Marc Sinnaeve lors du débat « Journalisme en Europe et urgence climatique : l’heure des choix ». Photo : Jihane ZIYAN/Ihecs

Marc Sinnaeve est enseignant à l’Ihecs en information économique, écologique et sociale. Il décrypte la difficulté de traiter la question écologique pour les journalistes tant elle est multiforme et touche à tous les secteurs de la vie économique et sociale.

Les journalistes sont-ils à la hauteur de l’urgence climatique?

Marc SINNAEVE. La plupart des journalistes salariés en matière d’écologie et d’environnement le sont parce qu’il s’agit très souvent d’un engagement. C’est donc des personnes qui s’intéressent à la question depuis longtemps. Si ce n’est pas le cas, ils ont investi beaucoup d’énergie parce qu’il s’agit d’une question très large. Pour la maîtriser, il faut travailler beaucoup. Pour les indépendants, c’est peut être une autre question à traiter. Mais les journalistes salariés ont cet investissement nécessaire, en tout cas dans ce que je vois. Il y a cependant une limite malgré tout, mais qui ne tient pas tant à la qualité du travail et aux compétences de ces journalistes mais plutôt des freins et des limites liés à la complexité du sujet. Effectivement, parler de climat aujourd’hui c’est aussi parler des solutions mais aussi des problèmes, des causes, des origines des bouleversements que l’on vit aujourd’hui. Ces origines et ces causes résident notamment dans notre modèle économique de croissance illimitée. Celui-ci est au cœur de notre société et ce depuis la révolution industrielle. Il est finalement le socle de l’organisation capitaliste de nos sociétés. C’est une partie intégrante du décor, une réalité et une évidence de nature au point qu’on ne songe même pas à questionner – je ne dis pas forcément à critique r- l’intérêt et la persistance de ce modèle. Il est pourtant à l’origine de la destruction des écosystèmes à travers les énergies fossiles qui sont utilisées pour nourrir la croissance.

Y a-t-il une autre limite, propre à la profession ?

M. S. Prenons un exemple : si un journaliste veut questionner le poids de l’industrie automobile ou la pertinence du switch qui est en train de s’opérer vers les voitures électriques (et donc finalement une réponse de marché et de croissance à des problèmes causées par la croissance), il risquent de se voir confrontés à des rappels à l’ordre, des avertissements et des objections de la part de leurs hiérarchies. Un traitement équilibré de ce genre de question est compliqué dans la mesure où la principale source de financement des médias privés aujourd’hui – voire la seule – est la publicité. Il suffit, pour s’en rendre compte, de regarder un journal télévisé ou n’importe quelle émission, le nombre de publicités pour les voitures électriques. Alors est-ce que ces journalistes sont rappelés à l’ordre ou est-ce qu’il existe une forme d’autocensure, c’est la question.

En tant qu’enseignant à l’Ihecs, quels conseils donneriez-vous aux étudiants et jeunes journalistes?

M .S. J’ai conscience que c’est une matière complexe, au sens où le climat est un sujet constitué de beaucoup de dimensions. La question du climat touche pratiquement toutes les dimensions de la vie publique et la vie des gens aujourd’hui. C’est ce qu’on appelle soit une question totale soit une question politique, parce qu’elle implique toutes les questions de la vie en société, que ce soit économique, politique, mais aussi culturelle, philosophique et psychologique. Je crois que la question du climat vient cristalliser tout cela. Tout ça finalement, demande sans doute, pour les jeunes, un peu de travail et d’investissement. Cette question d’écologie peut aussi être une formidable opportunité d’entrer dans la complexité de notre monde actuel. Ce prisme écologique en effet brasse beaucoup de défis et de questions concernant l’organisation de l’économie, les inégalités sociales ainsi que les questions liées au financement pour la transition écologique.

Recueilli par Jihane Ziyan (Ihecs)