Photo : Cem Taylan/EPJT

Maxime Audinet, chercheur et auteur de Russia Today : un média d’influence au service de l’État russe, lauréat du Prix recherche sur le journalisme des Assises, commente la suspension de la chaîne dans l’Union européenne. Il qualifie RT de « média d’État » mais souligne que l’interdiction d’un média dans des démocraties libérales n’est pas un « geste anodin ».

Dans votre livre, vous distinguez les médias d’État et ceux du service public. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Maxime Audinet. Ce n’est pas une distinction binaire et stricte. C’est quelque chose qui se joue dans le traitement quotidien de l’information, notamment lorsqu’il s’agit de médias internationaux. A quoi sert et à qui s’adresse un média du service public ? Est-ce qu’il a pour simple mission d’informer des populations extérieures ? Russia Today est un média qui ne sert pas sa population mais la politique extérieure de l’État russe. RT n’est pas un média qui parle de la Russie mais de l’État russe. C’est pourquoi ce n’est pas un instrument de soft power classique car il ne participe pas au rayonnement international de son pays.

Moins d’un an après la publication de votre livre, RT a été suspendu en Europe. Comment interprétez-vous cette décision ? Pourquoi une telle mesure n’a pas été adoptée en 2014, lors de l’annexion de la Crimée ?

M. A. En 2014, la présence de RT en Europe n’était pas si importante. Il n’existait que la branche anglophone. La crise ukrainienne survient et cela accélère l’internationalisation du réseau RT. Par ailleurs, l’ampleur de l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’est pas la même que celle de l’annexion de la Crimée. L’Union européenne a justifié sa décision de suspendre la chaîne par le paquet de sanctions contre toutes les entités russes.

Est-ce que cette suspension pose un certain nombre de questions sur la liberté de la presse en Europe ?

M. A. Interdire un média dans une démocratie libérale n’est jamais un geste anodin. Même s’il s’agit d’un média propagandiste comme RT France. C’est ce qui distingue un système pluraliste d’un système autoritaire où l’unanimisme règne. En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, on a vu la disparition de plusieurs médias indépendants. Il s’agit tout de même d’une suspension, ce qui sous-entend qu’une fois le conflit terminé, une réouverture sera envisageable. Mais il est clair que la chaîne n’aura plus la même crédibilité si elle revient en France.

Est-ce que cette décision entraînera un assouplissement de la ligne éditoriale du RT par rapport au Kremlin ?

M. A. Je ne pense pas. En interdisant RT, le droit communautaire a pris le dessus sur le droit national. L’Arcom, qui avait un effet dissuasif sur la chaîne, a été court-circuitée. Cela signifie que RT France n’a plus de convention auprès du CSA. La rédaction française est en pleine recomposition. Il peut y avoir une recentralisation d’une partie de la rédaction à Moscou.

Recueilli par Cem Taylan