Photo : Corentin VALLET/EPJT

Avant de diriger le Tour de France, Christian Prudhomme, 63 ans, l’a d’abord suivi en tant que fan puis couvert comme journaliste. Vingt ans après avoir rendu sa carte de presse, il revient sur son amour pour cet événement, créé et popularisé par les médias.

Comme tous vos prédécesseurs, vous avez été journaliste avant de prendre la direction du Tour de France. Comment êtes-vous entré dans ce milieu?

Christian Prudhomme. Tout est lié au Tour. Quand j’étais petit, avec mon père et mon frère, on suivait les étapes à la radio. Contrairement à aujourd’hui, seuls les quinze derniers kilomètres étaient retransmis à la télévision. En fait, je suis devenu journaliste pour raconter aux gens ce qu’ils ne voient pas. Même si j’ai voulu faire ce métier grâce à la Grande Boucle, au départ, je ne m’étais pas forcément dit que je serais dans le sport. Mais quand il fallait traiter ce genre de sujet, personne ne levait la main donc j’y suis allé. Pour ma première interview de cycliste, je dois interroger Jean-René Bernaudeau, qui venait d’abandonner sur le Tour. J’appelle l’hôpital et au bout du fil, une dame me dit : « Mais enfin monsieur, vous n’y pensez pas ? ». Et là j’entends une voix derrière : « Si si, je vais répondre. » (rires)

Entre 2001 et 2003, vous commentez le Tour sur France 2. À quoi devez-vous cette ascension ?

C. P. La Cinq m’a offert mon premier CDI. Elle récupère les droits des championnats du monde de cyclisme en 1989 et me demande de les couvrir. C’est la première fois qu’une épreuve cycliste est retransmise en intégralité à la télévision. Ensuite, je commente le Tour de France pour Europe 1 en 1995 et 1996. À mon arrivée sur le service public, Charles Biétry me confie la présentation de Stade 2 et le commentaire du Tour, justement parce qu’il m’a entendu dix ans plus tôt sur La Cinq. 

Rapidement, Jean-Marie Leblanc, qui occupait vos fonctions à l’époque, vous propose de le rejoindre. Comment a-t-il réussi à vous convaincre ?

C. P. Il me contacte en deux fois. La première, c’est en 2001 au Grand Prix de Denain. Il me prend par la manche dans la salle de presse et me dit: « J’aurais bien aimé que ce soit toi après moi, mais on a pris quelqu’un de très bien alors ce ne sera pas toi. » Deux ans plus tard, le 12 avril 2003, à la veille de Paris-Roubaix, il me demande de le remplacer. J’accepte immédiatement car ce truc avait mûri dans ma tête. Je n’ai pas oublié cette date, car le 12 avril 1992 correspond à la fin de La Cinq. Les 800 salariés de la chaîne, dont moi, sont alors jetés au chômage. Tu as une petite notoriété, t’es jeune, ça marche bien et puis d’un seul coup tu longes le mur du cimetière du Père-Lachaise pour aller pointer à l’ANPE [aujourd’hui France Travail, ndlr]. C’est inoubliable.

Vous vous retrouvez patron de la plus grande course cycliste au monde. Avez-vous eu peur de ne pas être à votre place ?

C. P. Bien sûr car le journalisme, c’est le métier de ma vie. C’est la seule chose que je sais faire. Mes amis s’inquiétaient pour moi. Mais comme l’a dit Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue à la tête d’un État africain [le Libéria, ndlr] : «Si vos rêves ne vous font pas peur, c’est qu’ils ne sont pas assez grands.» Heureusement, il y a eu une transition, qui était indispensable : pendant trois ans, je suis l’adjoint de Jean-Marie Leblanc dont je suis en réalité le successeur, l’héritier. Il me dit : « Va voir ce que tu ne pourras plus voir ensuite. » De plus, à mon arrivée, je connais tous les journalistes français qui sont sur le Tour, un certain nombre d’étrangers et surtout, ils savent que j’étais l’un d’eux peu de temps auparavant.

Vous êtes passé de l’autre côté de la barrière. Quelle(s) différence(s) y a-t-il entre commenter et organiser cet événement ?

C. P. Tu as beaucoup moins d’emmerdes. Quand j’étais simple amoureux du vélo ou journaliste, je savais tout ce qui se passait sur la course. Maintenant, dans la voiture, je regarde davantage le gamin qui lâche la main de son père au bord de la route que le champion qui va attaquer. L’aspect sécurité est capital. Je suis tout le temps sur les routes. J’ai cru que je travaillais beaucoup pendant dix-huit ans de journalisme, jusqu’à ce que je fasse autre chose (rires). Si ce n’est pas quelque chose qui est en toi, tu le fais peut-être un an, mais pas dix-huit. Le Tour me rapproche des autres mais m’éloigne des miens. 

 

Recueilli par Thomas LANGEARD et Corentin VALLET