De l’opposition à l’asile politique

Yvette Murekasabe et Ali Al Makri sont tous les deux des anciens résidents de la Maison des journalistes. Ils ont été invités à une conférences sur le sujet, vendredi. Captures d’écran : Tiffany Fillon

Yvette Murekasabe et Ali Al Makri ont quitté leurs pays respectifs en 2015. Exilés en France, ils ont été pris en charge par la Maison des journalistes, une association spécialisée. Vendredi, pendant une conférence aux Assises de Tunis, ils ont raconté au public leurs parcours poignants.

Dans l’une des salles de la Cité de la culture, où ont lieu les Assises de Tunis, Yvette Murekasabe, une petite femme mince aux cheveux très courts, prend la parole après une brève présentation de la Maison des journalistes : « Dans mon pays, enlisé dans une crise politique depuis 2015, j’avais publié un reportage radio qui ne plaisait pas au pouvoir. Je dénonçais la violation de la constitution burundaise par le président qui avait brigué trois mandats alors que la loi n’en prévoyait que deux au maximum. J’ai été poursuivie pour cela et menacée de mort au point que j’ai du fuir le pays clandestinement. »

De l’autre côté de la table, Ali Al Malkri, un petit homme en costume, est lui aussi un opposant politique dans son pays. « Mes articles, par exemple sur la consommation d’alcool, ont provoqué un tollé chez les autorités et les fanatiques religieux. Ces derniers m’envoyaient des menaces », se souvient-il. A l’image de la population civile au Yémen, il a vécu de plein fouet la guerre qui oppose la coalition menée par l’Arabie Saoudite et les rebelles houthies. « Une brigade de l’armée a été bombardée à côté de mon domicile, au moment même où j’allais produire un article sur cette guerre. La détonation était si forte. Elle m’a plongé dans la terreur », détaille-t-il.

Malgré sa détermination, la peur de mourir sous les bombes a pris le pas sur son combat pour la liberté de la presse. Traumatisé, il est parti avec l’un de ses enfants et son frère pour se réfugier dans un hôtel. Là-bas, il a écrit sur Facebook ce qu’il venait de se produire. « Je n’avais plus les mêmes positions politiques que le journal pour lequel je travaillais », justifie-t-il.

Sur la route de l’exil

Ce départ précipité les a tous les deux poussés à se réfugier dans un ou plusieurs pays. Yvette Murekasabe a du payer un passeur pour se rendre au Rwanda, pays voisin du Burundi. Là-bas, elle a récupéré son visa, envoyé par l’ambassade de France, pour venir en France.

Pour Ali Al Makri, le chemin a été plus tortueux. Ce journaliste-écrivain a été invité par une bibliothèque anglaise pour présenter son livre. Son rêve, c’était d’aller vivre en Grande-Bretagne. Mais il du se rendre en Égypte pour récupérer son visa. Puisqu’il ne l’a pas obtenu, il est allé le chercher à Djibouti. Le temps qu’il reçoive son visa, il était trop tard. Désemparé, il a perdu l’inspiration : « Alors que l’écriture était mon activité quotidienne, j’étais incapable d’écrire. Tout me rappelait la guerre, même une porte qui claque. » Pourtant, c’est son talent qui lui a sauvé la vie. En France, il a été invité pour recevoir un prix littéraire pour son roman. Cette fois-ci, il a pu s’y rendre. Sachant qu’en Egypte, il pouvait être emprisonné pour son roman, il a décidé de rester en France.

« Je me considère comme un enfant du siècle des Lumières »

En France, Yvette Murekasabe et Ali Al Makri ont tous les deux été recueillis par la Maison des journalistes. L’association les a aidés à obtenir le droit d’asile et publie leurs articles sur le site internet de la Maison. Ils font aussi partie de « Renvoyé spécial », une opération d’éducation aux médias mise en place par la Maison. Dans les écoles françaises, ils racontent leurs histoires pour sensibiliser les jeunes au respect de la liberté de la presse et pour leur ouvrir les yeux sur la réalité de la migration.

« Ma place est au Burundi »

Aujourd’hui, Ali est toujours journaliste et écrivain. Son prochain livre sortira d’ailleurs bientôt en France. « Ici, je jouis d’une grande liberté. Je me sens chez moi et je me considère comme un enfant du siècle des Lumières », avance-t-il. A son plus grand regret, Yvette Murekasabe n’est plus journaliste. Médiatrice sociale, elle aide les personnes en situation de précarité énergétique pour le compte d’une grande entreprise française. Mais son premier métier et son pays lui manquent : « J’aimerais bien rentrer chez moi, que la situation se stabilise au Burundi pour que je reprenne mon activité de journaliste. Ma place est au Burundi. »

Khouloud Hamdi et Tiffany Fillon

Les citoyens au cœur du dernier débat des Assises de Tunis

Les invités ont débattu de la manière d’inclure les citoyens dans la construction d’une information avant de laisser place à la cérémonie de clôture. Photo : Clara Gaillot

Pour le dernier débat des Assises internationales du journalisme à Tunis, l’intégration des citoyens à la production d’une information a été abordée.

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La jeunesse africaine en faveur d’un « renouvellement des médias »

Les jeunes de l’ONG Enactus sont aux Assises, dans le cadre d’un partenariat.

A l’occasion de la conférence “comment les médias peuvent-ils encore séduire les jeunes ?”, nous avons demandé à des étudiants présents aux Assises, ce qu’ils pensent du paysage médiatique traditionnel, et ce qu’ils en attendent à l’avenir.

La jeunesse prend le pouvoir dans le paysage médiatique. C’est le cas du côté du site internet StreetPress, où la moyenne d’âge de la rédaction s’élève à 26 ans. Crée en 2009, le média français a su faire son trou, avec un adage : « on écrit les articles et on réalise les documentaires que l’on a envie de lire », comme l’explique Johan Weisz-Myara, journaliste de Streetpress. De l’autre côté de la Méditerranée, les initiatives se multiplient également. Mantchini Traoré, jeune malienne, est à l’origine de l’émission « Instant Thé », diffusée sur la télévision publique nationale. Et la productrice compte bien modifier le paysage médiatique traditionnel : « demandez aux jeunes ce qu’ils veulent, allez auprès d’eux, vous verrez ! » Cela tombe bien, c’est la question que nous sommes allés poser à six jeunes de 15 à 25 ans, tous présents aux Assises.

Aïcha Khoufi (Bénévole à l’ONG Enactus, 20 ans) : « Peut-être qu’il faudrait changer les sujets, qu’on parle moins de politique par exemple. »

Takwa Ben Halima (Membre du 25-21 Project, 18 ans) : « Honnêtement, je suis un peu désespérée de nos médias… En Tunisie, on ne trouve que les vraies informations sur Facebook. Nos chaînes nationales diffusent des mensonges, tout est caché. »

Henri Dumont (Bénévole à l’ONG Enactus, 25 ans) : « S’informer via la télévision c’est dépassé. Il faudrait une application mobile qui envoie des notifications en fonction de préférences qu’on aurait donné auparavant. »

Dorra Moalla (Bénévole à l’ONG Enactus, 19 ans) : « À la télévision, on ne trouve que des sujets politiques, des crises, ce qui est négatif… Sur internet on peut trouver des opportunités, des choses qui pourront être utiles à tout le monde. Il faudrait que les médias parlent plus de ce qui touche les jeunes. »

Ismaël Damak (Bénévole à l’ONG Enactus, 19 ans) : « Je pense qu’il faut cibler les jeunes. La télévision n’a pas évolué, elle ne touche plus les jeunes. Maintenant, ils sont touchés par les réseaux sociaux. »

Farès Amri (Bénévole à l’ONG Enactus, 23 ans) : « Il faut travailler sur les sujets qui intéressent les jeunes : la musique ou les blogueurs par exemple. En Tunisie, la politique c’est quelque chose de fou. C’est quelque chose d’impossible à comprendre, on ne peut pas en discuter. C’est réservé aux présidents, aux ministres… À ceux qui s’intéressent à la politique. »

Elise Pontoizeau

Les femmes journalistes à la conquête de leurs droits

Vendredi, lors de la conférence intitulée « Un journalisme utile aux femmes », une photojournaliste yezeri témoignait. Photo : Marie Jansen

En Tunisie, les femmes journalistes constituent aujourd’hui plus de 50 % de la profession. De plus en plus nombreuses à intégrer l’Institut de presse et des sciences de l’information (Ipsi), elles sont 70 % à entrer sur le marché du travail diplômées. Un record.

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« La démocratie ne peut pas vivre sans médias variés, libres et indépendants »

Le Commissaire européen Johannes Hahn a affiché sa fermeté envers tous ceux qui menacent les journalistes dans le monde. Photo : Lucas Beulin.

C’est Johannes Hahn, Commissaire européen à l’élargissement et à la politique européenne de voisinage, qui a officiellement clôturé ces Assises de Tunis. Après être revenu sur les grands enjeux actuels de la profession, il a évoqué le climat que doivent affronter les journalistes et affiché toute la fermeté de l’Union européenne vis-à-vis de l’affaire Khashoggi notamment.

Johannes Hahn a officiellement mis fin aux Assises de Tunis 2018 en prononçant un discours d’une dizaine de minutes. Devant une salle Omar Khlifi comble, il a dressé le portrait de la profession avant de revenir sur les grands enjeux qu’elle traverse avant de condamner fermement les menaces et violences dont les journalistes font l’objet. Retour sur les moments forts de son intervention.

Rappel du rôle fondamental des médias

« Ces Assises sont une véritable étape pour les médias dans la région. Cela va nous permettre de partager et de poursuivre le développement des médias indépendants. La démocratie ne peut pas vivre sans médias variés, libres et indépendants. Ils sont un pilier de la démocratie et du développement de sociétés résilientes. Il est regrettable que les journalistes doivent faire face à un espace d’expression qui se rétrécit et à un environnement hostile. »

Panorama des enjeux actuels du journalisme

« Le journalisme est dans une phase de changement. Les choses changent à grande vitesse avec internet notamment. À l’ère des fake news, l’information erronée devient monnaie courante. Le journalisme indépendant et la vérification de l’information sont la clé. La révolution digitale a changé nos économies. Il est très important que les médias restent à jour et jouissent autant que possible de leur indépendance. L’Union européenne est en train de promouvoir, à travers des programmes, une information de qualité. La plateforme Med Média a été créée pour la liberté des médias et pour s’ériger contre les discours de haine. »

Condamnation des violences contre les journalistes

« L’Union européenne va continuer à soutenir le secteur des médias, à promouvoir et protéger la liberté d’expression ainsi que la liberté de la presse. Le contexte actuel est marqué par des attaques physiques contre les journalistes dans le monde, et même dans l’Union européenne, alors que que l’on croyait cela impossible. On ne parle pas seulement de violences mais aussi de meurtres. Je suppose que celui de Khashoggi n’est pas un cas isolé. Il faut découvrir qui sont les meurtriers et instigateurs de cet assassinat. La responsabilité de chacun doit être clarifiée, les responsables doivent être traduits en justice et condamnés. »

L’UE soutient et remercie la profession

« Il faut une protection pour les professionnels de l’information. Les journalistes critiques ne doivent pas être considérés comme des menaces mais comme les constructeurs d’une nouvelle société. Nous allons protéger vos intérêts. Merci beaucoup pour tout ce que vous avez fait, dans l’optique d’une société beaucoup plus informée. Vous ne travaillez pas toujours dans des conditions faciles. Je vous souhaite le meilleur. »

Recueilli par Clément Argoud

 

Les 9 choses à retenir des Assises de Tunis

A l’issue de ces Assises, le bilan semble positif du côté de l’organisation. Avec une belle affluence pendant trois jours, l’événement semble avoir répondu aux attentes. Voici les neuf choses à retenir de cette première édition.

C’est une première édition réussie. Les Assises du journalisme qui se sont tenues du 15 au 17 novembre à Tunis – une première hors de France – ont rencontré un succès tant du côté des professionnels que des particuliers qui ont arpenté pendant ces trois jours les allées de la Cité de la Culture. Des principales thématiques abordées à l' »appel solennel », voici les neuf choses à retenir de cet événement qui connaîtra une deuxième édition en 2020.

 

1. La question des migrants au cœur de l’actualité

La rencontre a été très représentative de l’objectif de ces Assises : montrer les problématiques communes entre les journalistes de différents pays. On peut ainsi souligner l’utilité du débat d’ouverture, qui a rendu possible la confrontation de plusieurs points de vue.

Retrouvez ici l’interview d’Alessandra Coppola, autour de la conférence : « Médias et migrants, quel regard de chaque côté de la Méditerranée ? »

2. Des acteurs variés

Au delà des journalistes, les Assises sont aussi un lieu de rencontre entre les différents acteurs qui font l’actualité. Une conférence a fait la part belle aux startupers, blogueurs et youtubeurs. La question de la relation entre les ONG et les journalistes a également été posée. En résumé, l’événement tente de s’éloigner d’un corporatisme qui peut parfois toucher les journalistes.

Retrouvez ici l’article autour de la collaboration entre les ONG et les journalistes

3. S’informer sur les nouveautés pour les journalistes

Drones, caméras à 360°, réalité virtuelle… L’événement permet de voir et de comprendre les nouveaux outils utilisés dans les rédactions. Les pratiques journalistiques novatrices, comme le fact-checking, ont également été au cœur de certains débats.

Retrouvez ici l’interview avec Peter Cunliffe-Jones, créateur du site de fact-checking Africa Check, et là l’article sur l’utilisation des drones sur les zones de guerre par les journalistes.

4. Un événement mondial

Avec 500 journalistes et trente pays représentés, cette première édition des Assises de Tunis fut un lieu de rencontre unique pour les acteurs du monde de l’information. Comme l’explique Jérôme Bouvier, il n’y a « pas de frontière entre les journalistes. Ils font un même métier, et partagent les mêmes valeurs. »

Retrouvez ici l’interview de Jérôme Bouvier

5. La Cité de la Culture

La Tunisie s’est présentée sous son meilleur jour en accueillant journalistes, conférenciers et visiteurs au sein de cet immense bâtiment. Et malgré le débat qu’a pu susciter sa construction, la majorité des participants aux Assises semblaient plus impressionnés qu’autre chose. Un bon point pour la Cité de la Culture, ouverte il y a quelques mois.

Retrouvez  ici l’article sur la Cité de la Culture, un projet titanesque qui suscite le débat

6. La parole à monsieur Tout-le-monde

Ces assises auront également été l’occasion d’entendre les plus discrets. De nombreux ateliers mettant en avant le journalisme citoyen se sont tenus durant ces trois jours d’Assises. Une initiative louable, tant ces personnes sont habituellement considérées comme des soldats invisibles de l’information.

Retrouvez ici l’article sur les blogs citoyens, ces supports qui donnent la parole à ceux qui ne l’ont pas

7. L’éducation au cœur de l’événement

Ces Assises ont mis en lumière les étudiants et les formateurs. D’une part, l’Ecole publique de journalisme de Tours (Epjt) et l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI) ont couvert l’événement pendant trois jours, publiant leur contenu sur le magazine La Feuille, mais aussi via leur site internet. D’autre part, de nombreux professeurs ont donné des conférences, notamment sur l’utilité de sensibiliser les jeunes aux médias.

Retrouvez ici la vidéo croisée entre Nicolas Sourisce, directeur de l’école de journalisme de Tours, et Hamida el Bour, directrice de l’IPSI

8. Il y aura un épisode 2

En clôture des Assises internationales du journalisme de Tunis, les organisateurs ont annoncé qu’il y aurait bien une deuxième édition de ce rendez-vous journalistique. Il aura lieu en octobre 2020, toujours à Tunis donc. On ne connaît en revanche pas, pour l’heure, le lieu précis de l’événement.

Retrouvez ici l’article sur la clôture de ces Assises

9. « L’appel solennel » des journalistes en clôture des Assises

Lors de la dernière conférence, les journalistes ont adressé un « appel solennel » aux « dirigeants politiques, aux responsables économiques, aux représentants des syndicats, aux associations et à la société civile. » Ils demandent que la liberté d’expression et la liberté de la presse soient défendues dans leurs pays comme un bien fragile et précieux ».

Dans ce message commun, ils appellent notamment les Etats à « garantir le libre accès aux informations et données publiques » ou encore « la reconnaissance dans tous les pays d’un véritable statut pour les journalistes ».

Retrouvez ici l’appel en intégralité ici

 

« Prendre des engagements sur la durée pour échanger »

Lors de la clôture officielle des Assises de Tunis, Elisabeth Guigou a indiqué son intention d’inscrire cet événement dans la durée, au sein de la capitale tunisienne. Photo : Wikipedia Commons.

Elisabeth Guigou, présidente de la Fondation pour le dialogue des cultures euroméditérranéennes, a souligné la volonté commune d’inscrire ces Assises de Tunis dans la durée. Avec, dès 2020, une deuxième édition.

 

Elisabeth Guigou : « Bravo d’avoir réussi à rassembler autant de journalistes et de professionnels des médias pendant trois jours. La Fondation s’est intéressée aux médias depuis le début car ils sont un vecteur essentiel du dialogue interculturel, ce qui est au cœur de notre mission. Je suis très heureuse de construire un partenariat pour préparer les prochaines Assises d’octobre 2020, afin de soutenir et diffuser votre appel. L’important est de prendre cet engagement sur la durée pour échanger, dans les rôles qui sont les nôtres. »

Recueilli par Clément Argoud

« Beaucoup de projets ont pu naître pendant trois jours »

Avant d’introduire les allocutions officielles, Jérôme Bouvier a dressé en quelques phrases le bilan de cette édition tunisienne 2018. Photo : Lucas Beulin.

Le Président des Assises du journalisme a conclu officiellement cette édition tunisienne et en a dressé le bilan. Rendez-vous est donné en octobre 2020, toujours à Tunis, pour poursuivre la réflexion.

Jérôme Bouvier : « Beaucoup de projets qui ont pu naître pendant trois jours. Les échanges ont été riches et fantastiques. Beaucoup de fleurs ont commencé à s’épanouir. On peut citer la création du réseau de journalistes d’investigation des deux rives de la Méditerranée, celle de Hack/Hackers Euromed, ou encore le partenariat entre l’IPSI et l’EPJT. Nous avons toujours l’utopie de créer un jour une villa Albert Camus du journalisme, qui permettrait d’échanger entre confrères et consœurs francophones. Je tiens à remercier l’Union européenne sans qui la tenue de ces Assises n’aurait pas été possible Nous nous engageons à le poursuivre sur la durée, avec une deuxième édition en 2020. »

Recuilli par Clément Argoud

Jérôme Bouvier : « Pas de frontières entre les journalistes, un même métier, des mêmes valeurs »

À l’issue des Assises de Tunis, Jérôme Bouvier, fondateur et organisateur de l’événement nous livre son ressenti. Photo : Lucas Beulin.

Au terme des 1ères Assises internationales du journalisme de Tunis, Jérôme Bouvier, président de Journalisme & Citoyenneté et fondateur des Assises du Journalisme, est un homme heureux. Il nous livre son sentiment.

« C’était compliqué de monter ce grand événement, de trouver les partenaires pour nous suivre dans ce pari. J’ai eu beaucoup d’échos positifs au cours des trois jours. Ce qui m’a le plus frappé lors de ces Assises de Tunis, c’est une formidable énergie et une formidable diversité. 800 journalistes de 30 pays étaient réunis. On y a vu la réalité de notre métier. Et malgré les difficultés qui sont énormes, une envie de parole et d’échange toujours intacte. Il ne faut pas que des frontières se dressent entre les journalistes. Nous avons un même métier, des mêmes valeurs. Tous ces journalistes nous ont d’ailleurs encore fait voir leur appétit pour lancer des projets. Je suis toujours autant fasciné par l’envie de tous et cela donne envie de continuer l’aventure. Donc, rendez vous désormais en mars 2019 à Tours, avant une deuxième édition des Assises de Tunis à l’automne 2020. »

Aux Assises, naissent trois belles initiatives

 

Annonce de la création d’un réseau francophone d’investigation

Sandrine Sawadogo, secrétaire de rédaction à l’Economiste du Faso (Burkina Faso) :

« Je vous annonce aujourd’hui la création de « Initiatives Impact Investigation », un réseau francophone de journalistes d’investigation. Il faut du lien, de la collaboration entre journalistes d’investigation. Nous allons mobiliser des moyens financiers, assurer une meilleure diffusion, mais aussi former les journalistes aux techniques d’investigation. Notre projet est soutenu entre autres par RSF, Forbiden Stories, l’AFP… »

Lancement du réseau Hacks/hackers euromed

Antoine Laurent, consultant en stratégie numérique :

« Nous voulons mettre en lien les journalistes et les développeurs web. Ces derniers peuvent aider les journalistes à développer des applications, des infographies, des longs-formats interactifs. Hacks/hackers euromed va servir en somme à développer le journalisme interactif. »

Partenariat entre écoles de journalisme

Laurent Bigot, enseignant à l’École publique de journalisme de Tours (EPJT) :

« Aux Assises de Tunis, des étudiants de l’école publique de journalisme de Tours (EPJT) ont travaillé avec leurs homologues de l’Institut de presse et des sciences de l’information (Ipsi). L’idée est de renforcer le lien et les échanges entre différentes écoles de journalisme. »

Propos recueillis par Romain Pichon

Sur Facebook, les Tunisiens se sont appropriés l’information

Facebook a assurément accéléré le processus de démocratie en Tunisie. Désormais, les locaux sont moins craintifs, et n’hésitent plus à faire valoir leurs libertés.

Depuis la révolution de Jasmin en 2011, le peuple tunisien a décidé de participer de lui-même à l’information. Pour cela, Facebook s’est révélé être leur meilleur allié possible. Et aujourd’hui encore, le réseau social reste incontournable dans la société.

La Tunisie est le deuxième plus grand pays africain utilisateur de Facebook. Avec plus de 55% de la population connectée au réseau social et 6,5 millions d’utilisateurs (selon Medianet Labs), la plateforme est aujourd’hui incontournable dans le quotidien des Tunisiens. Pourtant, quelques mois après la révolution en 2012, ce chiffre plafonnait à seulement 3 millions d’utilisateurs. Comment expliquer alors l’évolution exponentielle des utilisateurs depuis 2012 ? Pour Fatma Star, blogueuse et étudiante au lycée Pierre-Mendès-France au moment des événements de janvier 2011, « la plateforme a permis aux Tunisiens de faire grandir leurs libertés ».

Aujourd’hui encore, beaucoup l’assurent : les manifestations de 2011 n’auraient sans doute pas eu la même ampleur sans les médias sociaux. « Ils ont aidé à mobiliser les foules, à les pousser à surmonter leurs peurs », déclare Mokhtar Ben Henda, maître de conférence en technique de l’information et de la communication spécialisé sur le monde arabe. Romain Lecomte, docteur en sciences politiques et sociales à Liège, souligne lui aussi l’importance qu’a pu avoir Internet, et Facebook en particulier, lors de ces mois de révolte. « La plateforme a été très largement utilisée en Tunisie, pour contrer la censure du gouvernement et la propagande des anciens médias », décrypte-t-il.

« Le média tunisien le plus consulté, c’est Facebook »

Mais pour les Tunisiens, le succès du mouvement en 2011 n’a pas freiné l’élan pour autant. Au sortir de la période de révolution, le peuple n’a pas arrêté de faire valoir ce qu’il avait à revendiquer, là encore par la voie des réseaux sociaux. «  Les Tunisiens aiment beaucoup l’interaction. Les réseaux sociaux offrent cette possibilité de commenter, de discuter et de débattre autour de l’actualité, et c’est pour cela que le nombre d’utilisateurs grandit encore », assure Souhaieb Khayati, de Reporters sans Frontières.

Sept ans plus tard, le pays est donc l’un des plus influents d’Afrique sur les réseaux sociaux, et les médias se doivent de s’adapter à ce public particulier. Larbi Chouikha, professeur à l’Institut de presse et des sciences de l’information, en est conscient. « Aujourd’hui, le média tunisien le plus consulté, c’est Facebook et de loin. Les médias traditionnels n’ont donc pas la même manière d’écrire qu’il y’a huit ans, et le partage des articles sur les réseaux sociaux devient très important dans le processus d’écriture. » Sept ans après la chute de Ben Ali, les Tunisiens sont donc plus actifs que jamais sur les réseaux sociaux. Preuve que la démocratie doit beaucoup à ces nouveaux médias.

Hugo Girard

Photojournaliste, un métier en voie de disparition

Les intervenants de cette conférence étaient tous photojournalistes, et ont exposé leur vision nuancée métier. Photo : Clara Gaillot

« Comment vivre du photojournalisme ? » C’est la problématique que soulevait ce matin cinq photo-reporters. Venus des deux rives de la Méditerranée, ils dressent le portrait d’une profession reléguée au second plan.

Les enjeux

La photographie est un art, oui. Mais surtout une vocation. Et ça, Amira Al Sharif, Zein Al Rifai, Ammar Abd Rabo, Amine Landoulsi et Jean-François Leroy ne diront certainement pas le contraire. Depuis environ une décennie, ces photoreporters pestent contre les smartphones qui envahissent la profession et la « gangrènent » peu à peu. Malgré des conditions souvent précaires, ils se battent pour donner des images aux réalités du monde.

Ce qu’ils ont dit

Amira Al Sharif, photojournaliste yéménite :

« Au Yémen, en tant que photojournaliste, je dois me battre pour tout : avoir des autorisations, recharger mes batteries, sauvegarder mes photos. Mes travaux sont de véritables challenges. »

Zein Al Rifai, photojournaliste syrien :

« Les journalistes n’ont aucun droit en Syrie. Comme dans beaucoup de pays, il y a énormément de difficultés, mais là-bas, c’est une sorte de ‘journalisme d’obligation’. L’absence des reporters étrangers nous a peu à peu encouragés à prendre nos appareils photo pour montrer l’horreur des conflits. Alors c’est sûr, ce n’est pas une profession lucrative, mais nous le faisons pour la cause. »

Amine Landoulsi, photo-journaliste tunisien :

« La question à laquelle nous devons répondre n’est pas ‘comment vivre du photojournalisme ?’, mais plutôt ‘comment survivre ?’. Jusqu’en 2017, je travaillais pour des médias étrangers, puis j’ai été licencié. Avec trois enfants à charge, j’étais dos au mur. Mais à ce moment-là, la Tunisie n’intéressait plus personne. A croire qu’il faut que tout aille mal pour que l’on ait du travail. »

« Je ne comprends pas, ma fille poste sur Instagram de superbes photos et elle ne réclame pas 500 euros »

Ammar Abd Rabo, photojournaliste franco-syrien :

« Je me dis souvent que la photographie va devenir un luxe, qu’elle ne sera accessible qu’aux gens riches. Mais la photographie n’est pas un hobby, c’est un métier. Avant, on partait en reportage, on nous donnait 3 000 euros, en rentrant, on arrivait à vendre nos photos pour 5 000. Aujourd’hui, les reportages coûtent toujours 3 000 euros, mais plus personne ne veut les financer, et on peine à vendre nos travaux pour 2 000 euros. »

« Le problème est bien interne aux rédactions. Maintenant, quand on va voir nos rédacteurs en chef pour proposer un reportage et que le coût est (normalement) élevé, on nous répond : ‘Je ne comprends pas, ma fille poste sur Instagram de superbes photos et elle ne réclame pas 500 euros.' »

Jean-François Leroy, photojournaliste français, fondateur de « Visas pour l’image » :

« Aujourd’hui, les journaux disent qu’ils n’ont plus les moyens quand il s’agit d’envoyer des photographes couvrir une zone de conflit. Par-contre, quand une princesse britannique tombe enceinte, là il y a de l’argent. »

Ce qu’il faut retenir

A l’ère du numérique, le photojournalisme est englouti. Les médias n’investissent plus autant qu’avant dans les talents d’un photographe professionnel. Le seul type de mission qui semble rémunérer correctement ces reporters reste la couverture de conflits. Un constat qui désole les cinq photojournalistes présents ce samedi matin. Ils conseillent aux jeunes qui souhaitent se lancer de persévérer avec « un oeil nouveau et singulier sur l’actualité ».

Clara Gaillot

Indépendance économique et indépendance éditoriale : chacun son interprétation

Omar Belhouchet, Marine Doux, Mathieu Pays, Alia Ibrahim et Malek Lakhal ont débattu de l’indépendance économique des entreprises médiatiques. Photo : Lucas Beulin.

Présentée par Mathieu Pays, directeur de la rédaction de TMV, journal gratuit tourangeau, la conférence sur l’indépendance économique et son lien avec l’indépendance éditoriale a permis d’exposer des points de vues très différents sur ce sujet.

Omar Belhouchet se bat depuis plus de vingt ans pour l’indépendance d’El Watan, le journal algérien qu’il a fondé. Depuis sa création, il a été suspendu huit fois par le pouvoir algérien. Pour gagner en indépendance, le quotidien s’est doté de tous les éléments de la chaîne de production. Tout d’abord, pour contrer le monopole d’État, l’entreprise a mis en place son propre système de distribution, évitant ainsi les marges de l’État algérien.

« Ils ont tout fait pour nous tordre le cou », explique Omar Belhouchet. Dans cet objectif de maîtriser au mieux la production, le journal s’est doté de sa propre rotative, un projet de plusieurs années, avec une machine qui a été bloquée plusieurs mois au port. Même si les ventes du journal baissent et sont passées sous les 100 000 exemplaires, le journal est très peu dépendant d’acteurs extérieurs, contournant ainsi le monopole d’État sur la publicité.

La publicité au cœur du problème

La publicité a été le sujet majeur de cette conférence, elle peut représenter un danger pour l’indépendance éditoriale d’un titre. « Nous avons des bailleurs occidentaux, qui financent certains articles dans une démarche de ciblage, ça crée une forme de colonialisme », regrette Malek Lakhal, journaliste pour le site Nawaat, qui couvre l’actualité du monde arabe.

Malgré tout, ces financeurs étrangers lui permettent de s’affranchir des pressions économiques du pays. « Cela nous permet d’être indépendant face aux Etats, même si ce n’est pas toujours bien perçu, il y a toujours une animosité entre les publicistes et les journalistes. »

Pour Marine Doux de Tank Média, la viabilité économique d’un média est la plus grande priorité, quitte à ce que cela se fasse au détriment de la ligne éditoriale. Dans son incubateur à start-up, même si elle préfère parler de « communauté », l’équipe de Tank Média accompagne des projets éditoriaux dans la recherche de pérennité économique.

Elle propose des formations, des « business plan » notamment en combinant publireportage, du sponsoring pour que le média génère suffisamment de bénéfices. La ligne éditoriale est donc remise au second plan face aux ambitions économiques. La démarche est donc radicalement différente de celle d’Omar Bellouchet pour qui l’aspect financier se mettait au service de la ligne éditoriale.

Lucas Beulin

« Le vote populiste en Italie montre que les journalistes ne sont pas assez écoutés »

Alessandra Coppola était présente, vendredi soir, au débat « Médias et migrants, quel regard de chaque côté de la Méditerannée? » des Assises de Tunis. Photo : Tiffany Fillon

Invitée vendredi du débat « Médias et migrants, quel regard de chaque côté de la Méditerranée ? », la reporter italienne Alessandra Coppola explique à quel point l’arrivée d’un gouvernement anti-immigration en Italie a modifié la manière dont les grands journaux italiens traitent la question migratoire.

 

Alors que, depuis le 31 mai dernier, un gouvernement hostile à la migration dirige l’Italie, avez-vous l’impression d’être utile en tant que journaliste?

Je vis dans un moment de frustration. J’ai impression que ce que les journalistes ont fait pendant toutes ces années n’a pas été utile. Un récent sondage d’opinion a montré que seul 30 % des Italiens savent qu’il y a environ 8% d’étrangers dans leur pays. Les 70% restants surestiment cette proportion. En réalité, il y a plus d’Italiens qui partent à l’étranger que de personnes qui viennent en Italie. Je l’ai écrit, j’en ai parlé dans des débats, j’ai donné des cours dans des écoles pour rétablir la vérité. Le vote populiste en Italie montre que les journalistes ne sont pas assez écoutés.

Depuis sa création en 1876, le journal pour lequel vous travaillez, le Corriere della Sera, a souvent penché du côté du gouvernement. Aujourd’hui, les points de vue de ses journalistes sur l’immigration se distinguent-ils des prises de position du gouvernement italien ?

Notre journal n’est pas idéologique, il propose des opinions plurielles pour que tout le monde s’y retrouve. Le problème, c’est que les populistes ont réussi à faire croire des choses fausses sur l’immigration aux Italiens, en leur faisant peur. C’est à nous, journalistes, de faire un travail rigoureux et indépendant pour décrypter les informations véhiculées par les hommes politiques, notamment sur les réseaux sociaux. Mais, c’est un travail compliqué. Ces discours conviennent aux citoyens qui veulent d’abord lire et écouter ce qu’ils savent et pensent déjà. Le sujet est vraiment pris en otage par le débat politique.

« Je me sens ignorée. J’ai beau écrire des choses, les hommes politiques et les citoyens ne réagissent plus »

Ce gouvernement, très hostile à l’arrivée de réfugiés dans le pays, vous empêche-t-il de traiter la question migratoire en tant que journaliste spécialiste de ce sujet ?

Non, car, j’ai toujours mes sources pour obtenir les chiffres du gouvernement, par exemple, sur les derniers débarquements de migrants. Je ne suis pas non plus censurée par mon journal. Le problème majeur concerne la réception de mes articles. Je me sens ignorée. J’ai beau écrire des choses, les hommes politiques et les citoyens ne réagissent plus.

Quand je suis allée au Liban, j’ai écrit un article sur une famille qui vivait dans la misère et qui n’avait pas tous ses papiers. L’article a sûrement joué un rôle car elle est arrivée une semaine après en Italie. C’est plus difficile maintenant de faire bouger les choses. Et la propagande de l’État n’arrange rien. Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur, vient de recevoir des réfugiés qui sont arrivés en Italie à travers le Niger grâce à l’ONU. Il manipule l’opinion en affirmant désormais qu’il n’est pas contre les réfugiés mais contre les migrants irréguliers.

Les choses ne sont donc pas amenées à évoluer…

Vu la tournure des événements, je pense, qu’à l’avenir, l’Italie va régulariser massivement des migrants. Le gouvernement va pouvoir dire qu’il a réduit le nombre de migrants et trouvé des solutions pour régler cette problématique. Nous, les journalistes, allons devoir traiter ce changement de politique. Autant dire que j’ai encore beaucoup de travail.

Propos recueillis par Tiffany Fillon et Romain Pichon


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« Si un journaliste se sent menacé, il peut envoyer ses informations à Forbidden stories, nous les sécuriserons »

« Avec 15-38 Méditerranée, nous souhaitons construire des ponts entre les rives de la Méditerranée »

Hélène Bourgon, co-fondatrice de 15-38 Méditerranée, revient sur ses missions et dresse un bilan de son média, deux ans après sa création. Photo : Elise Pontoizeau.

Basé à Marseille et Alger, 15-38 Méditerranée propose, chaque mois, d’aborder une thématique commune entre les sociétés méditerranéennes. Une initiative qui vise à créer un lien entre les différentes rives. Rencontre avec sa co-fondatrice, Hélène Bourgon.

Un site commun à tous les pays qui longent la rive de la Méditerranée. Créé il y a deux ans, 15-38 Méditerranée – comme le point central de la Méditerranée en longitude et latitude – a pour objectif de traiter des questions sociétales « comme l’immigration, la drogue ou encore l’éducation ». Un projet qui est « le fruit d’une réflexion de plusieurs années », nous explique Hélène Bourgon, la cofondatrice du site.

15-38 Méditerranée est sur le point de fêter ses deux ans. Quel bilan faites-vous de ce projet ?

C’est épuisant mais on tient le coup. En seulement un an et demi, nous sommes passés de 10 000 visiteurs à plus de 20 500. Il y a une réelle demande de la part des lecteurs et c’est la plus belle des reconnaissances. Les écoles que nous avons approchées sont également très satisfaites par notre travail et notre approche avec les élèves. Plus que jamais, il est important de maintenir ce lien entre les rives afin de contrer les vagues dangereuses de nationalisme qui se propagent en Europe.

Comment est née l’idée de votre média 15-38 Méditerranée ?

Ce projet est le fruit d’une réflexion de plusieurs années entre différents correspondants et chercheurs. Nous souhaitions éclairer les citoyens sur les problématiques que rencontrent les sociétés méditerranéennes. Nous voulions aborder des questions sociétales, comme l’immigration, la drogue ou encore l’éducation, afin de montrer aux lecteurs que nous partageons tous les mêmes difficultés. D’abord pensé à Beyrouth, notre média a finalement vu le jour en France, en mars 2017. Aujourd’hui, Coline Charbonnier, Justin de Gonzague et moi-même sommes basés à Marseille, tandis que Leïla Berrato se situe à Alger.

Dans quelles mesures votre initiative se distingue-t-elle des autres médias ?

L’idée n’est pas de concurrencer les médias traditionnels mais nous voulons apporter des clés de compréhension et des moyens d’agir pour nos lecteurs français et européens. Les connaissances de tous nos journalistes se sont faites sur le terrain. Je me suis moi-même expatriée six ans au Moyen-Orient pour mieux comprendre et appréhender cette région. Nous souhaitons construire des ponts entre les rives de la Méditerranée, au moment où certains souhaitent construire des murs entre les frontières. La richesse de nos sociétés passe avant tout par le partage des cultures.

« Nous avons fait le choix de rendre notre plateforme gratuite afin d’être le plus accessible possible »

Comment s’organise la rédaction de 15-38 Méditerranée ?

Afin de publier un dossier par mois, nous collaborons avec dix journalistes, photographes et dessinateurs. De nouvelles thématiques sont envoyées par mail et un échange s’établit afin d’éclairer les nombreux angles possibles. Les reporters disponibles partent alors sur le terrain dans le but de réaliser leurs reportages. A côté de cette production, nous nous rendons également dans les écoles et les collèges pour enseigner l’éducation aux médias. Cette mission journalistique est indispensable pour permettre aux jeunes de bien s’informer et de leur inculquer l’importance de ce métier. C’est aussi une manière de rétablir une confiance avec le public.

De quelles manières parvenez-vous à financer vos réalisations ?

Nous permettons aux lecteurs de soutenir ce projet à travers des dons. L’adhésion s’élève à soixante euros par an mais nous proposons également des dons mensuels, de deux à dix euros. Nous venons également de sortir une publication papier, Une année en Méditerranée, vendue en ligne, afin de récolter des fonts pour bien démarrer 2019. Notre campagne de financement participatif nous a permis de très bien tenir durant la première année mais ce modèle économique est difficile car nous n’avons pas assez d’adhérents.

Malheureusement, les médias indépendants ne bénéficient d’aucune aide lorsqu’ils ne sont pas des titres de proximité. Tous nos journalistes sont payés à la pige, c’est pour cela que nous ne pouvons pas nous permettre de proposer dix reportages par mois. Nous avons fait le choix de rendre notre plateforme gratuite afin d’être le plus accessible possible et de toucher un large lectorat, qui s’étend de 18 à 90 ans.

Que représente pour vous cette première édition des Assises internationales du journalisme à Tunis ?

Cet événement est un véritable vivier dans lequel nous avons la chance de rencontrer des journalistes du bassin méditerranéen mais pas seulement. En tant que reporter, croiser la route de journalistes yéménites est d’une richesse incroyable. C’est aussi l’occasion de créer de nouvelles collaborations. Nous avons pour projet de créer un échange via Skype entre des collégiens de Marseille et de Tunis, afin d’aborder différentes thématiques sociétales.

Propos recueillis par Thomas Desroches

Les drones, nouveaux alliés des journalistes de guerre

Les drones sont de plus en plus utilisés sur les zones de guerre, à commencer par les journalistes. (ARIS MESSINIS / AFP)

Initialement destinés aux armées, les drones sont devenus des outils accessibles au grand public. Mais avec l’appropriation de ces aéronefs par les journalistes, ceux-ci reviennent sur leur terrain initial : les zones de conflit.

Et si les drones révolutionnaient le journalisme de guerre ? Déjà utilisés par les armées depuis des dizaines d’années, ces aéronefs ont trouvé avec les médias de nouveaux utilisateurs depuis quelques temps.

Avec la réduction du prix de ce nouvel outil – il est aujourd’hui possible d’en acheter un filmant en très haute résolution pour moins de 1000 euros -, et une praticité améliorée – beaucoup tiennent dans une valisette, et sont pilotables depuis un smartphone –, les rédactions ont vite compris qu’il fallait sauter le pas. « Les drones changent et changeront le traitement médiatique des conflits », assure ainsi Kamel Redouani, documentariste à France Télévisions.

La plus-value apportée par ce nouvel outil est en effet non négligeable d’un point de vue journalistique. Pour Eric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions, l’utilisation d’un drone dans un reportage permet « une variation des plans, mais surtout de raconter l’histoire de manière différente ».

Au plus près des zones de conflit, l’utilisation de drones par les journalistes a effectivement de nombreuses utilités. Grâce à ces nouveaux outils, il est désormais possible de s’approcher au plus près de l’action, en limitant les risques pour les journalistes. Ils permettent aussi d’apporter une autre vision du terrain, avec les prises de vues aériennes. Ce nouvel angle de vue permet une lecture plus facile de l’histoire pour le téléspectateur et lui offre une information mieux contextatualisée.

Une autre vision des conflits

Kamel Redouani loue d’ailleurs l’utilisation des drones sur le terrain, en se basant sur son expérience personnelle. « En filmant un reportage sur la chute de Syrte, on a pu se rendre compte que, lorsque des couloirs étaient ouverts pour faire sortir les femmes et les enfants, les soldats de Daech tiraient sur eux, sur les membres de leurs propres familles. Les drones ont donc permis de voir une autre facette de la réalité », a-t-il assuré lors de la conférence sur les nouveaux outils du journalisme, vendredi, aux Assises de Tunis.

Mais la force de ces nouveaux outils fait également leur faiblesse. Leur capacité à se rendre sur tous les terrains fait d’eux de véritables cibles. Considérés comme une menace, du fait de leur capacité à dévoiler des stratégies, ils sont de plus en plus victimes de tirs, voire de hacking.  « Avec les outils à leur disposition, les forces armées tentent de prendre le contrôle des machines que les journalistes utilisent », explique Eric Scherer. Avec les risques que cela encourt : en dévoilant la position des journalistes, ces derniers pourraient courir un risque pour leur vie.

 « L’image vue du ciel apporte certes de nombreuses opportunités… Mais il reste très difficile de tourner avec des drones », résume Kamel Redouani. La faute à une appropriation pas encore totale de l’outil, et de ses limites. Mais, malgré tout, l’aéronef devrait s’imposer comme l’atout numéro 1 du reporter de guerre dans les années à venir. En attendant, le temps est à l’expérimentation.

Hugo Girard

En Tunisie, le citoyen comme solution

Le projet Youthmore, présenté ici par Arbia Mthlouthi, vise à mettre en lumière les initiatives et les success stories de jeunes tunisiens. Photo : Lucas Beulin.

Le journalisme porteur de solutions peut être l’incarnation du journalisme utile, thème majeur de ces Assises. Invitées de l’atelier « Un journalisme utile porteur de solutions » deux journalistes tunisiennes ont présenté leur approche et les visées de cette pratique.

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« Nous avons lancé Africa Check, avant que l’on parle de fake news »

Africa Check, site de fact checking africain souhaite se développer via la coopération avec d’autres médias. Capture d’écran.

Africa Check, premier site de fact-checking par son envergure sur le continent de demain, a été lancé en 2012. Son fondateur et directeur exécutif britannique, Peter Cunliffe-Jones, revient sur les deux missions principales de ce média : la coopération face aux fake news et la formation des journalistes de demain.

C’est LE premier site de fact-checking en Afrique, qui n’a pas réellement d’équivalent dans le monde. Lancé en 2012, ce pure-player a pour ambition de lutter contre les fake news sur tout le continent grâce à ses journalistes répartis dans plusieurs pays. « Nous travaillons en partenariat avec des dizaines de médias dans les quatre pays où nous sommes présents », résume ainsi son fondateur, Peter Cunliffe-Jones. Un projet qui ne peut vivre que par la coopération et la formation des journalistes, comme l’explique le journaliste britannique, passé par l’AFP. 

Comment est né la projet Africa Check ?

J’ai travaillé pour l’AFP pendant 25 ans. En 2011, j’ai intégré la fondation AFP. J’ai discuté avec un professeur en journalisme de l’université de Johannesburg, en Afrique du Sud, à propos du mouvement du fact-checking, initié aux Etats-Unis. Nous avons constaté qu’il n’y avait pas de site de fact-checking sur le continent africain. Nous avons donc mis en place le projet d’en créer un avec une équipe basée à Johannesbourg. Le site a été lancé le 31 octobre 2012 avec l’ambition de le prolonger dans d’autres pays du continent. Aujourd’hui il couvre également le Nigéria, le Sénégal et le Kenya. L’équipe est composée d’une trentaine de personnes dont quinze journalistes répartis dans ces quatre bureaux.

En quoi le fact-checking est-il essentiel sur le continent africain ?

Il y a besoin d’en faire un peu partout dans le monde. C’est pour cela que l’on compte plus de 150 sites de fact-checking sur la planète. Nous avons lancé Africa Check bien avant que l’on parle de fake news. Mais c’est évident pour moi que la désinformation a causé beaucoup de problèmes depuis des siècles. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé le site. Par exemple, quand je travaillais pour l’AFP et que j’étais basé au Nigéria, il y a eu une campagne de l’OMS contre la poliomyélite. Des rumeurs se sont propagées et disaient que cette campagne de vaccination visait à réduire la population dans le monde musulman. À cause de cela, cette campagne a été un échec total. Au lieu d’être éradiquée, la poliomyélite a explosé. Le fact-checking a une importance réelle sur les sociétés, au-delà de la politique. L’impact des fake news est différent selon les pays, mais partout dans le monde cela cause des problèmes.

Un prix africain pour le fact-checking

Pour mettre en avant le travail des journalistes, Africa Check a lancé en 2014 le prix de fact-checking en Afrique. « Des journalistes provenant d’une vingtaine de pays ont candidaté à nos différents prix », explique ainsi Peter Cunliffe-Jones. Une bonne manière pour faire émerger des projets et des têtes. « Cette année, l’un des lauréats est un jeune journaliste sénégalais, qui va travailler avec nous dans notre bureau de Dakar ». Le pure-player leur propose aussi des formations sur le fact-checking en vue, donc, d’intégrer ensuite les rédactions. Pour toujours mieux lutter contre les fake news.

La coopération est au cœur du projet Africa Check. Pourquoi ce choix ?

Si on travaille seuls, l’impact est moindre. C’était donc très important pour nous dès le début de collaborer avec des journalistes de différents médias et de différents pays. Nous travaillons par exemple avec un nouveau site de fact-checking, Zimfact, qui s’est lancé au Zimbabwe en mars ; ou encore Congo Check qui a démarré cette année. Il y a beaucoup de sites qui se créent, au Botswana ou en Côte d’Ivoire notamment. Nous travaillons avec eux pour les aider à s’établir. Le rôle d’Africa Check est de soutenir toutes les initiatives en Afrique.

 

Peter Cunliffe-Jones, fondateur d’Africa Check, est aujourd’hui le directeur exécutif. Photo : site africacheck.org

 

Est-ce que cela passe aussi par le financement de projets de fact-checking ?

Non, nous n’avons pas les moyens de le faire. Nous proposons notre aide à travers les formations, que ce soit sur les principes du fact-checking ou sur l’aspect technique. Mais nous n’avons pas de financements, malheureusement.

Comment se déroulent ces formations ?

Des membres de ces nouveaux sites viennent travailler à nos côtés pendant deux semaines. Les anglophones viennent dans le bureau de Johannesbourg et les francophones dans le bureau de Dakar. Tous les mois nous organisons une réunion virtuelle avec les partenaires de notre projet. En novembre 2017, nous avons organisé une réunion de deux jours pour parler des problèmes auxquels ils sont confrontés. Nous espérons que cela les aidera à s’établir.

« Nous espérons travailler avec le plus de journalistes possible »

Avez-vous des échanges avec des sites de fact-checking américains ou européens ?

J’appartiens au conseil d’administration de l’International Fact-Checking Network, ce qui nous permet d’avoir des échanges avec d’autres membres internationaux. Actuellement, j’échange avec le site de fact-checking anglais Full fact. Nous avons très souvent des échanges avec Chequeado, un site de fact-checking argentin. Il y a deux mois, nous avons organisé un échange entre nos équipes pour mettre en place un projet d’éducation aux médias. L’année prochaine, nous accueillerons au Cap [toujours en Afrique du Sud, ndlr] la conférence Global Fact, qui se déroule tous les ans depuis quatre ans. Africa Check va l’organiser pour la première édition sur le continent africain.

À Johannesbourg, comme au Sénégal, vous êtes installés dans le centre de formation de journalistes de l’université. Pourquoi est-ce important pour vous d’être en lien avec les écoles de journalisme ?

Les principes et techniques du fact-checking représentent une partie très importante de l’avenir du journalisme. Être dans les écoles de journalisme nous permet d’étendre la connaissance des journalistes de demain dans le domaine.

Comment cela se concrétise ? Avez-vous des perspectives d’évolution ?

Nous proposons ces formations gratuitement parce que nous espérons travailler avec le plus de journalistes possible pour avoir un impact important. Nous essayons aussi de créer pour l’année prochaine un cursus en journalisme que nous proposerons gratuitement aux écoles de journalisme du continent. Les écoles pourront s’approprier ce cursus pour en faire un cours à leurs élèves.

 

Propos recueillis par Clément Argoud

La Tunisie à l’épreuve de la liberté de la presse

Depuis 2011, des réformes ont été entreprises pour réformer le paysage médiatique tunisien, mais des changements restent encore à effectuer. Illustration Photo Google Street view / Montage Benoist Pasteau

La chute de Ben Ali en 2011 a bouleversé le paysage médiatique tunisien. En sept ans, la presse s’est libéralisée. Mais les rédactions doivent encore se professionnaliser.

« Ils m’ont demandé l’identité et le contact d’une personne que j’avais interviewée la veille… » Mathieu Galtier, journaliste freelance français basé en Tunisie, ne raconte pas une histoire ancienne. Il évoque un épisode d’autant plus étonnant qu’il a eu lieu en janvier 2018, lors de manifestations contre l’inflation à Tebourba, à une trentaine de kilomètres de Tunis.

Le lendemain de ce rassemblement, des agents de la garde nationale se rendent à son domicile. « Tout s’est passé de manière cordiale, je n’ai pas été menacé », se souvient-t-il. Les agents l’ont tout de même conduit au poste. Après une heure d’entretien, Mathieu Galtier a pu sortir. Sans avoir divulgué le nom de son interlocuteur rencontré la veille.

Cet épisode n’est pas un cas isolé. Les exemples d’entrave au travail des journalistes et de pressions à leur encontre sont multiples durant ces manifestations. En février 2018, Néji Bghouri, président du Syndicat national des journalistes tunisiens, s’est même inquiété d’un retour aux méthodes en vigueur sous le régime autoritaire de Zine el-Abidine Ben Ali, président de la Tunisie de 1987 à 2011. Les médias étaient alors régis par un ministère de la communication qui s’assurait qu’aucun article critique à l’égard du pouvoir ne soit publié.

En janvier 2011, la révolution de jasmin pousse Ben Ali à quitter le pouvoir. Très rapidement, le gouvernement provisoire a certes aboli le ministère de la Communication et le code de la presse, pour garantir plus de libertés aux médias tunisiens. Mais sept ans après, la transition n’est toujours pas aboutie. « Aujourd’hui, le paysage médiatique tunisien se caractérise par un flou. Il n’a pas été assez réformé en profondeur. Il est déchiré entre le désir de tendre vers plus de démocratie et un retour à l’ancien temps, aux anciennes pratiques », analyse Larbi Chouikha, professeur à l’Institut de presse et des sciences de l’information de Tunis (Ipsi) et auteur de plusieurs ouvrages sur les médias tunisiens.

S’adapter à la liberté de la presse

Après la chute de Ben Ali, le paysage médiatique tunisien évolue en très peu de temps. De nouveaux titres font leur apparition, et certains, déjà existants, comme la radio Tataouine ou le pure player Nawaat changent en profondeur. Les journalistes doivent s’adapter à cette libération soudaine de la presse. « Sous Ben Ali, les médias étatiques, censés être les médias du service public, reproduisaient en fait la parole officielle du pouvoir. Du jour au lendemain, ces médias étaient libres de produire leurs contenus, de couvrir l’actualité des partis politiques, des mouvements sociaux ou des régions. Des choses qu’ils n’avaient pas l’habitude de faire auparavant », note Souhaieb Khayati, directeur du bureau Afrique du Nord de Reporters sans frontières (RSF). Certains journalistes éprouvent alors des difficultés à se défaire de leurs anciennes méthodes de travail. Selon Larbi Chouikha, des « journalistes sont prisonniers des anciennes chaînes » et de leurs méthodes de travail asservies.

La parole des journalistes s’est pourtant rapidement libérée, selon Souhaieb Khayati : « On trouve des caricatures du président dans de nombreux médias. À la télévision, les débats contradictoires sont très présents également. Même si tout n’est pas parfait et que certains points restent à améliorer, nous nous rapprochons de plus en plus des standards occidentaux en matière de liberté de la presse ».

Frida Dahmani, journaliste tunisienne à Jeune Afrique, confirme ces propos : « Aujourd’hui je peux parler de tout, sans me dire que mon média sera censuré. Je peux mener des enquêtes sans devoir demander des autorisations ou faire des reportages sans déclarer que je me rends dans telle entreprise ou dans tel secteur géographique. »

Cependant, lors de moments de forte tension dans le pays, les journalistes tunisiens voient parfois leur travail entravé ou subissent des pressions. Cela a notamment été le cas lors des manifestations de 2012 et de 2013, et plus récemment au début de l’année 2018.

C’est aussi vrai dans le traitement de sujets sensibles, comme des affaires liées au terrorisme, dans un pays où l’état d’urgence est en vigueur depuis 2015. Pour Souhaieb Khayati de RSF, ces dérives passagères ne sont pas le fruit du pouvoir ou du gouvernement en place. « Il s’agit de mauvaises pratiques de certains policiers qui officiaient déjà sous Ben Ali et qui n’ont pas changé leur manière de travailler. »

Réformer de l’intérieur

Pour garantir cette liberté de ton et d’expression dans les médias et affirmer leur indépendance par rapport au pouvoir, plusieurs lois sont promulguées et des instances sont créées dans les mois qui suivent le départ de Ben Ali. C’est le cas de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), qui voit le jour en 2013. Son rôle est de réformer et de réguler le paysage audiovisuel dans un contexte de transition démocratique.

Toutefois, la transformation des anciens médias gouvernementaux vers des médias de service public reste délicate. « La notion de service public n’est toujours pas clairement définie », indique Larbi Chouikha. Pour ce dernier, les réformes doivent également venir de l’intérieur, des journalistes eux-mêmes. « Il faut prendre des mesures structurelles, en définissant précisément ce qu’est une entreprise de presse. Il faut aussi plus de transparence autour de la ligne éditoriale et des financements ». Preuve en est, dans certains journaux, les conférences de rédaction n’existent pas.  Au sein des entreprises de presse, les journalistes semblent alors livrés à eux-mêmes.

« La situation des journalistes tunisiens doit être améliorée. Ils sont défavorisés socialement car leur métier est précaire », explique Souhaieb Khayati, qui pointe également un manque de moyens financiers dans les entreprises de presse. Les élections législatives et présidentielles se profilent à l’horizon : elles se tiendront en octobre 2019.  Pour le secteur médiatique tunisien, ces échéances – en fonction de leur résultat – pourraient provoquer un nouveau tournant.

Hugo Girard, Romain Pichon et Ewen Renou

 

En Centrafrique, « la stabilité est due en grande partie à notre radio »

Brice Ndagoui, rédacteur en chef adjoint de radio Ndeke Luke, a évoqué la situation de la Centrafrique. Crédit Photo : FLORENT VERGNES / AFP).

L’atelier intitulé « Action des médias en zone de conflit, quel impact, quelle audience ? » accueillait vendredi matin Brice Ndagoui, rédacteur en chef adjoint de radio Ndeke Luke. Nous lui avons posé quelques questions. 

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Blogs citoyens : donner la parole à ceux qui ne l’ont pas

De gauche à droite : Isam Muntaser, Anas Bendriff, Nordine Nabili, Marie-José Daoud et Cheikh Fall.

À l’heure de l’expansion des réseaux sociaux, les blogs citoyens surfent sur cette vague et de plus en plus de personnes y ont recours pour s’informer. Retour sur la conférence « Blogueurs, youtubeurs, startupers, ils nous informent aussi ».

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Conseil de déontologie : la France y réfléchit, la Tunisie agit

En Tunisie, le code de déontologie journalistique est en projet.

A peu près partout dans le monde, les journalistes font face à un désamour (au minimum) de la part du public. Le renforcement de la déontologie peut être une réponse. Si la Tunisie créé actuellement son conseil de la presse, la France en est encore au stade de la réflexion.

Le 9 octobre, Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture, annonçait la création d’une mission, présidée par Emmanuel Hoog, pour statuer sur la création d’un conseil de déontologie de la presse. Mission qui a été maintenue après son départ du gouvernement. Cette initiative a été considérée comme une victoire par Jean-Luc Mélenchon, dont la pétition en ligne réclamant ce type d’organe de régulation s’approche des 200 000 signatures. Jean-Luc Martin-Lagardette, qui étudie ce sujet depuis plus de sept ans au sein de l’APCP, l’Association de préfiguration d’un conseil presse a préféré être plus réservé. Selon lui, « cette initiative ne pourrait aboutir que si elle est portée par les médias et souhaitée. Si elle n’émane que du gouvernement, on l’accusera de vouloir museler la presse.« 

La place des citoyens et la répression en question

La place des citoyens est un sujet important dans ce débat. Si le Syndicat national des journalistes (SNJ) prône la création d’un conseil de déontologie, il ne souhaite pas que des représentants du service public y prennent place. Une volonté qui s’oppose aux désirs de plusieurs organisations, comme Acrimed ou l’Observatoire de déontologie de l’information, d’après Pierre Ganz, son vice-président : « Pour être crédible, ce conseil devra réunir les éditeurs de presse et les journalistes, mais aussi les citoyens, même si on ne sait pas encore comment ils pourraient être nommés. » Au-delà des différents points de rupture, la grande majorité des acteurs souhaite que ce conseil n’ait pas de pouvoir répressif. « Le conseil rendra son avis public et c’est déjà très structurant. Ce sera une satisfaction pour le public, avec une procédure plus simple que lors d’un recours en justice », comme l’explique Pierre Ganz.

Le cas de la Tunisie

La Tunisie a fait le choix d’un conseil de la presse qui ne dispose pas d’un pouvoir de sanction contre les journalistes. Les premiers statuts du futur conseil de la presse seront rendus public le 14 janvier 2019, en même temps que le nouveau code de déontologie pour les journalistes du pays. L’objectif, selon Manoubi Marouki, président du comité exécutif du conseil de déontologie tunisien, est de « préserver la liberté de la presse tout en protégeant à la fois les journalistes et le public« .

Ce « tribunal d’honneur » aura avant tout une volonté pédagogique et ses statuts seront prochainement discutés par des juristes, des universitaires, des étudiants en journalisme, etc. D’après lui, « cette instance, en privilégiant l’autorégulation, va améliorer la qualité des productions journalistiques qui baissent depuis quelques années. » L’organe réunira des représentants des citoyens, des propriétaires de titres de presse et des journalistes. Il sera majoritairement financé par les organisations membres, mais également par l’État. Le futur conseil de déontologie sera inspiré des modèles déjà existants, comme c’est le cas en Belgique, où, après dix ans d’existence, les résultats sont très positifs et semblent montrer une amélioration de la confiance du public.

Lucas Beulin

 

Pour aller plus loin, un extrait du projet de code de déontologie :

Les intérêts diplomatiques au prix de la liberté de la presse

Le classement de Reporters sans frontières, publié en avril 2018, place le Maroc au 135ème rang. Photo : Romain Bizeul

Sur le continent africain, il est parfois difficile pour les journalistes de publier des informations sensibles. Les pressions s’exercent au moindre « faux-pas », parfois même de la part de ceux qu’on ne soupçonne pas.

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« Les journalistes ne vont pas assez vers les ONG et les associations »

Le débat était animé par Rym Ben Mansour, chef des projets de l’Association des médias alternatifs tunisiens.

« Une relation gagnant-gagnant », c’est ainsi qu’est décrite la collaboration entre médias, associations et ONG. Lors du débat « Associations, ONG et journalistes, comment travailler ensemble ? » les invités ont également souligné les efforts qu’il reste à faire.

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Journaliste en Tunisie, une profession qui se féminise

Dorra Bouzid est la figure féminine du journalisme en Tunisie. Photo : Clara Gaillot.

Loin des clichés habituels, les femmes tunisiennes sont plus présentes dans le paysage médiatique. Et, à l’image de certaines, elles ont toute leur place dans les rédactions internationales.

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Les Assises par l’objectif des étudiants de l’Ipsi

Les étudiants de l’Institut de presse et des sciences de l’information (Ipsi) ont déambulé dans les allées de la Cité de la Culture de Tunis. Avec leur appareil photo, ils ont capté des instants de vie. Entre les conférences, les débats et les ateliers, ils ont pu se familiariser avec les problématiques du métier au contact de journalistes venus du monde entier.

 

Un diaporama photo réalisé par les étudiants de l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI)

Traitement des migrations : la grande confusion

Salaheddine Lemaizi, journaliste pour « Les Inspirations » et « Les Ecos », au Maroc, participait à l’atelier. Photo : Clara Gaillot

Depuis le début de la guerre en Syrie, la question migratoire est de plus en plus traitée par les médias du monde entier. Mais puisque les journalistes peinent à accéder aux sources, le sensationnalisme prime souvent sur l’information.

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En Afrique, les zones reculées face au défi de l’information

La radio est le média le plus populaire en Afrique. Il existe énormément de radio locales, leur diffusion ne dépasse pas 50 kilomètres à la ronde. (Crédit photo : Pixabay, jkebbie)

Sur le continent africain subsistent encore des régions reculées, sans accès à internet voire à l’électricité. La radio est alors la seule manière de s’informer pour les populations. Mais elle est elle-même confrontée à des difficultés.

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Drones, réalité virtuelle, écrans tactiles… Cinq outils pour les journalistes de demain

Les journalistes utilisent de plus en plus les nouvelles technologies. A limage de Matthew Waite, journaliste à la Deutsche Welle, avec son drone. Crédit : DW/K. Danetzki.

Depuis l’émergence d’Internet, les moyens de s’informer ont considérablement évolué, rendant l’accès à l’actualité presque universel. Cela contraint les journalistes à s’adapter pour suivre le mouvement, au point de rendre les nouvelles technologies indispensables. Présentation de cinq outils qui feront le journalisme de demain.

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S’unir pour réussir

La coopération entre journalistes du continent africain peut permettre de faire face aux différentes pressions et menaces. Illustration Noé Poitevin

En Afrique, où la liberté de la presse reste parfois un combat, des journalistes choisissent de se regrouper. Si les West Africa Leaks ont eu un écho mondial, nombre d’autres projets peinent à livrer des résultats tangibles.

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La Fondation Hirondelle vole sur tous les fronts

 « Créatrice de médias en zones de conflits, la Fondation Hirondelle joue un vrai rôle au sein des populations locales. Son but ? « Informer ceux qui en ont le plus besoin », explique Michel Beuret, le responsable éditorial. Présents aux Assises de Tunis vendredi, des journalistes de la RD Congo, de la Centrafrique, du Yémen et de la Syrie ont raconté leur expérience.

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La collaboration avec l’étranger : quels bénéfices pour la formation des journalistes ?

Hamida El Bour et Nicolas Sourisce, directeurs de l’IPSI et de l’EPJT, expliquent pourquoi les partenariats avec l’étranger sont utiles pour former les journalistes.

« Indépendance », « respect des sources », « humilité », « honnêteté »… Voilà selon Hamida El Bour et Nicolas Sourisce, directeurs de l’IPSI et de l’EPJT, deux valeurs fondamentales que les journalistes doivent avoir et qu’ils transmettent à leurs étudiants.

Selon les responsables des écoles de journalisme de Tunis et Tours, qui travaillent ensemble pour la première fois dans le cadre de ces Assises, la collaboration internationale est capitale. « Ce sont des initiatives qui permettent d’avoir ce regard croisé sur la pratique journalistique », explique ainsi Hamida El Bour. « La base du journalisme, c’est de s’ouvrir aux autres. Cela permet un échange entre les étudiants sur les différentes pratiques, et entre les enseignants ici », ajoute Nicolas Sourisce.

Cette première collaboration franco-tunisienne pourrait d’ailleurs ne pas être la dernière, les deux écoles travaillant sur un partenariat pour l’avenir.

Tiffany Fillon

Des solutions pour investiguer en toute sécurité

Les intervenants ont discuté des initiatives pour protéger les journalistes d’investigation. Photo : Clara Gaillot

À travers le monde, les menaces pèsent sur les journalistes d’investigation. L’atelier « Des solutions pour les journalistes menacés » a fait le point sur les initiatives mises en place actuellement.

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CFI a une mission : aider les médias à se développer

Canal France International (CFI) est l’un des premiers partenaires financiers de ces Assises de Tunis.

Canal France International (CFI) est une agence française qui promeut le pluralisme et la professionnalisation des médias en Afrique et en Asie du Sud-Est. Filiale du groupe France Médias Monde depuis 2017, CFI axe son travail sur les pays en transition démocratique.

Canal France International (CFI) est l’agence française d’aide au développement des médias. Opérateur de l’Union Européenne et du ministère des Affaires étrangères, elle est devenue, en juin 2017, une filiale du groupe France Média Monde (France 24, Radio France International (RFI) et Radio Monte-Carlo Doualiya (MCD)).

L’intégration au groupe France Médias Monde est « une belle opportunité qui apporte de potentielles synergies« , annonce David Hivet, directeur Méditerranée-Asie de CFI. Des contenus produits par des journalistes accompagnés par l’agence française peuvent être publiés sur les sites internet de France Médias Monde. Dans l’autre sens, des journalistes de France 24 ou RFI peuvent intervenir en tant que formateurs au cours des différentes missions de CFI.

L’agence française conçoit et met en œuvre des projets qui s’appuient sur des médias locaux. Elle dispense ses formations sur une vaste zone qui s’étend du Maroc jusqu’aux Philippines. « L’idée est d’élargir, densifier et crédibiliser l’espace d’information et de débat« , explique Julien Guei, délégué de CFI aux outil numériques. L’agence de développement axe son travail sur des régions fragiles, exposées au conflit, soumises à des déstabilisations politiques. Avec toujours un même objectif : participer au renforcement des médias pour qu’ils puissent délivrer une information pluraliste, fiable et démocratique.

Conception de projets

Dix millions d’euros sont mobilisés chaque année pour concevoir des projets, qui durent entre un et quatre ans. Pierre Jalladeau, directeur Afrique de CFI, indique que « les projets naissent en grande partie de l’expérience du terrain après des discussions avec les médias et la société civile pour comprendre ce qu’il faut apporter comme aide« . C’est ainsi qu’une trentaine de projets est conduite chaque année, ce qui représente 180 missions sur le terrain.

Quand le projet est mis en place, un appel à candidature pour trouver les médias est réalisé à travers de grandes campagnes de communication sur les réseaux sociaux. Les médias postulent en ligne, puis CFI en sélectionne une dizaine.

Les missions d’accompagnement prennent différentes formes. Pierre Jalladeau énumère : « formations généralistes ou spécialisées, coaching, assistance matérielle sur le terrain, conseils en management, en ligne éditorial ou encore en création de nouveaux contenus ». L’agence française s’appuie sur des journalistes ainsi que des spécialistes des thématiques en lien avec le projet.

D’autres organismes vont encore plus loin et travaillent sur le modèle économique des entreprises de presse. C’est le cas d’Action Médias Francophones (AMF), une association française, qui intervient principalement à Madagascar et dans l’Union des Comores.

« Dans ces pays, les journalistes sont souvent trop peu payés et parfois corrompus. Certains sont asservis à la pauvreté. Pour résoudre ces problèmes, il faut un mode de gestion plus performant. L’indépendance économique amène l’indépendance politique », explique David Bohbot, président de l’association. Tout comme CFI, AMF développe des entreprises de presse pour qu’elles puissent être des contre-pouvoir démocratique.

Accompagner des médias acteurs de transition démocratique

David Hivet explique qu’aujourd’hui, « CFI est intégré dans une politique d’aide publique au développement dans des pays où le média a un rôle à jouer, comme en Irak, où CFI renforce des médias contributeurs de cohésion sociale« . Pierre Jalladeau insiste sur le fait que « les médias sont des outils de citoyenneté« . Il cite l’exemple du projet « Faso Media ». Depuis 2015 et la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso, CFI y accompagne des médias qui ont retrouvé la liberté d’expression. Beaucoup de formations sont dispensées aux journalistes qui doivent apprendre à interviewer un politique, faire des enquêtes et des reportages.

Bien que les projets diffèrent, selon le contexte du pays d’intervention, le rôle de CFI est très souvent le même. Faire monter en puissance des médias déjà existants qui jouent un rôle important dans des pays en sortie de crise ou en transition démocratique.

Romain Pichon et Ewen Renou

« L’espace global de l’information et de la communication est un bien commun de l’humanité »

Nejma Zghidi, psychologue, auteure et comédienne tunisienne, a lu lors de cette soirée quelques extraits de la Déclaration internationale du journalisme.

Lors de la soirée d’ouverture des Assises du journalisme de Tunis, l’ONG Reporters sans frontières (RSF) présentait sa « Déclaration internationale sur l’information et la démocratie ».

 

Pour la soirée du jeudi, « Information et Démocratie », les visiteurs avaient rendez-vous au théâtre du 4ème art, un espace culturel en plein centre-ville de la capitale tunisienne. RSF présentait sa « Déclaration internationale sur l’information et la démocratie : des principes fondamentaux pour l’espace global de l’information et de la communication ».

Pour introduire la soirée, Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, n’y est pas allé par quatre chemins : « Jusqu’à présent, on voyait des journalistes découpés en morceaux au Mexique. Aujourd’hui, on voit ça dans une ambassade. Des régimes despotiques violent les droits des journalistes« . Sous les applaudissements nourris d’une salle comble, il a conclu : « Il ne peut pas avoir de démocratie si les gens ne sont pas bien informés. »

La Commission sur l’information et la démocratie, composée de 25 personnalités de 18 nationalités, a adopté cette déclaration solennelle à l’unanimité après deux mois d’échanges et d’écriture. Les rédacteurs posent ainsi des principes fondamentaux pour « garantir la liberté, l’indépendance, le pluralisme et la fiabilité de l’information, dans un contexte de mondialisation, de digitalisation et de bouleversement de l’espace public« .

La déclaration, un texte de six pages, a été dévoilée le 5 novembre. Pour la faire découvrir au public du Théâtre du 4ème art, Christophe Deloire a invité Nejma Zghidi, psychologue, auteure et comédienne tunisienne. De sa voix clair, cette dernière a lu des extraits de la déclaration.

Elle a commencé par le préambule :  « L’espace global de l’information et de la communication est un bien commun de l’humanité qui doit être protégé comme tel. Son organisation relève de la responsabilité de l’humanité tout entière, par l’intermédiaire d’institutions démocratiques, dans le but de faciliter la communication entre les individus, les cultures, les peuples et les nations, au service des droits humains, de la concorde civile, la paix, la vie et l’environnement« .

Nejma Zghidi a ensuite insisté sur le droit à l’information, « qui consiste en la liberté de rechercher et de recevoir des informations fiables et d’y accéder. L’information ne saurait être considérée comme fiable que si sa collecte, son traitement et sa diffusion sont libres« .

Christophe Deloire a enfin lancé un appel pour clôturer cette présentation et a expliqué que l’objectif de cette déclaration était de « mobiliser tous ceux qui sont attachés à préserver un espace public libre et pluraliste, condition de la démocratie« .

Vous pouvez retrouver en intégralité la déclaration internationale sur l’information et la démocratie sur le site de RSF :

https://rsf.org/sites/default/files/declaration_internationale_sur_linformation_et_la_democratie.pdf

 

Romain Pichon et Ewen Renou

Dorra Bouzid, esprit rebelle

Au fil de sa carrière, Dorra Bouzid a créé neuf organes de presse et écrit pour plus de trente titres à travers le monde. Photo : Clara Gaillot

Dans l’histoire de la presse tunisienne, Dorra Bouzid occupe une place de choix. Première femme journaliste, elle a dédié sa vie à défendre la liberté féminine du pays. Un combat qui a fait d’elle un symbole de l’émancipation.

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La Cité de la culture, un projet titanesque qui suscite le débat

La construction de la Cité de la Culture a été interrompue à plusieurs reprise avant de reprendre en 2016.

Pour leur première édition tunisienne, les Assises internationales du journalisme se sont installées à la Cité de la Culture de Tunis. Flambant neuf, ce lieu de neuf hectares au cœur de la capitale ne passe pas inaperçu et essuie les critiques.

 

En plein cœur de Tunis, l’imposante bâtisse qu’est la Cité de la Culture bouillonne en ce premier jour des Assises. Discussions, rencontres, interviews, le lieu dédié à la culture accueille ce premier événement hors de la France. Pour le plus grand plaisir du fondateur et président des Assises, Jérôme Bouvier. “C’est extraordinaire de pouvoir tenir ces assises dans un lieu aussi important, on ne pouvait qu’accepter”. La Cité de la Culture, c’est un projet entamé en 2003 et inauguré en mars 2018. Ce mastodonte, qui comporte trois théâtres, six espaces de répétitions, deux salles de projection et un auditorium, n’a cessé de faire débat au sein de la population tunisienne. C’est d’ailleurs pour cela que l’organisation des Assises a délocalisé certaines de ses conférences au Théâtre du 4ème art, non loin de la Cité de la Culture : “On ne savait pas si les Tunisiens s’étaient approprié ce bâtiment qui est tout neuf, on voulait être sûrs qu’on soit bien dans deux lieux”.

Le hall de la Cité de la Culture, majestueux et lumineux.

Un lieu culturel loin de recevoir l’approbation de tous…

Qualifié de lieu démesuré et sans âme par ses détracteurs, il est surtout le symbole de l’ancien régime, pour certains. « Avec ce bâtiment, on perpétue la stratégie de Ben Ali, c’est-à-dire une hégémonie totale et une mainmise de l’État sur l’activité culturelle et artistique. Les artistes qui sont en train de glorifier ces lieux sont les seuls qui y auront accès. Ce sont des noms qui ont verrouillé la scène culturelle pendant des années », expliquait l’artiste plasticien Nidhal Chamekh à Libération. La somme déboursée par le gouvernement tunisien pour la réalisation de la Cité de la Culture est elle aussi jugée faramineuse : 130 millions de dinars soit 44 millions d’euros. « La Cité de la Culture est l’illustration parfaite du ratage culturel de la révolution. Même en Russie on n’oserait plus pondre un truc pareil. De telles dépenses auraient dû servir à renforcer le peu d’équipements culturels qui existent sur le territoire », s’indignait le dessinateur tunisien Z, toujours auprès de Libération.

… qui fait pourtant la fierté de beaucoup

Mais il n’y a pas que des mécontents. Marwa Rekik, journaliste radio, se confie, près du buffet bien garni dans le hall majestueux au cours de ces Assises : “Je pense que c’est un exploit pour tous les citoyens tunisiens, il donne vraiment une belle image de la culture tunisienne, c’est une grande initiative”. Et le directeur général du théâtre et de l’opéra de la Cité de la Culture, Youssef Lachkham, n’en est pas peu fier : “Ce n’est pas un centre culturel, c’est une cité, il y a des citoyens dedans, des invités et des échanges, c’est ce concept qui fait et fera la richesse de la Cité de la Culture”. Cela ne fait pas de doute pour Khouloud Hamdi, étudiante à l’IPSI, l’école de journalisme de Tunis : “on a besoin de patrimoine, d’un espace où viennent tous les artistes, car je crois vraiment à la culture et à l’art“. Même si la Cité de la Culture est un projet d’avant-révolution, la jeune femme veut passer outre cette période, que la Tunisie évolue, et cela commence pour elle, par le soutien de la création de lieux culturels.

Elise Pontoizeau

Y a-t-il un avenir pour la presse écrite d’information ?

Des journalistes venus de toute l’Afrique ont tenté de répondre à l’éternelle question “Y a-t-il un avenir pour la presse écrite ?”, lors d’une conférence, jeudi, aux Assises du journalisme de Tunis. Ils ont expliqué au public comment ils luttaient pour la survie de leurs journaux.

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Aux Assises, Youssef Chahed dit viser « une amélioration des conditions des journalistes »

Le chef du gouvernement tunisien, Youssef Chahed s’est exprimé, jeudi, après son intervention lors de l’ouverture des Assises du journalisme de Tunis, sur le chemin à parcourir pour que les journalistes puissent exercer leur métier correctement.

En pleine création d’un nouveau parti et suspecté d’avoir provoqué un remaniement ministériel pour éviter d’examiner un projet de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), le Premier ministre tunisien, Youssef Chahed, a affirmé sa volonté d’agir en faveur de la liberté de la presse en Tunisie. Alors que le pays n’atteint que la 97e place en termes de liberté de la presse selon le classement 2018 de Reporters sans frontières (RSF), le chef du gouvernement, conscient des problèmes et des préoccupations des journalistes, s’est voulu rassurant.


À lire aussi :

En Tunisie, la forte érosion de la presse écrite

Le paysage médiatique tunisien a beaucoup évolué depuis le début du Printemps arabe en 2011. Pendant que de nouveaux médias naissent sur la toile, la presse écrite est en crise.

Au lendemain du Printemps arabe, appelé « révolution de jasmin » en Tunisie, plusieurs nouveaux médias ont fait leur apparition sur internet, soutenus par des fonds publics. A l’inverse de la presse écrite, qui a subi de plein fouet ce déplacement de l’audience vers le multimédia.

Fin 2015, Mongi Khadraoui, ancien secrétaire général du Syndicat national des journalistes tunisiens a réalisé une étude sur l’évolution de la presse écrite dans le pays. Et les chiffres sont impressionnants. Le paysage médiatique tunisien a littéralement fondu, passant de 229 titres de presse en 2011 à seulement 45 fin 2015.

Moins de lecteurs, moins d’annonceurs

Cette brutale diminution continue encore aujourd’hui. Il ne reste plus que sept quotidiens dans le pays en 2018. Dernièrement, c’est Assarih, lancé en 1995, qui s’est résolu à mettre fin à son aventure quotidienne. Sans toutefois mettre la clé sous la porte : Assarih continue de développer une version électronique, suivant ainsi ses lecteurs. Ces derniers privilégient, comme c’est le cas dans à peu près dans tous les pays où l’accès à internet est démocratisé, la consommation de l’information gratuite via les sites, les réseaux sociaux, la radio et la télévision.

La presse écrite en danger

Avoir moins de lecteurs signifie automatiquement moins de recettes publicitaires, principale source de revenus des médias en Tunisie. Or, la part de l’investissement publicitaire pour les médias de presse écrite est en baisse constante depuis 2011, ce qui a contraint les journaux à augmenter leur prix.

Depuis le 1er janvier 2018, les journaux ont atteint le seuil symbolique du dinard, alors qu’ils coûtaient avant 900 millimes. La Fédération tunisienne des directeurs de journaux (FTDJ) a justifié son choix par le contexte difficile : « Les entreprises de presse étaient dans l’obligation de formuler une telle demande compte tenu du déficit qui frappe leurs finances, des coûts liés à la production (papier, encre) et de la baisse du dinar tunisien face aux monnaies étrangères ».

Pendant que des pure players naissent sur la toile avec plus d’aides, l’essor de médias écrits libres et indépendants en Tunisie est donc stoppé.

Romain Pichon

Journalistes au Maghreb : entre professionnalisation et précarité

Même si la révolution de 2011 a permis d’améliorer les conditions de travail des journalistes, entre le manque de moyens, d’indépendance et de régulation, l’exercice de ce métier reste parfois compliqué. Photo : Romain Bizeul

En pleine mutation, le journalisme maghrébin jouit de nombreuses avancées professionnelles et sociales héritées des révoltes de 2011. Si le début de la professionnalisation du métier est prometteur, rien ne semble encore définitivement acquis.

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Pourquoi les Assises du journalisme ont-elles lieu à Tunis ?

Les Assises du journalisme de Tunis auront lieu du 15 au 17 novembre, dans la Cité de la culture, en plein cœur du centre-ville. Photo : Pixabay

La capitale tunisienne accueille cette année la première édition des Assises du journalisme hors de France. Un choix justifié par la position stratégique de la ville mais aussi par le respect des libertés par le pouvoir tunisien.

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« Si un journaliste se sent menacé, il peut envoyer ses informations à Forbidden stories, nous les sécuriserons »

La messagerie « Signal », l’un des moyens sécurisé pour que les journalistes menacés communiquent avec Forbidden stories. Photo : Hugo Checinski

Forbidden stories a pour ambition de reprendre le travail des journalistes afin de les protéger des pressions. Un projet qui regroupe des journalistes d’investigation du monde entier. Jules Giraudat raconte l’enquête qu’il a coordonnée sur l’assassinat de la journaliste maltaise, Daphne Caruana Galizia.

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Journalistes en danger : la protection au cœur du débat

Ce débat d’ouverture était animé par Hamida El Bour, la directrice de l’Institut de presse et des sciences de l’information de Tunis (IPSI) et Taoufik Mjaied, journaliste et présentateur à France 24. Photo : Ewen Renou

Alors que la première conférence de ces Assises devait porter sur l’utilité du journalisme, elle s’est très rapidement orientée sur la protection et la sécurité des journalistes. Une problématique notamment alimentée par l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.

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À Tunis, le « début d’une belle aventure » pour les Assises

Youssef Chahed, le chef du gouvernement tunisien et Jérôme Bouvier, le président des Assises, deux personnalités attendues pour cette conférence. Photos : Ewen Renou

Lors de l’inauguration des premières Assises internationales du journalisme de Tunis, jeudi matin, le président des Assises, le chef du gouvernement tunisien et l’ambassadeur de France ont souligné l’importance de cet événement pour la préservation de la liberté de la presse en Tunisie.

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Les Assises du journalisme de Tunis en 5 chiffres

L’affiche de ces premières Assises internationales du journalisme de Tunis.

Du 15 au 17 novembre, Tunis accueille les Assises internationales du journalisme. Les nombreux journalistes attendus vont réfléchir sur de multiples questions en lien avec le thème de l’événement à travers ateliers, conférences et formations. Présentation de l’événement en cinq chiffres.

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Les Assises du journalisme, ça sert à quoi ?

Jérôme Bouvier et Anne-Claire Coudray, présidente du jury des Assises 2017, lors de la remise des prix de la dixième édition des Assises Internationales du Journalisme, à Tours.

Durant trois jours, du 15 au 17 novembre 2018, la Cité de la Culture de Tunis accueille la première édition des Assises du journalisme hors de France. Un rendez-vous important et nécessaire pour les professionnels de la presse internationale. 

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