Alain de Chalvron, grand reporter et correspondant à l’étranger (France 2, RFI, France Inter) vient de publier le livre En direct avec notre envoyé spécial, aux éditions l’Archipel. Il partage ses souvenirs et l’envers du décor de ses reportages.

Alain de Chalvron était présent au salon du livre des Assises du journalisme 2021 (Photo : Lucas Turci/EPJT)

Comment décririez-vous votre livre En direct avec notre envoyé spécial à ceux qui ne l’ont pas (encore) lu ? 

Beaucoup me disent qu’il s’agit d’un livre d’actualité contemporaine. D’ailleurs, à propos, j’aimerais bien être en Afghanistan aujourd’hui ! C’est vrai que j’ai couvert l’ensemble des grands événements de ces trente-cinq, quarante dernières années et j’ai découvert beaucoup de choses que je souhaitais transmettre à travers ce livre. 

Depuis que vous avez commencé votre carrière, quelles évolutions du métier avez-vous pu constater ? 

Je trouve qu’il y a une évolution assez positive. Lorsque je repense à l’époque où j’étais à Beyrouth, je pouvais passer des heures bloqué à l’hôtel à attendre un coup de fil… Par exemple, au Caire, il fallait que j’aille à la poste la veille pour payer le temps de communication dont j’allais avoir besoin. Maintenant, on téléphone de n’importe où avec les téléphones satellites. On peut même envoyer des images. Ce qui est un grand progrès. Le plus gros budget, lorsque j’étais chez France 2, était le coût de la communication satellite. Lorsque j’arrivais à un endroit, avant même de traiter l’information, je devais chercher un faisceau. Sinon on se faisait doubler par notre principal concurrent TF1. Aujourd’hui avec un téléphone portable et un ordinateur tout se fait, même capter au fond du désert. 

En revanche, il y a eu moins de progrès du côté des réseaux sociaux. Tout le monde se sent journaliste, mais beaucoup sont des faux journalistes. Il y a toute sorte de manipulations : ils se disent journalistes mais ils travaillent pour un gouvernement, une idéologie, un parti politique… Au final, ils n’informent pas et laissent la voie aux fake news. Cela a fortement dégradé l’image des journalistes et les politiques s’en sont saisis pour dénigrer la profession. La réputation n’est plus ce qu’elle était malgré le bon travail des professionnels. 

Un autre phénomène est l’apparition des chaînes d’information en continu et des nouveaux médias. La concurrence s’est multipliée. Certes cela motive, mais il y a aussi des conséquences. En voulant battre le voisin, on se précipite parfois trop. Les recettes publicitaires se partagent aussi donc il y a donc moins d’argent.

Les rédactions ont aussi moins de correspondants permanents, quelle en est la conséquence ?

C’est vraiment dommage car, dans les bureaux, on prend un réel plaisir à couvrir l’actualité. Ce sont des postes formidables, la quintessence du métier. On tisse un réel réseau de contacts que l’on n’a pas lorsqu’on est envoyé spécial. Les contacts, c’est l’essentiel. Ils donnent des informations et livrent une analyse des situations que l’on ne peut pas avoir autrement. Les effectifs des rédactions ont aussi été réduits à cause du manque de moyens, ce qui donne encore moins de temps pour chercher l’information, tourner et monter les images sur place.

Quelle est votre plus fort souvenir de ces années de reportage à l’étranger ? 

La télévision à la puissance d’entrer dans le salon des gens. Lorsqu’on leur apporte les images, beaucoup me disent « vous faites parti de la famille ». Je dirais que 90 % du métier est du plaisir. Pour le plus fort, je dirais Haïti lorsqunous avons réussi à obtenir l’interview de l’ennemi numéro 1. Parmi mes autres souvenirs, le reportage le plus dur a été sur les enfants esclaves. Nous sommes ressortis changés de ce sujet. C’était tellement lourd. 

Un message pour les jeunes journalistes ?

Je ne suis pas pessimiste car il y aura toujours besoin de journalistes. Certes, il y a moins de journaux qu’à une certaine époque mais il y aussi la naissance de nouveaux médias de grande qualité comme Slate, Politico, Atlantico…  On le voit aussi à travers la naissance de médias locaux qui se développent comme Médiacités. Ce sont de bons journalistes confirmés qui ne racontent pas de balivernes sur le terrain.

 

Recueilli par Carla Bucero Lanzi