Me Pierre-Eugene Burghardt constate que les procédures bâillons sont désormais quasiment systématiques. Photo : collection personnelle Me Burghardt

Me Pierre-Eugène Burghardt est élu au Conseil scientifique de l’association des avocats praticiens du droit de la presse. Il déplore le manque de protection juridique contre les procédures-bâillons.

Depuis une dizaine d’années, les poursuites judiciaires à l’encontre de journalistes se multiplient. On les nomme « procédures-bâillons ». Elles servent à faire taire ceux qui parlent et à dissuader ceux qui voudraient parler. Pour les journalistes et les médias visés, c’est une charge financière et mentale très lourde.

Pour intimider les journalistes visés, les procédures-bâillons multiplient souvent les poursuites, à la fois en droit pénal (diffamation…) et en droit civil (concurrence déloyale…). Comment la loi française les protège contre elles ?

Burghardt Pierre-Eugene. L’appréhension des procédures-bâillons en matière de presse est assez lacunaire en droit français, quel que soit le type de droit traité. Il y a des dispositions du Code de procédure civile qui sanctionnent les accusations abusives, mais elles sont peu appliquées car les juges y sont réticents. Seul le droit d’accès à la justice est primordial. Du côté du droit pénal, l’article 475- du code de procédure pénale permet à celui qui attaque la partie civile, d’obtenir le remboursement de ses frais d’avocat. Toutefois, cette disposition n’est pas au bénéfice de la personne qui est prévenue ou poursuivie, même abusivement. Mais les choses évoluent légèrement. La 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris a rendu un jugement qui a condamné Konbini à 6 000 euros de dommages et intérêts pour procédures abusives contre La Lettre A. Elle a dégagé pour la première fois des critères permettant d’identifier une procédure-bâillon. C’est un jugement qui suit la volonté européenne d’encadrer les procédures-bâillons, avec notamment un projet de directive sur cette question.

Est-ce que ce projet de directive de l’Union européenne qui vise à mieux encadrer les procédures-bâillons est un réel progrès ? Pourra-t-elle améliorer la protection des journalistes une fois transposée dans le droit français ?

P.-E. B. La directive elle-même me paraît assez insuffisante. Elle ne s’applique qu’en matière civile et commerciale. C’est un problème car le vrai cœur du sujet en France est le caractère pénal. Généralement, les procédures en diffamation relèvent du droit pénal et ne sont donc pas concernées par la directive.

Pourquoi la France attend que le droit communautaire se saisisse de ces questions plutôt que de se saisir directement du problème en droit interne ? 

P.-E. B. Peut-être que nos députés manquent d’imagination ! Mais je ne pense pas. La classe politique a dans la tête que les journalistes sont un peu des empêcheurs de tourner en rond. La question qui se pose pour les pouvoirs politiques est de savoir s’ils ont vraiment envie de protéger efficacement les organes de presse contre ces procédures abusives. Quand on voit la révélation de l’affaire Benalla ou de l’affaire Cahuzac, on peut se dire que malgré les discours favorables à la liberté de la presse, elle reste en réalité assez mal vue par le législateur. D’où l’immobilisme de la France sur cette question.

Quels sont les dispositifs qui pourraient être mis en place en France pour assurer une protection efficace des journalistes ?

P.-E. B. Je pense qu’il faudrait d’abord contraindre les juridictions à étudier le bien-fondé d’un recours avant d’en examiner le fond. Quand une procédure de presse est engagée, le juge d’instruction a assez peu de pouvoir. Il peut uniquement mettre en examen l’auteur des propos, qui sont ensuite examinés devant les juridictions correctionnelles. Il faudrait permettre au juge d’instruction d’examiner ou de recueillir les observations des parties sur le caractère abusif, ce qui pourrait éventuellement conduire à une irrecevabilité. Ensuite, je pense qu’il faudrait créer des délits de manipulation de l’information pour lutter contre cette fabrique d’information afin de permettre aux personnes abusivement poursuivies de se constituer partie civile pour obtenir réparation, que ce soit lors d’une relaxe ou si la procédure venait à être annulée pour non-respect des dispositions de la loi de 1881. Aujourd’hui, si vous obtenez une nullité, vous ne pouvez même pas recouvrer vos frais de justice. Vous avez juste la nullité et ça, ça me paraît un peu léger.

Propos recueillis par Noé Guibert (EPJT)