Photo : Fayard

Lorraine de Foucher, journaliste au Monde, a décidé de se consacrer au sujet des violences sexistes et sexuelles depuis quelques années. Dans le cadre des assises du journalisme à Tours ce mardi 10 mai, elle participait à un atelier sur les enquêtes dans ce domaine.

Lors de l’atelier consacré aux enquêtes sur les violences sexistes et sexuelles, un seul homme était présent sur les six intervenants. Dans le public, il y avait également beaucoup plus de femmes que d’hommes. Est-ce représentatif du problème des violences faites aux femmes ?

Lorraine de Foucher. Oui, clairement ! Au Monde, on a enquêté sur les personnes chargés de la question de l’égalité femme / homme dans les préfectures de France. Ce sont toutes des femmes ! Ca fait partie du processus d’invisibilisation des femmes : on fait comme si c’était un problème de femmes. C’est rare que les hommes enquêtent là-dessus, c’est inconfortable pour eux : ce n’est pas marrant de s’interroger sur sa condition de privilégié. On a encore beaucoup de progrès à faire sur ce point.

Vous avez évoqué cette frontière entre liberté d’expression et diffamation. Quand on enquête sur ce genre de sujet, est-ce qu’on se prépare toujours au risque d’être poursuivi au pénal ? 

L. F. C’est un sujet abrasif qui touche à la réputation, et la réputation, ça coûte cher. En une dizaine d’années de carrière, je n’ai eu de plaintes que lorsque j’enquêtais sur ce sujet.

Vous affirmez que le viol n’est pas une question de plaisir mais de domination, donc de pouvoir. Selon vous, est-ce qu’on peut dire que le viol est un acte politique ? 

L. F. Il y a une désinformation autour du viol qui empêche de se confronter au vrai problème. Tant qu’un sujet n’est pas politique, il n’est pas pris en compte. Le patriarcat est le plus vieux système de domination. Dans les situations de guerre, le viol est utilisé comme une arme de guerre. Il y a une entreprise de casse industrielle des femmes. La peur du viol touche toutes les femmes.

Marine Turchi disait que 99 % des affaires qui sortent sur les violences sexistes et sexuelles ne suscitent plus l’étonnement. Comment faire en tant que journaliste pour garder l’attention des lecteurs sur ces sujets ? 

L. F. On a tous peur de la saturation, mais on voit une véritable appétence des lecteurs pour comprendre ces actes. Je pense qu’on est très loin d’en avoir assez parlé.

Vous travaillez depuis quatre ans sur une chronique : « S’aimer comme on se quitte ». Est-ce une autre manière de dénoncer les violences sexistes ? 

L. F. Non, mais il y a une corrélation avec l’intime. On pense que l’intime n’a rien à voir avec le journalisme alors que tout le monde parle d’amour. On doit renforcer notre éducation amoureuse. On a l’impression que l’amour est personnel alors que c’est très social. On aime comme notre époque nous le permet, les normes sociales sont à l’œuvre dans l’intime.

Vous dites que c’est la société, de manière systémique, qui produit les individus qui vont infliger des violences sexistes et sexuelles, et qu’il faut essayer d’en comprendre les origines. Vous avez des pistes ? 

L. F. Oui, la domination masculine, le patriarcat, qui existent depuis bien longtemps. On a un rapport aux minorités, comme avec la nature, comme s’il fallait les domestiquer. Cela interroge les rapports de prédation présents chez l’homme.

 

Recueilli par Charles Bury/EPJT