Pouvez-vous expliquer cette différence ?

Reeta Nousiainen. Le premier aspect, c’est que la Finlande est un petit pays, il n’y a que 5.5 millions d’habitants donc on a vraiment besoin de chaque personne. Tout le monde doit faire sa partie du travail dans la société. Ensuite, les rédactions ne sont pas différentes d’autres bureaux. Elles sont assez similaires aux lieux de travail dans l’éducation supérieure par exemple.

Delphine Grote. Donc en Finlande, il y a un meilleur équilibre du nombre d’hommes et de femmes dans tous les métiers ?

Reeta Nousiainen. Oui, effectivement, il y a un meilleur équilibre. Cependant, un des problèmes que nous avons c’est que les hommes travaillent dans certains secteurs et les femmes dans d’autres. Il y a plus d’infirmières que d’infirmiers et plus d’hommes ingénieurs que de femmes. Mais pour ce qui est du journalisme, c’est assez divisé entre les deux.

Delphine Grote. Vous avez dit que la diversité au niveau de l’immigration n’est pas représentée dans les rédactions. Que pouvons-nous faire pour résoudre ce problème ?

Reeta Nousiainen. C’est la question à laquelle je tente de trouver une réponse. Je pense qu’on doit penser différemment. On ne peut pas croire qu’un journaliste issu de l’immigration est semblable à un journaliste natif. On doit avoir une idée moins stricte de ce qui constitue une identité journalistique. On doit aussi donner plus d’opportunité pour avoir plus d’exemples de personnes issues de l’immigration qui deviennent journaliste. Avoir de bons exemples peut motiver les étudiants issus de l’immigration à étudier le journalisme.

Réalisé par Delphine GROTE et Elodie LEROY (Ihecs)

[INTERVIEW] Eric Nahon : « Les écoles de journalisme sont en avance par rapport aux besoins du marché »

Eric Nahon, directeur adjoint de l’Institut pratique de journalisme (IPJ), a animé la conférence « Les écoles de journalisme en font-elles trop ? » lors des premières Assises européennes du journalisme, à Bruxelles. Il revient sur les attentes des rédactions et sur le journalisme tel qu’il est enseigné en école.

Vidéo réalisée par Ena Billenne (IHECS), Loriana Candela (IHECS)et Julie Cedo (EPJT)

[INTERVIEW] Jean-François Raskin : « Le journalisme en Europe partage un même socle de valeurs »

L’administrateur général de l’Hiecs, l’école bruxelloise partenaire de ces premières Assises européennes du journalisme, revient sur l’importance d’un tel événement pour les étudiants en journalisme

Jean-François Raskin, administrateur général de l'IHECS

Photo : Loriana Candela/Ihecs

Pourquoi avoir organisé les premières Assises européennes du journalisme à l’Ihecs ?

Jean-François Raskin. L’idée est née d’une rencontre entre Jérôme Bouvier, président de Journalisme et Citoyenneté, et Nordine Nabili, président du master en journalisme chez nous. Il y a un intérêt majeur à organiser ce genre d’évènements où des journalistes européens peuvent se rencontrer et échanger sur leur métier, son avenir et ses difficultés. Notre école est très ouverte sur le monde, les mutations et l’avenir du métier. On s’est dit : « Pourquoi pas faire ça ensemble ? »

Qu’est-ce que cela apporte aux étudiants ?

J.-F. R. Cela leur offre d’abord une réflexion sur le métier. Les thématiques abordées sont essentielles et évoquées en partie dans le cadre de leurs études. C’est l’opportunité de rencontrer des points de vue autres que ceux des professeurs car il y a un vrai débat autour des enjeux sociétaux et du métier de journaliste. Cela leur permet de rencontrer des gens et de discuter. J’invite les étudiants à aller voir les conférenciers, à parler avec leurs voisins. On a des personnalités importantes qui assistent aux Assises pendant ces deux jours et il ne faut pas hésiter à leur parler. Ils sont souvent très contents de répondre aux étudiants et il faut en profiter. Ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de rencontrer des journalistes qui viennent de toute l’Europe et même de l’autre côté de la Méditerranée et de l’Ukraine.

Est-ce que vous imaginez réaliser d’autres évènements comme celui-ci ?

J.-F. R. Nous en discuterons après avoir fait le bilan mais il devrait y avoir une seconde édition en novembre 2024, tous les deux ans. Il y a beaucoup d’évènements qui se passent à l’Ihecs, mais des évènements de cette ampleur demandent beaucoup d’énergie et de moyens.

Existe-t-il un journalisme européen selon vous ?

J.-F. R. Je pense qu’il existe un journalisme qui partage un même socle de valeurs. Et ce socle de valeurs, c’est celui qui fait partie de la charte fondamentale européenne. Mais je ne pense pas qu’il y ait un modèle de journalisme en Europe. Je pense que les modèles sont différents en fonction de la culture, de l’histoire, même si les règles fondamentales et les principes sont inscrits dans la législation européenne. Elle s’impose à tous les pays et donc aux journalistes. Il y a quelque chose qui les réunit. Et ce partage de valeurs doit permettre des rencontres qui font qu’il y a aussi un partage d’histoire et de solidarité qui doit se faire au niveau européen et au-delà. La problématique du métier de journaliste n’est pas limitée aux 27 pays de l’Europe, elle est mondiale. Et l’Europe peut jouer un rôle.

Recueilli par Loriana Candela (Hiecs)

[INTERVIEW] Orla Borg: « Constructive journalism is a public service »

Le journalisme constructif propose des solutions aux problèmes sociétaux soulevés par les médias. Orla Borg, le directeur du Constructive Institute au Danemark, explique l’importance de ces initiatives. 

Le journalisme constructif a pour but d’aller au-delà du simple exposé des problèmes et de proposer des solutions. Le but est de reconnecter les citoyens lassés par le journalisme conventionnel aux médias. Le Covid a notamment marqué un tournant pour cette pratique journalistique : les journalistes ont été obligés d’écouter le citoyen qui posait des questions et de l’inclure dans les débats. Pour Orla Borg, l’enjeu est très important car un citoyen qui se déconnecte des médias, c’est un citoyen qui se déconnecte de la démocratie.

 

Réalisé par Luca Alu (Ihecs).

[INTERVIEW] Sofia De Palma Rodrigues : « We should focus on is in what we do »

Sofia De Palma Rodriguez est une journaliste portugaise. En 2014, elle a cofondé le média en ligne Divergente dont elle est également l’éditrice en chef. Invitée à la première édition des Assises européennes du journalisme à Bruxelles, elle s’exprime sur la perte de confiance du public envers les journalistes.

Delphine Grote, étudiante en journalisme à l’Ihecs, a interviewé Sofia De Palma Rodrigues après sa conférence à la première édition des Assises européennes du journalisme. Sofia De Palma Rodrigues était présente pour parler de la perte de confiance du public envers les journalistes.

Selon elle, les journalistes ont une part de responsabilité dans ce désamour. Les journalistes devraient se concentrer sur la qualité du travail qu’ils publient. Ils devraient s’assurer que leurs publications sont « trustworthy » et moins se préoccuper de l’aspect marketing du travail.

Pour tenter de réduire la distance qu’il peut y avoir entre les journalistes et les abonnés, le média en ligne Divergente a opté pour une solution assez originale, des lettres écrites à la main qui sont envoyées à tous les abonnés. Ce lien plus personnel permet aux abonnés de relire les publications du média avec une autre perspective.

Cependant, ce modèle ne les empêche pas d’envoyer des newsletters virtuelles chaque mois à leurs abonnés et de la publier sur leurs réseaux sociaux. Complètement disparaître des réseaux sociaux n’est pas envisageable pour le média qui est complètement numérique.

Si le travail que font les journalistes est qualitatif, si le travail est « trustworthy », il se distinguera alors de ce qui est publié sur les réseaux sociaux. Selon elle, on ne peut pas obliger les gens à avoir confiance, mais on peut contrôler la qualité de notre travail.

Réalisé par Delphine GROTE et Elodie LEROY (Ihecs)

[INTERVIEW] Maxime Audinet : « RT est un média russe qui ne sert pas sa population mais la politique extérieure de l’État »

Photo : Cem Taylan/EPJT

Maxime Audinet, chercheur et auteur de Russia Today : un média d’influence au service de l’État russe, lauréat du Prix recherche sur le journalisme des Assises, commente la suspension de la chaîne dans l’Union européenne. Il qualifie RT de « média d’État » mais souligne que l’interdiction d’un média dans des démocraties libérales n’est pas un « geste anodin ».

Dans votre livre, vous distinguez les médias d’État et ceux du service public. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Maxime Audinet. Ce n’est pas une distinction binaire et stricte. C’est quelque chose qui se joue dans le traitement quotidien de l’information, notamment lorsqu’il s’agit de médias internationaux. A quoi sert et à qui s’adresse un média du service public ? Est-ce qu’il a pour simple mission d’informer des populations extérieures ? Russia Today est un média qui ne sert pas sa population mais la politique extérieure de l’État russe. RT n’est pas un média qui parle de la Russie mais de l’État russe. C’est pourquoi ce n’est pas un instrument de soft power classique car il ne participe pas au rayonnement international de son pays.

Moins d’un an après la publication de votre livre, RT a été suspendu en Europe. Comment interprétez-vous cette décision ? Pourquoi une telle mesure n’a pas été adoptée en 2014, lors de l’annexion de la Crimée ?

M. A. En 2014, la présence de RT en Europe n’était pas si importante. Il n’existait que la branche anglophone. La crise ukrainienne survient et cela accélère l’internationalisation du réseau RT. Par ailleurs, l’ampleur de l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’est pas la même que celle de l’annexion de la Crimée. L’Union européenne a justifié sa décision de suspendre la chaîne par le paquet de sanctions contre toutes les entités russes.

Est-ce que cette suspension pose un certain nombre de questions sur la liberté de la presse en Europe ?

M. A. Interdire un média dans une démocratie libérale n’est jamais un geste anodin. Même s’il s’agit d’un média propagandiste comme RT France. C’est ce qui distingue un système pluraliste d’un système autoritaire où l’unanimisme règne. En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, on a vu la disparition de plusieurs médias indépendants. Il s’agit tout de même d’une suspension, ce qui sous-entend qu’une fois le conflit terminé, une réouverture sera envisageable. Mais il est clair que la chaîne n’aura plus la même crédibilité si elle revient en France.

Est-ce que cette décision entraînera un assouplissement de la ligne éditoriale du RT par rapport au Kremlin ?

M. A. Je ne pense pas. En interdisant RT, le droit communautaire a pris le dessus sur le droit national. L’Arcom, qui avait un effet dissuasif sur la chaîne, a été court-circuitée. Cela signifie que RT France n’a plus de convention auprès du CSA. La rédaction française est en pleine recomposition. Il peut y avoir une recentralisation d’une partie de la rédaction à Moscou.

Recueilli par Cem Taylan

[INTERVIEW] Marc Epstein : «La diversité est un enjeu pour la démocratie et l’avenir du journalisme»

Photo : Coline Poiret/EPJT

Marc Epstein, ex-rédacteur en chef du service Monde de L’Express, est président de La Chance, une prépa qui aide des étudiants boursiers à préparer les concours des écoles de journalisme. Lors des Assises du journalisme de Tours, il est intervenu pour témoigner de l’urgence de diversifier les profils dans les rédactions.

Vous faites état d’un manque de diversité dans le milieu du journalisme et ce, dès la formation. C’est d’ailleurs dans ce but que vous avez créer le dispositif de La Chance. Avez-vous constaté une évolution dans le milieu ?

Marc Epstein. Depuis une quinzaine d’années que l’on existe, j’ai en effet constaté des changements. Au tout début, les gens étaient surpris qu’il y ait ce besoin d’un soutien. Pour ces personnes, les concours étaient un système juste qui garantissait une égalité des chances. Ils y voyaient un moyen d’évaluer les candidats sur leurs compétences et d’éviter les discriminations. Mais ils ne comprenaient pas que, si la ligne d’arrivée est la même, la ligne départ est différente pour chacun. Aujourd’hui, grâce aux efforts des différents dispositifs comme La Chance, il y a de plus en plus de boursiers dans les écoles de journalisme.

Lors de la conférence, vous évoquiez la lenteur de l’évolution dans les rédactions. Quels sont les freins qui ralentissent l’intégration des personnes issues de la diversité dans la profession ?

M. E. Je pense que cela s’inscrit dans une tradition française. Ce sont des facteurs profonds qui sont l’héritage d’un idéal révolutionnaire qui dicte une égalité entre tous. En France, on a aussi une difficulté à penser qu’il y a une diversité : des parcours, des origines sociales ou des situations de handicaps… On partage un idéal républicain aveugle à nos différences. Et si on ne les considère pas, on ne peut pas les traiter correctement. C’est comme ça que le manque de diversité dans les rédactions est d’une grande violence pour les journalistes et leur public.

Défendre la place de la diversité dans les rédactions est encore un poids souvent réservé aux personnes concernées. Mais les intervenants de la table ronde s’accordent pour dire que cela doit être le combat de tous et surtout des médias et de leurs directions. Qu’en pensez-vous  ?

M. E. L’absence de la diversité, c’est le souci des rédactions et pas celui des personnes issues de la diversité. Parce qu’une rédaction qui a des journalistes aux profils différents incarne mieux la réalité. Tant dans la représentation de la société que dans son traitement de l’information. Les différents titres ont à cœur d’être appréciés et d’offrir à leur public des sujets qui les touchent. Sinon, ils risquent de perdre leur audience qui se tournera vers les réseaux sociaux, où les algorithmes renvoient vers un entre-soi. La diversité, c’est un enjeu qui concerne l’équité sociale mais aussi la démocratie et l’avenir du journalisme.

Recueilli par Coline Poiret

[INTERVIEW] Haydée Sabéran : « Une série de photoreportage est toujours un travail extrêmement long »

Photo : Prunelle Menu/EPJT

Haydée Sabéran est rédactrice en chef adjointe de la revue photographique 6 mois. également responsable du pôle narration, elle nous explique le processus d’élaboration de la revue. Le temps et la coopération sont pour elle les deux principes essentiels pour produire un travail de qualité.

Quelle place occupent les textes et les légendes dans une revue photographique telle que 6 mois ?

Haydée Sabéran. Les légendes des photos sont les mots des photographes. Nous les interviewons pour construire avec eux le récit qui accompagne leurs images. Les mots complètent les photos. Mais l’histoire doit tenir indépendamment des images. Si on masque les photos, on doit pouvoir comprendre la narration toute seule, et inversement.

Quelles sont les consignes que vous donnez à vos photographes avant d’aller sur le terrain ?

H. S. Nous ne leur donnons aucune consigne, car nous ne les envoyons pas sur le terrain. Ce n’est pas comme ça que nous fonctionnons. Nous ne commandons pas de récits. Nos photographes partent en quête d’images et de narrations. Ils travaillent sur le temps long, des mois voire des années. Ce qui va nous intéresser, c’est un travail de long terme qui traduise en profondeur une réalité d’aujourd’hui.

Selon vous, quel est le secret d’une photo réussie ?

H.S. Le temps. C’est la réponse la plus naturelle qui me vient. Nous cherchons à maintenir un travail de qualité et celui-ci n’est possible que si l’on prend le temps, aussi bien sur le terrain pour les photographes qu’a posteriori au sein de la rédaction. Nous pouvons passer trois heures à interviewer un photographe et ça ne pose souvent pas de problème aux interlocuteurs. Ils sont même plutôt touchés qu’on leur accorde autant de temps. Une série de photoreportage est toujours un travail extrêmement long.

Comment vous organisez-vous avec les photographes pour la partie rédaction ?

H. S. C’est un travail à faire ensemble. J’aime bien dire que nous partons en reportage dans la tête du photographe. C’est lui ou elle qui se trouvait sur le terrain. A nous de prendre le temps de les écouter, de poser les bonnes questions pour que les légendes soient les plus riches, les plus complètes possibles. Qu’elles racontent par exemple le hors-champ. Parfois, les photographes ne veulent pas trop en dire, certains souhaiteraient que la photo parle d’elle-même, donc il arrive qu’on soit dans une forme de négociation avec eux. Notre mission est de faire du journalisme, donc il faut être le plus précis possible. Mais nous cherchons toujours à respecter le pacte que les photographes ont passé avec les personnes photographiées.

 

Recueilli par Prunelle Menu

[INTERVIEW] Jean-Marie Charon : « Face aux jeunes qui arrêtent le métier, les rédactions sont dans le déni »

Photo : Clémentine Louise/EPJT

Jean-Marie Charon, sociologue des médias, est l’auteur avec Adénora Pigeolat de Hier, journalistes : ils ont quitté la profession, paru en 2021 aux éditions Entremises. Dans le cadre du baromètre social des Assises, il est intervenu pour expliquer la désertion de nombreux jeunes journalistes.

 

 

 

Vous avancez l’idée que les jeunes journalistes ont conscience des difficultés rencontrées pour s’insérer dans le milieu. Peut-on parler d’un désenchantement lorsqu’ils quittent le métier ?

Jean-Marie Charon.  Ils savent que ça va être difficile mais entre ce qu’on vous dit et ce que l’on vit, c’est très différent. L’expérience en rédaction est beaucoup plus destructrice que ce qu’ils avaient imaginé. Dans d’autres secteurs, notamment le numérique, ils affirment avoir été bien mieux accueillis et bien mieux payés. Ils ne sont pas forcément épanouis car ce n’est pas le métier qu’ils souhaitaient faire mais c’est plus sécurisant.

Les rédactions ont-elles conscience des difficultés que rencontrent les jeunes journalistes ?

JM. C.  Les rédactions sont dans le déni. Beaucoup de journalistes expliquent que eux aussi ont dû persévérer au début pour se faire une place et que c’est donc normal. Les rédactions estiment aussi parfois que les jeunes journalistes sont mal formés en école, même si ces derniers assurent au contraire recevoir une formation très complète. Et puis les contraintes économiques du secteur mettent aussi une pression sur les rédactions qui doivent parer au plus pressé.

Ce problème de décrochage n’est visible qu’en France ou aussi dans d’autres pays ?

JM. C. En Belgique, cette tendance est encore plus forte. Cela s’explique en grande partie par le fait qu’il n’y ait pas de concours pour entrer en école de journalisme. Beaucoup d’étudiants sortent diplômés et se heurtent au peu d’emplois qu’il y a dans le domaine. On remarque aussi qu’il y a encore moins de filles qui arrivent à devenir journalistes après leurs études qu’en France.

 

Recueilli par Clémentine Louise/EPJT

[INTERVIEW] Marc Bassets, correspondant pour El Pais : «En Espagne, Anne Hidalgo nous intéressait beaucoup»

Photo : Léo Humbert/EPJT

Marc Bassets est correspondant en France pour le quotidien espagnol El Pais. Il traite principalement de sujets économiques, culturels et politiques, surtout en période de campagne électorale. Invité aux Assises du journalisme de Tours, le 11 mai, il livre sa vision de la campagne et du journalisme politique français.

Qu’avez-vous pensé du traitement médiatique de la campagne pour l’élection présidentielle française de 2022 ?

Marc Bassets. Je trouve que la presse de qualité a fait du très bon boulot, avec des analyses et des décryptages. Je n’ai pas de reproches à lui faire de façon générale. La campagne a mis du temps à se lancer dans les journaux à cause de la guerre en Ukraine. Et cela a été la même chose pour moi. J’avais prévu un planning sur trois mois pour mon journal mais il n’a finalement pas servi.

A quels sujets vous êtes-vous intéressés pour El Pais ?

M. B. Nous sommes deux correspondants pour le journal en France, un envoyé spécial et un photographe nous ont rejoints. J’ai évoqué les sondages, j’ai écrit des portraits de candidats et j’ai fait beaucoup de reportages dans les zones où il y avait eu un vote important de protestation ou d’abstention après le premier tour. Je me suis rendu dans l’Aisne, en Moselle ou dans les quartiers Nord de Marseille.

Avez-vous trouvé des particularités à cette campagne par rapport aux précédentes ? En 2012, c’était un duel classique entre la gauche et la droite et en 2017, l’élection d’Emmanuel Macron avait surpris beaucoup de monde.

M. B. Zemmour était très présent avant le début de la campagne, à la fin de l’année 2021. J’ai écrit pas mal de papiers sur lui, je l’ai suivi en campagne. Il a beaucoup attiré l’attention et a fini par se dégonfler. En Espagne, Anne Hidalgo nous intéressait beaucoup car elle a la double-nationalité et elle parle espagnol parfaitement. En tant que correspondant, je cherche toujours l’angle local. A l’approche de l’élection et pendant l’entre-deux-tours, je n’ai pas trouvé de nouveauté. On s’est retrouvé avec les deux candidats attendus et le vainqueur annoncé depuis cinq ans.

Quel regard portez-vous sur le journalisme politique français ?

M. B. Je suis un admirateur du bon journalisme politique français en général, à la télévision, dans les magazines, les grands journaux. J’aime beaucoup le style d’écriture. Il est très analytique, beaucoup plus reposé que le journalisme espagnol qui est plus électrique, réactif et porté sur les polémiques. Mais cela peut être un défaut. En Espagne, on tombe beaucoup dans le journalisme de commentaire, dans la petite phrase, plus que de faits.

Une partie de la population française trouve qu’il y a une grande proximité entre les journalistes politiques et le pouvoir. Est-ce quelque chose que l’on retrouve en Espagne ?

M. B. J’ai effectivement ce sentiment. En France, je constate aussi cette proximité. En revanche, la gestion du « off » et des sources anonymes me gêne beaucoup. Pour moi, cela sert à protéger une source, pas lorsqu’il y a une fuite d’un briefing à l’Élysée. Lorsque le lit dans un journal « dit-on à l’Élysée », oui mais qui ? Cela crée une atmosphère d’entre-soi. Je trouve cela nocif, même si ce n’est pas propre à la France. Autre point : la modification des interviews avant publication. On peut rectifier un mot à la relecture, mais pas une idée.

 

Recueilli par Léo Humbert

[INTERVIEW] Lorraine de Foucher : « Il y a une désinformation autour du viol qui empêche de se confronter au vrai problème »

Photo : Fayard

Lorraine de Foucher, journaliste au Monde, a décidé de se consacrer au sujet des violences sexistes et sexuelles depuis quelques années. Dans le cadre des assises du journalisme à Tours ce mardi 10 mai, elle participait à un atelier sur les enquêtes dans ce domaine.

Lors de l’atelier consacré aux enquêtes sur les violences sexistes et sexuelles, un seul homme était présent sur les six intervenants. Dans le public, il y avait également beaucoup plus de femmes que d’hommes. Est-ce représentatif du problème des violences faites aux femmes ?

Lorraine de Foucher. Oui, clairement ! Au Monde, on a enquêté sur les personnes chargés de la question de l’égalité femme / homme dans les préfectures de France. Ce sont toutes des femmes ! Ca fait partie du processus d’invisibilisation des femmes : on fait comme si c’était un problème de femmes. C’est rare que les hommes enquêtent là-dessus, c’est inconfortable pour eux : ce n’est pas marrant de s’interroger sur sa condition de privilégié. On a encore beaucoup de progrès à faire sur ce point.

Vous avez évoqué cette frontière entre liberté d’expression et diffamation. Quand on enquête sur ce genre de sujet, est-ce qu’on se prépare toujours au risque d’être poursuivi au pénal ? 

L. F. C’est un sujet abrasif qui touche à la réputation, et la réputation, ça coûte cher. En une dizaine d’années de carrière, je n’ai eu de plaintes que lorsque j’enquêtais sur ce sujet.

Vous affirmez que le viol n’est pas une question de plaisir mais de domination, donc de pouvoir. Selon vous, est-ce qu’on peut dire que le viol est un acte politique ? 

L. F. Il y a une désinformation autour du viol qui empêche de se confronter au vrai problème. Tant qu’un sujet n’est pas politique, il n’est pas pris en compte. Le patriarcat est le plus vieux système de domination. Dans les situations de guerre, le viol est utilisé comme une arme de guerre. Il y a une entreprise de casse industrielle des femmes. La peur du viol touche toutes les femmes.

Marine Turchi disait que 99 % des affaires qui sortent sur les violences sexistes et sexuelles ne suscitent plus l’étonnement. Comment faire en tant que journaliste pour garder l’attention des lecteurs sur ces sujets ? 

L. F. On a tous peur de la saturation, mais on voit une véritable appétence des lecteurs pour comprendre ces actes. Je pense qu’on est très loin d’en avoir assez parlé.

Vous travaillez depuis quatre ans sur une chronique : « S’aimer comme on se quitte ». Est-ce une autre manière de dénoncer les violences sexistes ? 

L. F. Non, mais il y a une corrélation avec l’intime. On pense que l’intime n’a rien à voir avec le journalisme alors que tout le monde parle d’amour. On doit renforcer notre éducation amoureuse. On a l’impression que l’amour est personnel alors que c’est très social. On aime comme notre époque nous le permet, les normes sociales sont à l’œuvre dans l’intime.

Vous dites que c’est la société, de manière systémique, qui produit les individus qui vont infliger des violences sexistes et sexuelles, et qu’il faut essayer d’en comprendre les origines. Vous avez des pistes ? 

L. F. Oui, la domination masculine, le patriarcat, qui existent depuis bien longtemps. On a un rapport aux minorités, comme avec la nature, comme s’il fallait les domestiquer. Cela interroge les rapports de prédation présents chez l’homme.

 

Recueilli par Charles Bury/EPJT

[INTERVIEW] Simon Malfatto, datajournaliste à l’AFP : « Pendant la campagne, nos données ont été utilisées pour les reportages »

Simon Malfatto, datajournaliste à l’AFP, était présent mardi 10 mai 2022 aux Assises du journalisme pour parler du traitement de la politique par les datas. Photo : Margot Ferreira/EPJT

Simon Malfatto explique les spécificités de ce type de journalisme, notamment durant la dernière campagne électorale.

 

Combien de personnes travaillent dans le datajournalisme à l’AFP ?

S. M. Il y a environ une dizaine de personnes dans l’agence. Personnellement, je travaille au service infographie avec des graphistes, des développeurs ou encore des web designers, mais ce n’est pas le cas de l’ensemble des datajournalistes. Certains sont dans d’autres services, comme l’économie. Je ne pense pas que le datajournalisme doive se cantonner à l’infographie.

Quels ont été les principaux défis de ce type de journalisme pendant la campagne électorale ?

S. M. Principalement, les mêmes que d’habitude : accéder aux données et bien les traiter. Mais cette campagne a surtout été un gros boulot d’anticipation. La question de la temporalité du traitement de l’information s’est posée aussi. Si Emmanuel Macron parle du système des retraites à un moment donné, je ne pense pas qu’il faille sauter sur l’occasion pour produire du contenu. Les données doivent être utilisées à bon escient.

Durant la campagne, avez-vous collaboré avec le service de fact-checking ?

S. M. Il y a forcément une collaboration. En datajournalisme, on est un peu le guichet de la donnée. On communique et on mutualise les moyens mais ils ont aussi des compétences de data ou d’OSINT (données obtenues à partir de sources ouvertes) par exemple. Pour les cadavres de Bucha par exemple, il y a eu une étroite collaboration entre nos services pour que nos données cartographiques soient exactes.

Quel type de contenus de datajournalisme attire le plus de lecteurs ?

S. M. L’AFP étant une agence de presse, c’est difficile d’avoir l’avis du public sur ce qu’on produit. D’un autre côté, on regarde un peu sur Twitter ce qui ressort. Ce qui est certain, c’est qu’il faut quelque chose de simple. La personne doit directement comprendre l’histoire. L’esthétique est aussi important, il faut un effet « Whaou! ».

Est-ce que la collecte de données vous amène à proposer des sujets ?

S. M. Oui, encore très récemment avec la campagne électorale. Nous avions recensé les villes où la proportion du vote pour Eric Zemmour était la plus forte. On s’est rendu compte que c’était dans des bastions historiques de la droite comme Neuilly ou Versailles. On a fourni au service politique ces données, qui les ont utilisées pour orienter leurs reportages.

 

Recueilli par Aubin Eymard/EPJT

[Podcast] “The Female English Podcast” interroge les thématiques des Assises

« The Female English podcast » est un projet mené par les étudiantes de plusieurs écoles de journalisme, dans le cadre des Assises internationales du journalisme de Tunis. Ensemble, Awatef Ouni, Thouraya Rimeni (Ipsi, Tunisie), Laure D’Almeida, Irène Prigent et Clara Jaeger (EPJT, France) se sont réunies pour parler des problématiques transversales à l’événement. Chacun des épisodes revient sur l’une des thématiques des Assises et fait intervenir ses actrices.

Parler d’investigation

Dans ce premier épisode, Clara Jaeger, Irène Prigent et Thouraya Rimani sont parties à la rencontre de Caroline Hayek, grand reporter pour L’Orient le jour.

Parler de genre

Dans ce second épisode, Laure D’Almeida et Awatef Ouni s’interrogent sur la façon dont les médias parlent des violences faites aux femmes et des questions de genre. Les deux jeunes journalistes en profitent pour analyser la façon dont les médias tunisiens et français traitent de ces sujets.

Réalisé par Awatef Ouni et Thouraya Rimeni/Ipsi
Laure D’Almeida, Irène Prigent et Clara Jaeger/EPJT

[Podcast] Le regard des participants

Mondher Ben Ibrahim, réalisateur de cinéma et de télé à la Nefzawa TV en Tunisie, Marwa el Ariky, directrice de rédaction du Hodaj au Yemen et Célina Braidy journaliste à la LBC et étudiante à l’Université Libanaise, ont échangé leurs points de vue sur les Assises. Est-ce que les Focus Yémen, Liban et Tunisie ont bien représenté la situation et les problèmes des journalistes dans leurs pays ? Les participantsont partagé leurs expériences et problèmes, surtout l’urgence du journalisme en cas de guerre et crises économiques, ainsi que le journalisme associatif. Débat en arabe animé par Ilda Ghoussain, étudiante de l’Université libanaise

Réalisé par Ilda Ghoussain/Université libanaise.

[INTERVIEW] Caroline Hayek : «Beaucoup de journalistes franco-libanais ont songé à partir»

Photo : Irène Prigent/EPJT

Caroline Hayek est une journaliste franco-libanaise installée au Liban. Après sa série de reportages sur les explosions qui ont touché Beyrouth, elle a été récompensée du prix Albert Londres 2021. Elle continue aujourd’hui d’enquêter sur des sujets de société au sein du quotidien francophone L’Orient-Le jour. Elle évoque les difficultés rencontrées dans ce pays marqué par la guerre civile et la crise économique.

Pourquoi avoir choisi de travailler au Liban ?

Caroline Hayek. Parce que c’est mon pays, je suis franco-libanaise. Je suis née au Liban et j’ai grandi au Liban. Quand je suis rentrée [au Liban] fin 2010 après mes études en France, je n’avais pas en vue le métier de journaliste. J’ai travaillé auprès d’architectes dans le design. A un moment donné, je me suis dit : « stop », il faut que je revienne auprès de ce que j’aime faire, c’est-à-dire écrire. Je me suis lancée en tant que pigiste pour des magazines notamment culturels. J’ai ensuite trouvé un poste à l’Orient-Le-Jour. On m’a fait confiance alors que j’avais vraiment très peu d’expérience. Cela fait sept ans maintenant que je travaille là-bas et j’en suis très heureuse.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux reportages de société ?

C. H. Au début, je couvrais essentiellement la guerre syrienne depuis Beyrouth. On n’y allait pas pour des raisons sécuritaires et notamment budgétaires. Quand je suis passée aux informations locales, je me suis intéressée à plusieurs problématiques. Juste après les explosions du port de Beyrouth, j’ai voulu donner la parole aux Beyrouthins mais également aux réfugiés syriens qui ont souffert de ces explosions. De fil en aiguille, j’ai couvert plusieurs thématiques de société, notamment la pédophilie au sein de l’église au Liban. Je suis aussi beaucoup les élections législatives qui vont se dérouler en mai normalement. C’est une période assez intéressante et enrichissante au Liban.

Quels obstacles rencontrez-vous dans l’exercice de votre métier quand vous vous confrontez à de tels sujets ?

C. H. Au sein de la rédaction, je ne suis pas entravée. On a vraiment le champ libre parce qu’on est un média indépendant. Nos actionnaires ont leurs business à l’étranger donc on ne dépend pas des partis politiques, ni de pays étrangers. Ils n’interfèrent jamais dans nos choix rédactionnels. En revanche, on a parfois des réactions assez terribles de la part de nos lecteurs. Je reprends le cas de la pédophilie au sein de l’église. Quand on s’attaque à un membre au sein d’une communauté religieuse, c’est toute la communauté qui monte au créneau et c’est assez compliqué à gérer. Quand je traite la question des réfugiés syriens, il y a beaucoup de racisme. C’est très dur de faire bouger les lignes et de combattre les stéréotypes au quotidien.

Avez-vous déjà subi des pressions ou des menaces ?

C. H. Jamais de menaces. Des pressions, oui. Des appels ici et là…Des personnes qui demandent : « Qu’est-ce que tu prépares ? » ou bien qui disent « Ça on préfère ne pas en parler ». J’ai quelques procès sur le dos notamment de business men syriens, proches du régime de Bachar Al Assad. Je ne suis pas trop inquiète. On va bientôt sortir une enquête sur les écoles financées par le Hezbollah. Pour cet article, on s’est heurtés à plusieurs obstacles, mais sans jamais recevoir de menaces, parce que tout le monde sait déjà la plupart des informations que l’on a rassemblées.

Comment avez-vous procédé lors de votre enquête sur les familles réfugiées syriennes victimes des explosions ?

C. H. En couvrant la guerre syrienne pendant six ans, j’ai monté un grand réseau en Syrie et au Liban. De fil en aiguille, j’ai interrogé une personne puis une autre. Je me suis laissée guider jusqu’à trouver des familles qui ont malheureusement été touchées. Les réseaux sociaux sont aussi des outils merveilleux parce que tout le monde partage ses expériences. C’est comme ça que j’ai pu trouver certaines familles endeuillées.

Les explosions du 4 août ont-elles marqué un changement dans la profession de journaliste ?

C. H. Je ne dirais pas après les explosions. C’est surtout à cause de la crise économique. Parce que vivre en tant que journaliste au Liban quand vous êtes payés des cacahuètes, ce n’est plus possible. J’ai de la chance parce qu’avec notre rédaction, on tient le coup. Nos actionnaires investissent beaucoup pour nous garder. Mais beaucoup de journalistes franco-libanais ou qui ont une autre nationalité ont été nombreux à songer à partir pour trouver pour trouver un emploi à l’étranger.

On sait que la guerre du Liban a marqué le pays. Pourtant, on ne l’apprend pas à l’école. Quelle est la place des journalistes dans la transmission de l’histoire de la guerre civile libanaise?

C. H. Bien sûr, il faut en parler ! Moi j’aime beaucoup l’évoquer avec les anciennes générations qui l’ont connue [la guerre] de près. Mais c’est encore un sujet très tabou. Chaque Libanais a sa version, c’était une guerre entre frères. J’ai constaté au moment de la révolution en octobre 2019 que les jeunes ont très peu de notions de cette guerre. Ils ne savent pas vraiment ce qu’il s’est passé parce qu’on ne l’apprend pas à l’école. Notre rôle à nous en tant que journaliste, c’est de couvrir l’actualité mais aussi de rappeler toutes les horreurs qui se sont passées pour que cela ne se reproduise plus.

L’État essaye-t-il d’effacer les traces de la guerre ?

C. H. Pas d’effacer les traces mais en tout cas, il occulte tout ce qu’il s’est passé.

 

 

 

Recueilli par Irène Prigent/EPJT et Nadia Vossen/IHECS

[PORTRAIT] Basma Nasser a fui un pays « où le journalisme est un péché »

Basma Nasser, journaliste yéménite, au centre et Darline Cothère, directrice de la maison des journalistes à droite. Photo : Océane Ilunga/IHECS

Basma Nasser est une journaliste yéménite réfugiée en France. Persécutée dans son pays à cause de sa couleur de peau et des habits qu’elle porte, elle quitte le Yémen en 2017 et est accueillie en France, à la Maison des journalistes. Dans un arabe puissant d’émotion, elle raconte les raisons de sa fuite.

« J’ai traversé sept pays avant d’arriver en France ». Du Soudan à la Turquie en passant par la Grèce, Basma Nasser témoigne d’un parcours déterminé par une conviction : celle de fuir le Yémen, le pays dans lequel elle a grandi. La guerre qui fait trembler sa terre natale n’est pas l’origine de son départ : « J’ai toujours été discriminée à cause de ma couleur de peau et des habits que je porte ». Basma est noire, féministe et journaliste.

Alors qu’elle a grandi dans une famille aux valeurs conservatrices, Basma se fait renier par la plupart de ses proches au moment où elle décide de ne plus porter le hijab et de devenir journaliste. « Vouloir étudier le journalisme au Yémen est perçu comme un péché. L’école dans laquelle je voulais me former avait mauvaise réputation ». Fille unique, Basma aurait dû être accompagnée par un tuteur ou se marier pour qu’elle puisse voyager librement.

En désaccord avec ces principes, Basma continuera à défendre les valeurs libérales qui finiront par planifier son départ : « Un beau jour, alors que je rentrais de mes cours de journalisme, le directeur de mon foyer m’attendait avec deux gendarmes qui m’ont obligée à signer un papier qui voulait que j’arrête de porter des habits colorés. A leurs yeux et ceux de ma famille, j’étais une mécréante. Ils ont fini par me menacer de mort. » Basma quitte le Yémen et n’y retournera jamais.

Accueillie par la Maison des journalistes

Après plus de deux ans passés dans une prison turque, la militante féministe arrive à Paris où elle est accueillie par la Maison des journalistes. « On accueille et héberge des journalistes persécutés dans leur pays pour avoir exercé une presse libre », explique Darline Cothère, directrice de l’établissement.

 

La Maison des journalistes, c’est un peu comme une photographie des conflits dans le monde : les résidents ont vécu des violences en raison du métier qu’ils exerçaient, dans des pays aux tensions politiques difficilement supportables. Créée sur le principe de la solidarité confraternelle et celui de la reconnaissance de la profession, le lieu d’accueil a deux missions : accueillir et héberger des journalistes réfugiés, et sensibiliser aux valeurs de la liberté de la presse.

Informer des conflits dans le monde et partager des expériences, c’est le but de l’initiative « Renvoyé Spécial » à laquelle Basma participe : « Je me souviens avoir raconté mon témoignage dans un collège de Bordeaux et avoir vu un élève en larmes. Ca m’a touchée de voir une personne sensible à mon histoire ». Le président de la Maison des Journalistes, Albéric de Gouville, ajoute : « Voir une telle émotion, c’est la preuve que l’action de témoigner permet de sensibiliser aux conflits et à la condition de la presse à travers le monde. »

Basma vit désormais en France. Elle a quitté la Maison des Journalistes et continue de militer : « Je voudrais poursuivre le journalisme. J’étudie le français à la Sorbonne. Pour le moment, je travaille bénévolement pour des organisations telles que Feminist Yemen Voice ». La plupart des réfugiés qui sont passés par la Maison des Journalistes abandonnent la profession. En cause, la barrière de la langue ou des traumatismes encore trop ancrés. Pour Basma, retourner au Yémen est impensable même si elle y songe dans ses rêves : « Malgré les discriminations que j’ai vécue, le Yémen aura toujours une place de choix dans mon cœur».

Laura Dubois/IHECS

[INTERVIEW] François M’Bra II : « La sécurité des journalistes est un problème crucial »

Les Assises du journalisme de Tunis sont un moment d’échange entre des journalistes des quatre coins du monde. Comme François M’Bra II, journaliste d’une webtélé de la diaspora ivoirienne. Pour lui, de tels événements représentent l’occasion de rencontrer d’éventuels partenaires pour contribuer à l’amélioration des conditions de travail.

Hasna Saad/Ipsi, Myriam Karrout/IHECS, Victor Broisson/IHECS

[INTERVIEW] Syrine Attia : « Etre authentique peut défaire ce sentiment de défiance contre les journalistes »

A gauche, Syrine Attia. Photo : Laure d’Almeida/EPJT

Tunisie, Maroc et depuis deux mois, l’Égypte. Ce n’est pas le programme d’un tour opérateur, mais l’implantation de Brut en Afrique du Nord. Le média français, créé en 2016, exporte sa maîtrise des réseaux sociaux de l’autre côté de la Méditerranée. Pour coordonner le tout, il y a la rédactrice en chef de Brut Tunisie. Rencontre avec Syrine Attia.

Parmi les grands thèmes de Brut, on retrouve le féminisme ou encore la discrimination envers les minorités. Comment parler de ces sujets dans des pays où ces droits sont plus précaires qu’en Europe ?

Syrine Attia. Je me rends compte qu’on peut rapidement être étonné par les réactions de l’audience, qu’on penserait beaucoup plus réfractaire à ces sujets-là, et qui en fait l’est beaucoup moins qu’on l’on pensait. Surtout sur des plateformes où on touche les plus jeunes.

Sur Instagram par exemple, les réactions sont tout aussi enthousiastes que celles qu’on peut retrouver en France. En fait, les gens ont envie qu’on leur parle de ça, ont envie de faire bouger les choses dans ce sens-là.

Quand on prend le cas de la Tunisie, l’année dernière il y a eu un mouvement social, en janvier, avec principalement des manifestations de jeunes qui se sont exprimés sur ces questions, qu’on retrouve chez Brut. Ces thématiques existent aussi dans les pays qu’on couvre, donc c’est important d’accompagner ces acteurs qui peut-être ne trouvent pas de plateformes qui pourraient les accompagner de la même manière que Brut.

L’image de la presse chez les jeunes a changé depuis que Brut lancé a sa branche tunisienne ?

S.A. Brut est arrivé il y a un an en Tunisie. Entre temps, il y a eu des acteurs locaux qui, comme nous, ont aussi proposé des vidéos sur les réseaux sociaux. On n’a pas la prétention de dire qu’on a été les premiers avec ce format-là en Tunisie. Ce qui fait du bien avec Brut, c’est cette incarnation. C’est-à-dire qu’on reste encore les seuls à vraiment faire du reportage où on va suivre une personne du début à la fin, ne pas mettre en scène, être dans des situations de vie. Et on voit dans les réactions que les gens apprécient cette manière-là de rendre compte de leurs vies. Je pense qu’on se démarque sur ça.

Depuis la révolution, en Tunisie, on s’intéresse aussi beaucoup plus à notre patrimoine culturel et historique, et ça on l’a accompagné. Il y a des événements historiques que je n’ai appris que tardivement et je me suis dit qu’il fallait qu’on en parle. Par exemple, on ne nous dit pas que la Tunisie a été occupée par l’Allemagne nazie pendant 6 mois, qu’il y a eu une rafle des juifs à Tunis… On a fait une vidéo dessus et beaucoup de gens l’ont découvert. C’est important de redécouvrir notre histoire en faisant des vidéos qui peuvent paraître moins impressionnantes qu’un article académique sur le sujet. 

Est-ce qu’on peut se servir des réseaux sociaux et de leurs codes pour sensibiliser un public plus jeune aux violences dont les journalistes sont de plus en plus victimes ?

S.A. Quand on essaye, à travers ces manières de filmer, d’être le plus authentique possible, je pense que ça peut défaire ce sentiment de défiance. On peut le voir à travers le live. On n’en fait pas encore sur nos plateformes africaines mais en France, ça a vraiment permis de se dire : « Ah, c’est sûr que c’est vraiment ce qui est en train de se passer, parce que le journaliste est dans la manifestation pendant des heures. »

J’aimerais beaucoup qu’on le fasse sur nos plateformes africaines. Ca permettrait qu’on arrête de prendre les journalistes pour cible alors qu’ils ne sont là que pour couvrir une information.

Recueilli par Florent Schauss/IHECS

[INTERVIEW] Tenin Samake : «L’idée c’est de comprendre et surtout de découvrir les opinions des femmes»

Source : Womanager

Tenin Samake, rédactrice en chef et fondatrice malienne de Womanager, s’est rendue aux Assises de Tunis pour parler de son média et de son combat pour mettre en avant plus de femmes dans l’espace médiatique.

 Qu’en est-il de la situation des femmes au Mali actuellement ?

Tenin Samake. Si on compare à la situation d’il y a dix, vingt ou trente ans, il y a une évolution. Les choses ont considérablement changé. Ma mère m’a dit qu’à son époque, une fille de mon âge ne pouvait pas s’exprimer dans les médias. Alors que moi je le fais facilement, que ce soit à la télé ou à la radio. Cela montre à quel point les mentalités ont changé.

Il y a aussi des lois qui ont été votées pour les femmes, mais malheureusement, ces lois ne sont pas appliquées. Mais la lutte majeure que mènent les Maliennes de nos jours, c’est la lutte contre les violences basées sur le genre. Cela regroupe les mutilations génitales féminines, le harcèlement ou le féminicide.

Vous avez lancé un projet au Mali, WoManager. Pouvez-vous nous en parler ?

T. S. Il s’agit d’un média féminin et féministe dont je suis la fondatrice et la rédactrice en chef. Nous y abordons les questions d’émancipation et d’épanouissement de la femme. Au départ, c’était un blog sur lequel je parlais de femmes inspirantes quand j’avais 21 ans. Je parlais de ces femmes qu’on ne retrouvait pas dans les médias, mais qui au final font partie intégrante du Mali, de l’Afrique, et qui sont de vraies actrices du développement socio-économique et qui pouvaient servir également de modèle pour les filles plus jeunes. C’est là que j’ai compris l’urgence de les montrer dans un média indépendant.

A l’époque, je n’aurais pas pu me faire embaucher dans une rédaction classique. J’ai donc lancé le blog. Par la suite, c’est devenu un média à part entière, avec une équipe rédactionnelle complète. En plus de cela, on organise des programmes de renforcement de capacités pour les jeunes filles où elles sont formées aux médias, à la politique ou au digital. WoManager est vraiment une plateforme qui est là pour les femmes et pour les aider à être plus impactantes. Elles le sont déjà, mais ici elles apprennent à prendre plus de place au sein de la société.

Ce média met-il en avant uniquement des femmes maliennes ?

T. S. On donne la parole aux femmes de tous les pays. Il y a des Maliennes, des Togolaises, des Ivoiriennes et il y a même des Françaises. On donne la parole à plusieurs femmes et surtout à différents types de femmes. L’idée, c’est vraiment de comprendre et surtout de découvrir des opinions mais aussi de créer un espace inclusif.

Et quel message voulez-vous faire passer aux femmes ?

T. S. Il faut que les femmes sachent qu’elles sont importantes, qu’elles ont du pouvoir. Lorsqu’elles sont quelque part, elles doivent vraiment faire savoir qu’elles sont là. Elles ne doivent pas être timides, elles ne doivent pas se mettre en retrait ou rester à leur place. Mon message se résume en une phrase de Rokhaya Diallo : « Il ne faut absolument pas que les femmes restent à leur place. » Elles doivent sortir des sentiers battus, prendre le pouvoir et assumer qui elles sont réellement.

 

Recueilli par Shirine Ghaemmaghami /IHECS

Womanager

[INTERVIEW] Tatiana Mossot : « C’est la violence et la capacité à la gérer qui fera toute la différence »

Photo : Lamisse Oujari /ISIC

Tatiana Mossot est une journaliste qui a travaillé dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. Elle est la fondatrice de Mama Project, organisme d’accompagnement et de formation de journalistes francophones.

Comment est né le projet ?

Tatiana Mossot L’idée pour nous était de pouvoir accompagner des confrères et des consœurs – mais plus particulièrement des consœurs – journalistes sur le continent africain.

La raison pour laquelle on a créé Mama project (@MamaprojectA), c’est parce qu’on s’est dit que la formation professionnelle qui était proposé ne correspondait pas forcément à ce qu’il se passait sur le terrain. Ayant été essentiellement journaliste de terrain en Côte d’ivoire et au Sénégal et ayant couvert quasiment toute l’Afrique subsaharienne, je voyais des manques et des besoins. J’ai été sollicitée par des confrères et des consœurs qui me demandaient de l’aide sur plusieurs domaines.

De mon côté, il y a des situations auxquelles j’avais été confrontée, des situations de stress, des situations sécuritaires et des situations de gestion de crise sur lesquelles je m’étais sentie un peu isolée. Si moi j’ai ressenti ça alors que je travaille pour un grand média international, qu’est-ce qu’il en est de mes confrères locaux ? On s’est dit qu’avec cette structure, on pouvait accompagner à notre niveau des groupes d’hommes et de femmes journalistes.

 Quel type d’accompagnement faites-vous ?

T.M. On aborde tous les domaines journalistiques : l’accompagnement technique mais aussi psychologique, l’accompagnement sur les réseaux et finalement un accompagnement de carrière.

Combien de personnes accompagnez-vous ?

T.M. Comme c’est notre première année d’exercice, on a réussi à accompagner une vingtaine de personnes sur des problématiques diverses, de la technique d’investigation ou des questions de harcèlement moral.

La situation est-elle de plus en plus difficile ? 

T.M. Avec les réseaux sociaux, et cette capacité de diffuser sur les supports numériques, les journalistes s’exposent beaucoup plus qu’avant. Avant, il fallait attendre que votre article soit paru dans un journal et vendu en kiosques. Aujourd’hui votre article peut sortir au bout de 3 heures en ligne, et donc les attaques vont être beaucoup plus rapides, beaucoup plus violentes et vont vous poursuivre même au-delà de la publication. On ne peut pas aujourd’hui ne pas protéger les journalistes qui travaillent dans le digital et le numérique, on se doit de les accompagner.

Quelle est la spécificité du harcèlement envers les journalistes ?

T.M. Le harcèlement contre le journaliste est forcément beaucoup plus public, et encore est-ce que c’est vrai ? Pas totalement. Si on prend le harcèlement scolaire sur les réseaux sociaux, votre image va être exposée publiquement de la même manière qu’un journaliste qui sera harcelé suite à un travail qu’il a fait. Aujourd’hui, les mécanismes du cyber harcèlement sont identifiés par des spécialistes comme étant les mêmes partout. Maintenant, c’est la violence et la capacité à la gérer qui fera toute la différence. On a toujours du mal avec le harcèlement lui-même.

 

Recueilli par Océane Illunga /IHECS et Lamisse Oujari /ISIC

[INTERVIEW] Jérôme Bouvier : « Ce rendez-vous de Tunis doit ouvrir de nouveaux chemins »

C’est parti pour trois jours de conférences, débats et ateliers sur « L’urgence du journalisme ». La deuxième édition des Assises du journalisme de Tunis a pris son envol, ce matin, en présence de plus de 700 participants, dans le prestigieux cadre de la Cité de la Culture. Jérôme Bouvier, président de « journalisme et citoyenneté », est passé par la news room des écoles de journalisme pour parler des objectifs et des enjeux de ce rendez-vous euro méditerranéen. Il répond aux questions de Nordine Nabili, président du Master de journalisme de l’IHECS.

Interview réalisée par Nordine Nabili

[INTERVIEW] Charles Enderlin : « Ma quatrième identité, c’est journaliste »

(Photo : Lucas Turci/EPJT)

Charles Enderlin revient sur ses cinquante années de correspondance en Israël dans son dernier livre De notre correspondant à Jérusalem. Il fait découvrir aux lecteurs les coulisses de ses reportages et leur préparationn.

De votre correspondant à Jérusalem retrace cinquante ans d’histoire israélo-palestinienne, quel est l’objectif de ce livre ?

Charles Enderlin. Ce n’est pas une autobiographie mais l’histoire d’un journaliste qui l’est devenu par hasard. C’est le making-of d’un point de vue technique. On apprend comment j’ai eu accès à certaines sources, contacts et documents. C’est un livre professionnel mais ça ne m’empêche pas d’exprimer mon opinion personnelle vis-à-vis des intégristes en tout genre : djihadistes ou colons d’extrême droite, il y a des terroristes des deux côtés. Du point de vue de l’éthique, il est indispensable d’aller voir ces extrémistes. Il est difficile pour les Occidentaux, les Français laïcs, d’imaginer la religion politique qui existe dans cet univers. Les djihadistes, le Hamas, fonctionnent pour les générations suivantes. L’Afghanistan est un bon exemple : les talibans sont la création des Saoudiens et des Américains pour lutter contre les soviétiques. Tout le monde a joué avec le feu et l’incendie est là.

Comment le fait d’être juif a joué sur votre travail en Israël ?

C. E. J’ai toujours joué carte sur table. Je débarque, je dis : « Je suis juif, Israélien et Français » et j’ai toujours été reçu partout. Il n’y a que la communauté juive d’extrême droite qui a tenté de délégitimer mon travail. Avec France Télévisions, on s’est battu pendant douze ans contre leurs procédures judiciaires.

Dans votre livre, vous parlez aussi de votre identité de journaliste. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous ?

C. E. Je demande toujours aux gens de me regarder comme un journaliste. C’est ma quatrième identité. Je reste au plus proche de leur réalité. Je salue d’ailleurs ces gens, de tous horizons, qui m’ont reçu. Un imam du djihad à Gaza m’a d’ailleurs dit un jour : « You are a funny jew ! »

Quelle est la plus-value d’un correspondant face aux envoyés spéciaux ?

C. E. L’avantage c’est qu’on est en poste pour une longue durée. Cela permet de connaître le terrain, d’avoir les contacts. Je conseille aux jeunes journalistes de se faire un réseau. Il faut tout simplement faire l’effort de sortir, d’aller voir les gens même quand il n’y a pas de sujet. Ne pas craindre d’aller voir ceux qui ont des idées totalement opposées à leur position. S’il n’y a plus personne sur le terrain, tout le monde fait la même salade avec la même dépêche de l’AFP. C’est la mort du journalisme.

Quels conseils avez-vous pour des jeunes journalistes qui souhaitent partir ?

C. E. Il faut empêcher les jeunes qui sortent d’école de partir sans moyens dans des endroits dangereux pour se faire connaître. Les rédactions les utilisent de manière scandaleuse et paient des clopinettes. Ne risquez pas votre peau alors même que vous n’avez pas l’assurance d’avoir un poste derrière. Trouvez-vous un sujet de niche, apprenez une langue rare. Commencez dans une rédaction et grimpez.

Propos recueillis par Carla Bucero–Lanzi et Laure d’Almeida

[INTERVIEW] Baptiste Bouthier : « On avait tous conscience que l’histoire se déroulait sous nos yeux »

(Photos : Lucas Turci/EPJT)

À l’occasion des Assises du journalisme 2021, le journaliste Baptiste Bouthier présente sa première bande-dessinée, 11 septembre 2001 – Le jour où le monde a basculé, illustrée par Héloïse Chochois*.

Cette bande-dessinée est le résultat d’une collaboration avec la revue Topo, une revue dessinée pour les moins de 20 ans. Qu’elle était l’objectif de ce projet ?

Baptiste Bouthier. Topo est une revue bi-mensuelle qui décrypte l’actualité par le dessin. À l’occasion des 20 ans du 11 septembre, nous voulions raconter cet événement à un public trop jeune pour s’en souvenir. Leur raconter ce qu’il s’est passé, comment les informations arrivaient au compte-goutte en France. Le personnage principal est une adolescente, Juliette. Elle permet aux lecteurs de s’identifier et de comprendre l’impact que cela a eu sur le monde dans lequel ils vivent.

Dans la BD, Juliette a 14 ans au moment des attentats, l’âge que vous aviez à l’époque. Quels souvenirs en gardez-vous ? 

B. B. Comme Juliette, j’ai appris le drame par ma mère en rentrant du collège. Je n’ai pas bien compris sur le moment mais en voyant les images plus tard. On avait tous conscience que l’histoire se déroulait sous nos yeux. La façon la plus véridique de raconter, c’était de montrer ce que j’ai vécu. Il y a aussi les souvenirs de la dessinatrice Héloïse, et de nos proches. Tout le monde se souvient de ce qu’il faisait au moment de l’attentat. Juliette est un personnage fictif mais c’est un assemblage de souvenirs réels.

Avant d’être une fiction, c’est un travail journalistique. Comment avez-vous documenté votre travail ? 

B. B. Il y a des téra octets de vidéos sur le sujet. On cherchait des informations vérifiées et des témoignages complets et précis. Puis il y a eu la mise en scène. Comment mettre concrètement ces témoignages en dessins. Héloïse s’est basée sur de nombreuses photos des tours, de Georges W. Bush… Elle a vraiment travaillé en s’appuyant sur de vrais documents.

Y a-t il des difficultés à illustrer un événement tragique ?

B. B. Héloise avait la volonté de ne pas ajouter du pathos au pathos, avec des illustrations sombres. Mais on ne pouvait pas mettre de couleurs fluo non plus. Nous avons choisi des couleurs pastel, douces. Du rouge pour la France, du bleu pour les Etats-Unis, pour l’alternance des récits. Il n’y pas beaucoup d’images violentes du 11 septembre. Il n’y a pas d’entre-deux. Les gens sont sortis presque indemnes ou sont morts dans les tours. La violence, ce sont les gens qui sautent par les fenêtres. Nous avons choisi de les représenter. J’ai eu des reproches mais on ne pouvait pas ne pas montrer ça.

Recueilli par Chloé Plisson et Manuela Thonnel

(*) Une co-édition Dargaud et Topo.

[INTERVIEW] Karine Lacombe et Fiamma Luzzati : « Notre roman graphique est un témoignage instantané caméra à l’appui »

(Photo : Eléa N’Guyen Van-Ky/EPJT)

Karine Lacombe, cheffe du service infectiologie de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, et Fiamma Luzzati, illustratrice de bandes dessinées et autrice du blog L’Avventura, publient La Médecin, aux éditions Stock. Ce roman graphique retrace le quotidien sous tension des soignants à l’hôpital durant la première vague de Covid-19.

Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de votre ouvrage ? Quelle importance accordez-vous au témoignage ?

Karine Lacombe. Pendant la première vague de Covid-19, chacun était confiné chez lui. On entendait beaucoup de choses à propos du virus. Mais personne ne savait ce qui se passait à l’intérieur des hôpitaux. L’idée était donc d’offrir au lecteur une vision de l’hôpital durant cette crise, à la manière d’un reporter avec sa caméra à l’épaule. Ce qui m’importait, c’était aussi d’apporter mon témoignage de femme médecin, de mère de famille et de cheffe du service infectiologie en temps de crise, d’où le titre du roman.

Comment est née votre collaboration ?

K. L. L’histoire est partie de nos deux éditrices, dont l’une est très engagée. Elles m’ont contactée en mars 2020 car elles avaient envie de publier un livre au sujet de la crise sanitaire vue à travers mon regard. Elles m’ont tout de suite proposé la forme du roman graphique pour rendre l’histoire accessible à tous. Nous avions donc besoin d’une illustratrice de bandes dessinées. Elles se sont naturellement tournées vers Fiamma Luzzati.

Fiamma Luzzati. Je tiens un blog dessiné au sein du journal Le Monde. À l’époque, la rédaction ne traitait que du Covid, j’avais donc l’habitude d’élaborer des illustrations en lien avec le virus.

Pourquoi avoir choisi le support du roman graphique ? Y a-t-il une volonté de vulgarisation ?

K. L. Effectivement, la visée de ce roman est pédagogique et informationnelle. Notre objectif est de nous adresser à tout le monde. D’ailleurs, plusieurs pages consacrées à des explications scientifiques sont présentes dans l’ouvrage.

La couverture du roman vous montre vous, Karine Lacombe, fixant le lecteur derrière un hublot, au sein de votre service hospitalier. Que signifie-t-elle ?

K. L. Cette couverture, c’est un peu l’hôpital qui regarde le monde, à un moment où personne ne sait ce qu’il s’y déroule. Et, en ouvrant le livre, le lecteur est invité à passer derrière le hublot, à pénétrer l’intérieur des lieux.

La couleur bleue domine les illustrations. Pourquoi ?

F. L. Le bleu renvoie spontanément au domaine de la santé.

K. L. C’est aussi une couleur porteuse d’espoir.

Comment expliquez-vous la dernière page de l’ouvrage ?

K. L. La fin était un peu prémonitoire. On l’a ajoutée peu de temps avant la publication. Sur la dernière page, mon personnage revient à l’hôpital. Il revient parce qu’on entre dans la deuxième vague de l’épidémie.

 

Recueilli par Éléa N’guyen Van Ky et Claire Ferragu

(*) Editions Stock

[INTERVIEW] Ariane Chemin : « Au cours de la pandémie, la raison a laissé la place aux croyances »

Ariane Chemin, grand reporter au Monde, a publié en juin 2021, en compagnie de Marie-France Etchegoin, le livre Raoult. Une folie française*. Elle partage les coulisses de l’enquête sur ce personnage controversé.

(Photo : Lucas Turci/EPJT)

Est-ce la personnalité clivante de Didier Raoult qui vous a donné envie d’écrire ce livre.

C’est assez rare de voir surgir sur la scène politique quelqu’un aussi rapidement, avec une telle notoriété et qui divise autant. Nous avons tous assisté à des engueulades autour d’une table sur cette question. Ça me rappelle le référendum sur l’Europe de 2005 où des familles se déchiraient sur le sujet. De manière très anecdotique et très personnelle, j’ai attrapé la Covid en novembre 2020 pendant un reportage en Corse. J’ai appelé le meilleur généraliste de la ville qui ne s’est pas déplacé mais qui m’a prescrit le protocole Raoult. Et ça m’a interrogé car des études montraient déjà que la chloroquine ne marchait pas. Et, surtout, avant de juger quelqu’un de manière péremptoire, le meilleur moyen c’est de faire une enquête.

Est-ce qu’il y a une certaine autocritique chez lui ? 

Il n’y en a aucune. C’est sa psychologie, son caractère. Quand il nous a reçu, il était très aimable mais il s’est braqué au moment où on lui a demandé s’il ne regrettait rien car cela aurait du être son moment, en étant l’un des plus grands microbiologistes. Il s’est fâché en disant qu’il avait marqué cette pandémie comme personne et il s’est fermé avant de redevenir plus sympathique. 

La moitié du livre est consacrée à son parcours avant l’arrivée de la Covid-19 et notamment à son enfance. Pourquoi vous y êtes vous intéressé ? 

Il a une vie romanesque. Il se construit contre son père médecin, lui dit qu’il ne fera jamais médecine. Il grandit à Dakar puis Marseille prend une grande importance pour lui. Parler de sa vie, c’est aussi une manière de montrer que cet homme qui se dit antisystème en fait d’une certaine manière partie.

Raoult. Une folie française. Pourquoi ce titre ? 

Cela aurait pu être « une passion française ». D’abord, ça raconte un moment très particulier, dont tous les Français se souviendront, marqué par le confinement, la maladie, la peur. Ensuite ça a été un moment politique, presque un moment « trumpien » dans l’histoire française. L’idée qu’au cours de la pandémie, la raison a laissé la place aux croyances. C’était intéressant de le raconter. Il y a toujours eu dans l’histoire de la médecine des personnalités qui n’étaient pas dans les clous et qui ont découvert des choses. Il ne faut pas mépriser, a priori, quelqu’un qui n’est pas d’accord avec tout le monde, surtout avec son passé. Il a reçu le prix de l’Inserm qui est la 2e distinction après le prix Nobel. Une folie, c’est parce que la France s’est emballée pour Didier Raoult, y compris le président de la République. C’est le seul pays où on a connu l’émergence d’une personne comme cela. La chloroquine a été évoquée par Donald Trump, Elon Musk, Jair Bolsonaro. Cela a été planétaire.

Au cours de votre carrière, vous avez enquêté sur différentes personnalités proches du pouvoir (Dominique Strauss-Khan, Alexandre Benalla…), qui ont vu leur carrière brisée par leurs actes. Didier Raoult a eu une expérience similaire. Est-ce la compréhension de l’ambition et des contradictions des personnes influentes qui vous fascine ?

Ce n’est pas le pouvoir qui me fascine mais les personnages qui sont plein d’ambitions et qui se laissent brûler les ailes en s’y approchant. L’ambition, c’est intéressant à ausculter. Elle peut devenir une folie et vous entraîner vers la chute. Ce sont des cas typiques de personnes qui étaient promises à un avenir éclatant mais avec quelque chose de supplémentaire pour Didier Raoult : le déni. Il a toujours persisté dans ses idées.

Recueilli par Lisa Morisseau et Paul Vuillemin

(*) Aux éditions Gallimard

[Interview] Béatrice Denaes : « Les transidentités, on n’en parle pas et mon témoignage pouvait devenir intéressant »

Photo : Lucas Turci/EPJT

Ancienne journaliste à Radio France, Béatrice Denaes était présente aux Assises du journalisme, ainsi qu’au salon du livre, samedi 2 octobre. Elle présentait son ouvrage Ce corps n’était pas le mien – Histoire d’une transition tant attendue. C’est à l’arrivée de la retraite que Béatrice Denaes s’est sentie prête à parler de sa transidentité. Elle a arrêté de se présenter comme homme en 2019 et retrace son histoire dans son livre. 

 

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

À l’origine, c’était pour mes enfants. J’avais envie de laisser une trace qui leur raconte ma vie, qui leur explique que j’avais passé toute ma vie à me cacher. Je suis journaliste, je hais mentir. Pour moi, ce n’était pas du mensonge mais une omission : je savais ce que je ressentais pourtant je ne savais pas mettre de mots dessus. Je voulais leur expliquer, non pas pour les faire pleurer, toute la souffrance que j’ai vécu, que j’ai pu ressentir et aussi le bonheur que j’ai eu de les avoir. Même si j’ai eu la souffrance interne de ne pas les porter, d’accoucher et ça, ça restera le plus gros manque de ma vie. J’ai vécu la grossesse de ma femme et leur naissance par procuration. Ce livre c’était vraiment pour témoigner pour eux. En parlant avec mes amis journalistes, ils m’ont dit qu’il fallait que je le publie. Les transidentités, on n’en parle pas et mon témoignage pouvait devenir intéressant.

Vous avez passé votre vie à faire témoigner les autres et, là, c’est vous qui avez témoigné. Comment vous sentez-vous d’avoir échangé les rôles ?

Oui, c’est étrange, le « je ». Je l’ai banni depuis des années parce que, c’est ça qui est génial dans le métier de journaliste, c’est de faire parler les autres. Ça a toujours été mon idée en tant que journaliste, de faire bouger les mentalités des auditeurs, des lecteurs, des téléspectateurs et là, je me suis retrouvée dans une autre situation. Même si je connais les ressorts du témoignage, je dois reconnaître que ça fait bizarre d’être la personne qui témoigne. On a plus l’habitude de poser les questions que d’y répondre en effet, mais on s’y fait.

Est-ce qu’il y aura une autre étape pour vous, après votre livre, pour vous engager sur la question de la transidentité ?

Oui et je me suis déjà engagée. Quand j’ai fait ma transition médicale, je n’ai pas été bien reçue par une association réputée alors que j’allais très mal et que j’avais besoin de soutien. Je me suis dit que je voudrais qu’il existe une association entre médecins et personnes concernées pour faire avancer les choses. Le parcours médical était et, il l’est toujours, très psychiatrisé.

Cela m’a poussé à créer quelque chose avec les médecins et, finalement, ils avaient la même idée puisqu’en novembre dernier, nous avons créé une association qui s’appelle Trans Santé France. Nous nous retrouvons entre médecins, paramédicaux, personnes concernées, familles, associations, juristes, sociologues et en même pas un an d’existence, nous sommes déjà 120.

Nous avons organisé notre premier congrès à Lille, il y a même pas quinze jours et nous avons déjà des contacts. Nous voulons vraiment faire avancer les choses. On ne devrait pas avoir besoin d’un psychiatre pour déterminer si on est trans ou pas. Tout comme on ne devrait pas avoir besoin d’un juge pour attester que l’on est trans et changer d’état civil. Il y a encore pas mal de choses à faire changer et je veux le faire en position de journaliste en discutant, en informant.

Nous pensons qu’il faut simplifier ce parcours médical. Il est essentiel mais il pourrait passer par un généraliste. On parle souvent de médecins transphobes mais souvent ils n’y connaissent simplement rien et n’ont jamais étudié la transidentité. Ils ne connaissent parfois même pas les dosages donc nous voulons les accompagner. On va lancer un DIU (diplôme interuniversitaire) pour que les médecins soient formés.

Comment mieux parler de la transidentité dans les médias ?

Il faut plus en parler, même au sein des écoles de journalisme. J’ai tenu une conférence à l’Ecole de journalisme de sciences po, parce qu’en effet l’équipe pédagogique s’est rendue compte que les journalistes ne connaissent rien au sujet de la transidentité. Il y a eu beaucoup de questions très intéressantes et nous avons besoin de cet échange. Quand les gens ne comprennent pas, cela mène à la haine et à l’intolérance. Quand on connaît et qu’on réalise que chacun peut vivre sa vie comme il l’entend, cela évite ces phénomènes.

Recueilli par Lisa Peyronne et Héloïse Weisz

[INTERVIEW] Alain de Chalvron : « La télévision a la puissance d’entrer dans le salon des gens »

Alain de Chalvron, grand reporter et correspondant à l’étranger (France 2, RFI, France Inter) vient de publier le livre En direct avec notre envoyé spécial, aux éditions l’Archipel. Il partage ses souvenirs et l’envers du décor de ses reportages.

Alain de Chalvron était présent au salon du livre des Assises du journalisme 2021 (Photo : Lucas Turci/EPJT)

Comment décririez-vous votre livre En direct avec notre envoyé spécial à ceux qui ne l’ont pas (encore) lu ? 

Beaucoup me disent qu’il s’agit d’un livre d’actualité contemporaine. D’ailleurs, à propos, j’aimerais bien être en Afghanistan aujourd’hui ! C’est vrai que j’ai couvert l’ensemble des grands événements de ces trente-cinq, quarante dernières années et j’ai découvert beaucoup de choses que je souhaitais transmettre à travers ce livre. 

Depuis que vous avez commencé votre carrière, quelles évolutions du métier avez-vous pu constater ? 

Je trouve qu’il y a une évolution assez positive. Lorsque je repense à l’époque où j’étais à Beyrouth, je pouvais passer des heures bloqué à l’hôtel à attendre un coup de fil… Par exemple, au Caire, il fallait que j’aille à la poste la veille pour payer le temps de communication dont j’allais avoir besoin. Maintenant, on téléphone de n’importe où avec les téléphones satellites. On peut même envoyer des images. Ce qui est un grand progrès. Le plus gros budget, lorsque j’étais chez France 2, était le coût de la communication satellite. Lorsque j’arrivais à un endroit, avant même de traiter l’information, je devais chercher un faisceau. Sinon on se faisait doubler par notre principal concurrent TF1. Aujourd’hui avec un téléphone portable et un ordinateur tout se fait, même capter au fond du désert. 

En revanche, il y a eu moins de progrès du côté des réseaux sociaux. Tout le monde se sent journaliste, mais beaucoup sont des faux journalistes. Il y a toute sorte de manipulations : ils se disent journalistes mais ils travaillent pour un gouvernement, une idéologie, un parti politique… Au final, ils n’informent pas et laissent la voie aux fake news. Cela a fortement dégradé l’image des journalistes et les politiques s’en sont saisis pour dénigrer la profession. La réputation n’est plus ce qu’elle était malgré le bon travail des professionnels. 

Un autre phénomène est l’apparition des chaînes d’information en continu et des nouveaux médias. La concurrence s’est multipliée. Certes cela motive, mais il y a aussi des conséquences. En voulant battre le voisin, on se précipite parfois trop. Les recettes publicitaires se partagent aussi donc il y a donc moins d’argent.

Les rédactions ont aussi moins de correspondants permanents, quelle en est la conséquence ?

C’est vraiment dommage car, dans les bureaux, on prend un réel plaisir à couvrir l’actualité. Ce sont des postes formidables, la quintessence du métier. On tisse un réel réseau de contacts que l’on n’a pas lorsqu’on est envoyé spécial. Les contacts, c’est l’essentiel. Ils donnent des informations et livrent une analyse des situations que l’on ne peut pas avoir autrement. Les effectifs des rédactions ont aussi été réduits à cause du manque de moyens, ce qui donne encore moins de temps pour chercher l’information, tourner et monter les images sur place.

Quelle est votre plus fort souvenir de ces années de reportage à l’étranger ? 

La télévision à la puissance d’entrer dans le salon des gens. Lorsqu’on leur apporte les images, beaucoup me disent « vous faites parti de la famille ». Je dirais que 90 % du métier est du plaisir. Pour le plus fort, je dirais Haïti lorsqunous avons réussi à obtenir l’interview de l’ennemi numéro 1. Parmi mes autres souvenirs, le reportage le plus dur a été sur les enfants esclaves. Nous sommes ressortis changés de ce sujet. C’était tellement lourd. 

Un message pour les jeunes journalistes ?

Je ne suis pas pessimiste car il y aura toujours besoin de journalistes. Certes, il y a moins de journaux qu’à une certaine époque mais il y aussi la naissance de nouveaux médias de grande qualité comme Slate, Politico, Atlantico…  On le voit aussi à travers la naissance de médias locaux qui se développent comme Médiacités. Ce sont de bons journalistes confirmés qui ne racontent pas de balivernes sur le terrain.

 

Recueilli par Carla Bucero Lanzi

[INTERVIEW] Hervé Gardette « Les problématiques écologiques sont encore trop cantonnées à une spécialité »

À l’occasion des Assises du journalisme 2021, le journaliste Hervé Gardette présente son premier livre Ma transition écologique, comment je me suis radicalisé. Une sélection de ses chroniques environnementales diffusées sur France Culture et éditée chez Novice. Aujourd’hui, journaliste pour l’émission « 28 Minutes » sur Arte, il revient sur son apprentissage de la transition écologique.

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Hervé Gardette a tenu pendant deux ans une chronique sur l’écologie dans « Les matins de France culture ».  (Photo : Marine Gachet/EPJT)

Comment garder une distance journalistique avec son sujet quand celui-ci promet de faire partie intégrante de votre vie professionnelle ?

On fait comme avec n’importe quel sujet. C’est difficile car quand on est plongé quotidiennement pendant deux ans dans un sujet, cela prend beaucoup  de place. Particulièrement lorsqu’il s’agit du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Quand on commence à s’y intéresser de près, on ne peut qu’être convaincu de l’urgence de la situation. Après, que fait-on avec cette urgence ? Un travail de militantisme ? Cela peut tout à fait être concevable. Il y a des journalistes qui sont devenus activistes. Mais il faut quand même garder une distance critique avec son objet, toujours. Il faut faire ce qu’on doit faire pour n’importe quel sujet journalistique. Moi avec l’écologie, j’ai essayé de présenter plusieurs arguments sans disqualifier des arguments moins vertueux écologiquement. Mon idée c’était de partir de mon exemple personnel pour montrer qu’on a beau être convaincu de quelque chose, l’appliquer n’est pas toujours simple. On est fait de cette contradiction. Il faut aussi montrer la complexité des choses.

Dans votre livre vous écrivez que « le confinement a été une occasion en or pour regarder le monde qui nous entoure autrement » et que, paradoxalement, vous avez régressé dans votre processus de transition écologique. Pouvez-vous en dire plus ?

J’ai essayé de diminuer les emballages et d’acheter en vrac le plus possible. Malheureusement, pendant le confinement cela n’a plus été possible pour des raisons sanitaires. Il y a eu en plus un effet de compensation. Je me déplaçais moins mais c’était une période assez stressante. Il y avait besoin de se faire plaisir inconsciemment avec des choses que je n’aurais pas acheté en temps normal. Quand, à la fin de cette période, certains prétendaient que tout allait changer, moi, je n’y ai jamais cru. Quand on observe les débats présidentiels, il y en a encore où l’écologie est absente.

Pensez-vous qu’il y a un problème de traitement médiatique des problématiques environnementales aujourd’hui en France ? 

Oui car ces problématiques sont encore trop cantonnées dans une spécialité. Or c’est un problème systémique. Si on veut une transition écologique, il faut changer l’économie, les transports, l’éducation, la culture.  Ce n’est pas le sujet d’une spécialité, cela devrait englober tout le reste. C’est quelque chose d’inévitable, qu’on soit écolo ou non, le changement climatique est là. J’entends encore des émissions politiques ou aucune question n’est posée aux invités concernant l’écologie. C’est assez curieux.

Si vous deviez conseiller un livre à une personnes qui ne se sent pas concernée par cette thématique, lequel serait-il ? Et pourquoi ? 

Il y a un livre que j’aime beaucoup et qui est une bonne porte d’entrée pour ce sujet, c’est l’Atlas de l’anthropocène d’Aleksandar Rankovic et François Gemenne. Il est très clair. L’écologie est un sujet complexe : toutes les décisions en induisent d’autres. C’est en expliquant la complexité que le sujet devient abordable. Dans les médias, on confond encore compliqué et complexe. A force de simplifier certains sujets, on les rend incompréhensibles.

Propos recueillis par Romane Lhériau

[INTERVIEW] Sophie Roland : « A nous de montrer que des solutions existent »

Membre du Solutions Journalism Network, Sophie Roland défend un journalisme de solutions face à un journalisme anxiogène, dans le traitement de l’urgence climatique.

Sophie Roland (Photo : Irène Prigent/EPJT)

Après avoir travaillé plusieurs années pour les magazines d’enquête de France Télévisions, Sophie Roland a rejoint en 2019 le Solutions Journalism Network fondé par des journalistes du New York Times. Au sein de la profession et auprès des étudiants, elle forme au journalisme de solutions et travaille à en détruire les clichés.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous diriger vers le journalisme de solutions ?

Cela a été un cheminement un peu long. J’ai fait beaucoup d’enquêtes dans ma vie et au fur et à mesure, je me suis rendue compte qu’elle déprimaient les gens. Les spectateurs étaient laissés avec un sentiment d’impuissance et d’anxiété. Et puis j’ai fait des rencontres, notamment avec Nina Fasciaux qui est la manager Europe du Solutions Journalism Network. Elle m’a expliqué comment les Américains avaient réfléchi à mettre au point une méthode qui permette d’exercer le journalisme de solutions de manière rigoureuse. Il y avait un sommet international à Sundance en novembre 2019. Cela m’a fait un bien fou de rencontrer des journalistes qui ont envie, comme moi, de bousculer leurs approches du reportage ou de l’enquête en les axant sur les réponses aux problèmes. J’ai repris espoir.

Quelle est la principale critique que vous adressez aux médias concernant le traitement de l’urgence climatique ?

Les journalistes sont souvent très anxiogènes dans la manière d’aborder les sujets climatiques. C’est vrai qu’il faut faire prendre conscience aux gens qu’il y a un problème, mais on ne doit pas s’arrêter là. Il faut être capable d’analyser et d’apporter des réponses. C’est important pour moi que ce ne soit pas le fait uniquement d’une niche de médias spécialisés. Le journalisme de solutions doit être mis en avant dans nos journaux télévisés et nos grands magazines. Il faut des sujets ambitieux sur les solutions, ce qui nécessite un travail d’investigation. Des événements comme la COP 26 sont des occasions pour parler des initiatives qui existent.

À quels obstacles se heurte encore le journalisme de solutions ?

Il n’y a pas encore ce réflexe premier des journalistes d’aller couvrir « le sixième W », que j’appellerais le « qu’est-ce qu’on fait ? » Je pense qu’aujourd’hui, de plus en plus de journalistes vont êtres sensibilisés à cela, en particulier chez la jeune génération. Les problèmes hurlent et les solutions murmurent. Maintenant, il faut faire hurler les solutions. Mais mesurer l’efficacité des initiatives prend du temps. Les rédactions doivent essayer de s’en dégager et mieux anticiper les sujets. Au lieu de faire un marronnier sur la journée du climat, par exemple, les journalistes peuvent l’axer sur les solutions. Ce sont des choix éditoriaux et des réflexes à intégrer.

Comment échappez-vous au cliché du journalisme de « bonnes nouvelles » ?

J’y échappe en participant à des événements comme les Assises du Journalisme, où durant trois jours, je casse les idées reçues autour du journalisme de solutions. J’interviens beaucoup auprès des écoles de journalisme, mais aussi à France Télévision. J’espère prouver à l’antenne que ce journalisme est aussi exigeant que n’importe quel reportage.

Êtes-vous optimiste pour le climat ?

Le journalisme de solutions m’a redonné de l’optimiste. On a une responsabilité journalistique à bien informer les gens sur les problèmes et les solutions qui auront un véritable impact sur le climat. Inutile de perdre son temps à exposer des soi-disant solutions qui ne vont rien régler du tout, ni à mettre en avant des technologies dont on n’a même pas encore la preuve qu’elles fonctionnent. Il faut être réaliste, ne pas tomber dans le « Greenwashing ». Néanmoins, des solutions, il y en a. À nous de les montrer, les travailler, les questionner et les investiguer de manière rigoureuse.

Propos recueillis par Irène Prigent

[INTERVIEW] Franck Annese : « Le but, c’est de proposer des changements de pratiques »

Fondateur du groupe So Press, Franck Annese décrit l’évolution récente des pratiques journalistiques au sein de ses médias, liée à la crise du Covid mais aussi à la lutte contre le réchauffement climatique.

(Photo : Lucas Turci/EPJT)

Franck Annese s’est fait connaître en fondant le magazine So Foot en 2003. Vient ensuite Society puis, plus récemment, So Good. Tous ces magazines sont intégrés au groupe So Press, dont il est le patron.

La crise du Covid a-t-elle modifié votre façon de travailler au sein des médias de votre groupe ?

Ce serait mentir que de dire qu’il y a un avant et un après Covid dans notre rédaction. Pendant le premier confinement, on ne pouvait plus aller dans certains endroits parce que nous venions de Paris. On nous reprochait de diffuser le virus. Mais cela n’a été que temporaire. Il n’y a pas eu de changement fondamental, si ce n’est dans la généralisation du télétravail. Nous n’aimons pas forcer les gens à So Press mais, malgré tout, c’est bien quand il y a du monde à la rédaction.

Durant votre débat avec Fabrice Arfi, vous évoquiez les efforts de vos médias pour limiter votre empreinte carbonne. Pouvez-vous les décrire ?

Nous essayons de n’utiliser que du papier écologiquement vertueux. Ce n’est pas forcément du recyclé car ce n’est pas toujours mieux mais nous faisons attention à leur empreinte carbone. Nous utilisons aussi des colles différentes, plus écologiques. Au niveau de l’encre, il existe des encres végétales plus vertueuses mais leur très fort coût fait que nous ne pouvons pas les utiliser aussi souvent que nousle souhaitons. Nous cherchons aussi à réduire les trajets de nos journalistes, ne pas faire d’allers-retours systématiques. Dans le cas où les déplacements sont longs et polluants, nous ramenons plusieurs articles que nous pouvons exploiter dans les différents magazines du groupe. Nous avons lancé également une autre démarche : en fonction du nombre de kilomètres parcourus par nos journalistes, nous finançons la plantation d’arbres. Ça ne compense pas forcément mais c’est déjà un premier pas. La dynamique est enclenchée, elle va dans le bon sens, et nous allons continuer à réduire autant qu’on le peut notre empreinte climatique.

Vous avez lancé So Good en 2020, qui promeut le journalisme de solution. Est-ce pour vous le meilleur moyen de mobiliser face aux enjeux de la crise climatique ?

Nous avons vraiment deux logiques différentes avec So Good et Society. Society va plus dans la complexité des choses, montrer ce qui ne va pas, donner l’alerte… Ce n’est ni tout blanc ni tout noir. So Good, à l’inverse, met en avant des personnalités qui font bouger les lignes. Nous médiatisons des personnes qui sont sous-médiatisées. Le but, c’est de proposer des changements de pratiques, voire de vies. Ne pas imposer mais proposer. Mais il ne faut pas oublier qu’il est toujours nécessaire de lancer des alertes. C’est notre rôle.

Recueilli par Lucas Turci

[INTERVIEW] Kathleen Grosset : « On ne punit pas, on émet un avis »

Présidente du Conseil de déontologie journalistique et de médiation, Kathleen Grosset insiste sur la nécessité et l’utilité de cet organe d’autorégulation indépendant pour les médias français.

Kathleen Grosset est arrivée à la tête du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) en début d’année 2021. Ancienne présidente de la Fédération française des agences de presse, elle a également été vice-présidente de la création de l’Observatoire de la déontologie et de l’information (ODI) de 2012 à 2020.

Le CDJM reste une instance peu connue du grand public. Concrètement quel est son rôle ?

C’est une association qui réunit des journalistes, des éditeurs, des agences de presse et des représentants du public. C’est un organe d’autorégulation. Toute personne peut nous saisir dès qu’il a l’impression d’avoir vu, lu ou entendu une faute déontologique dans un média français. Nous parlons bien de la déontologie, pas de ce qui relève de la loi. Pour ça, il y a les tribunaux. Le Conseil n’a pas à intervenir dans ce domaine. Nous examinons ensuite les requêtes et si nous les jugeons recevables, nous rendons un avis.

De 2012 à 2020, l’Observatoire de la déontologie de l’information réalisait aussi une mission similaire. Qu’apporte de plus le CDJM ?

L’observatoire permettait de comprendre les erreurs des journalistes et d’en faire un rapport annuel pour en tirer des conclusions très générales. En 2020, il  nous a semblé important de créer un conseil de presse comme il en existe dans beaucoup de pays. En France, il manquait la présence d’un organe indépendant, différent des médiateurs et des chartes qui existent déjà dans chaque média. Notre force, c’est notre indépendance. Nous ne subissons aucune pression et nous ne sommes pas un tribunal. On ne punit pas. On émet juste un avis. Il revient ensuite aux rédactions concernées de nous écouter et de prendre en compte ou non les fautes que nous avons pu constatées.

Quel bilan faites-vous après plus d’un an d’existence ?

Depuis sa création en 2020, nous avons reçu 450 saisines qui concernaient 200 actes journalistiques. Mais parmi toutes ces saisines, 70 % n’ont pas été retenues car nous avons estimé qu’elles ne portaient pas sur des fautes de déontologie mais plutôt sur des questions de lignes éditoriales ou de liberté d’expression sur lesquelles nous n’avons pas à rendre une décision. Au total, le conseil a rendu 40 avis dont seulement 40 % ont été jugés « fondés ». Pour nous, retenir une saisine ne veut pas forcément dire qu’il y a faute.

Comment réagissez-vous au fait que le Conseil ne fasse pas l’unanimité dans la profession ?

Je ne comprends pas que le conseil puisse faire autant débat. Sincèrement. Car nous sommes vraiment indépendants. Nous ne sommes pas là pour punir. Je pense qu’il vaut tout de même mieux avoir un organe d’autorégulation, qui intègre des journalistes et des citoyens plutôt qu’un organe gouvernemental qui rende des décisions coercitives.

Propos recueillis par Enzo Maubert

 

 

 

[INTERVIEW] Jean Jouzel : « On a laissé trop de place au climatoscepticisme »

Pour parler correctement du climat, le chercheur Jean Jouzel prône un journalisme responsable incluant scientifiques et non-spécialistes.

Paléoclimatologue, ancien vice- président du Giec, de 2002 à 2015, Jean Jouzel est reconnu pour ses travaux de recherche sur l’évolution du climat. Il est lauréat de nombreuses distinctions scientifiques, parmi lesquelles la médaille d’or du CNRS (2002). Sous sa vice-présidence, le Giec se voit décerner en 2007 le prix Nobel de la paix, avec Al Gore, alors vice-président des États- Unis, pour leur engagement dans la lutte contre les changements climatiques.

Après quarante ans de prise de conscience, quel diagnostic faites-vous du traitement de l’urgence climatique dans les médias ?

Jean Jouzel. Je pense que nous avons d’excellents journalistes qui traitent de ces problèmes. La place donnée à l’environnement et au climat est en général satisfaisante dans les médias. C’est le cas dans la presse écrite, ça l’est de moins en moins à la radio tandis que la télévision ne donne plus qu’un espace minime aux scientifiques. Certains, pour se différencier, ont mis en avant une forme de climatoscepticisme et ont donné une parole à ses défenseurs même s’ils ne représentent que quelques scientifiques isolés. C’est regrettable car je pense que les médias jouent un très grand rôle dans l’acceptation par la population de la réa- lité du changement climatique.

Les journalistes doivent-ils continuer à donner la parole aux climatosceptiques ?

J. J. Oui, ceux-ci doivent aussi pouvoir s’exprimer, c’est quelque chose de légitime. Cela me semble logique que certaines personnes se disent : « Mais est-ce que les scientifiques ont vraiment rai- son ? » Surtout lorsque cela implique une refonte complète de notre société. C’est un scepticisme constructif. L’enjeu im- pose cependant un débat d’arguments. Il faut sortir des dogmes. C’est au journaliste de comprendre qu’il ne peut pas donner la parole à un interlocuteur qui nie le réchauffement climatique sans argument. Trop souvent cela a été le cas, nous avons laissé trop de place au climatoscepticisme.

Dans les médias, la question du réchauffement climatique est-elle le domaine réservé des journalistes scientifiques ?

J. J. Non, au contraire, il faut que les journalistes d’actualité, d’économie, de société écrivent sur cette question. Il est tout à fait justifié qu’un journaliste, sans grande culture scientifique, parle de sujets qui touchent directement au réchauffement climatique, à ses causes, à ses conséquences, à ses solutions. Il n’a besoin que de sa propre culture et d’un esprit d’ouverture. L’aspect scientifique est important mais c’est avant tout un problème de société majeur.

Recueilli par Léobin DE LA COTTE et Romain LELOUTRE