La démocratisation des outils numériques, des plateformes de partage ont nettement participé à la prise de poids des créateurs de contenus sportifs. Photo : Axel Monnier/EPJT
Le journalisme sportif est-il en danger ? C’est ce que laisse penser la mainmise croissante des clubs sur leur communication dans le football français. Des entreprises qui s’appuient sur le crédit des journalistes pour bonifier leur image et se développer comme de véritables marques.
Après une semaine éprouvante, Matthieu Lecharpentier, alias Mattcharp sur X, entame « son deuxième boulot ». Responsable sécurité santé et environnement en Bretagne, il contribue, 35 heures par semaine, à Rouge Mémoire. Un site de référence pour les supporters du Stade Rennais, né en réponse aux railleries des finales perdues par le club breton entre 2009 et 2014. Aucun signe distinctif ne l’identifie comme un site de supporter. Un look moderne, aux couleurs rouge et noir, de Rennes qui pourrait tout aussi bien être une extension d’un journal régional. « On collecte les infos et on les introduit sur le web. Je me demande pourquoi je ne suis pas devenu journaliste », sourit Matthieu Lecharpentier. Au total, il a récolté, recoupé et classé près de 700 000 archives sur le Stade Rennais. « Notre but, explique Mattcharp, c’est de communiquer sur le club et d’en parler de façon positive. » Des datas infinies des effectifs, du nombre de buts, de saisons ou de scores mais aussi des « entrevues » aux allures d’interview avec des anciens joueurs mythiques, participent à cette mise en valeur.  Ce qui rend la frontière entre le journalisme et la communication de plus en plus poreuse et compromet le travail et les relations des journalistes avec les clubs.

Le Paris Saint-Germain, Rennes et d’autres équipes de Ligue 1 produisent des entretiens sur YouTube. Très actifs sur les réseaux sociaux, ils bénéficient d’une audience toujours plus importante et dont tout l’écosystème du football français souhaite profiter. « Nous ne sommes pas fous, les journalistes nous sauteraient dessus si on s’asseyait à leurs côtés en tribune de presse. Nous n’avons pas de lien direct avec les joueurs », assène Matthieu Lecharpentier. Aujourd’hui, les neufs contributeurs de Rouge Mémoire sont tout de même invités à chaque match. À la demande de la direction, ils ont même contribué à la création de la « Galerie des Légendes », un espace qui retrace l’histoire du club depuis 1901. « On supporte et on aide le Stade Rennais. Notre rôle est de reconstruire la narration du club mais nous ne faisons pas de journalisme », poursuit le fan des Rouge et Noir. Le Stade Rennais pose des limites claires entre créateurs de contenus et journalistes.

 

Des clubs juges et bourreaux

Ce qui semble plus difficile au PSG depuis le rachat par les Qataris, en 2011. Le club s’ouvre à d’innombrables marchés internationaux tout en se fermant de plus en plus aux journalistes. Une pratique classique pour Yann Philippin, journaliste à Mediapart et spécialiste de l’institution parisienne : « Verrouiller l’info pour avoir une couverture presse la plus positive possible : toutes les entreprises le font. »

La presse quotidienne régionale n’est pas épargnée, comme l’explique Frédéric Launay, rédacteur en chef des sports de La Nouvelle République. Après un match Nîmes-Tours FC, en 2017, Jean-Marc Ettori, président du club tourangeau, passe le mot à son chargé de communication : « Les joueurs ne parleront plus à Monsieur Launay. » En cause, un papier critique sur l’entraîneur Jorge Costa.

Il semble que le PSG aille plus loin dans la stratégie de « la carotte et du bâton », confie Yann Philippin. Lorsque tout se passe bien, le club récompense. Dans le cas contraire, il sanctionne. L’Équipe en a fait les frais peu après l’arrivée de Lionel Messi au club, en 2021. Après que la rédaction ait divulgué le salaire de la star argentine, les dirigeants se sont braqués et ont fermé temporairement les portes des conférences de presse et des entraînements aux journalistes de L’Équipe. Selon Yann Philippin, l’enjeu pour les journaux sportifs réside dans un échange de bons procédés. « Au foot, la presse spécialisée a besoin du club. Ces derniers ont donc un moyen de pression. Et le PSG sanctionne tous les écarts. » Un engrenage auquel il est fier d’échapper avec Mediapart, puisque le pure player ne traite pas des résultats sportifs.

Le PSG fait encore plus pour s’attirer les bonnes grâces des journalistes, a révélé Yann Philippin dans son enquête. D’abord, il permet à certains d’entre eux d’intégrer, sur invitation, le « carré vip » où se mélangent politiques, hauts-fonctionnaires et célébrités. « Une façon peu coûteuse pour le club de s’attirer les faveurs de certaines personnes », poursuit-il. Pour Jean-Martial Ribes, ancien directeur de la communication du PSG, c’est le « power of football ».

 

L’important c’est de participer

Après un voyage de presse organisé par le club, l’ancien rédacteur en chef de France Football, Pascal Ferré, a écrit des articles élogieux sur le PSG et son écosystème, dont un portrait flatteur du président, Nasser Al-Khelaïfi. Aujourd’hui, l’ancien journaliste de France Football occupe le poste de responsable de la communication de l’équipe parisienne. Pour Nelson Monfort, commentateur du patinage artistique sur France Télévisions, cette pratique nuit au journalisme. « Les agences de communication, les fédérations ou autres organisateurs de tournoi engagent de plus en plus des commentateurs et chroniqueurs à leurs bottes. Il faut être très intelligent pour engager quelqu’un qui peut être amené à nous critiquer. » Le PSG n’est pas le seul à l’avoir fait. Jacques Cardoze, ancien journaliste du service public, désormais chroniqueur dans l’émission de Cyril Hanouna, « Touche pas à mon poste », sur C8, a également occupé le poste de directeur de la communication à l’Olympique de Marseille.

Le football français entretient le flou entre communication et journalisme. Les clubs recrutent des influenceurs, des community managers qui ont un accès exclusif aux joueurs. Une véritable remise en question de la place et du rôle du journaliste sportif. Mais, Yann Philippin conserve tout de même l’espoir « que la communication du club ne se substitue complètement à sa couverture par les journalistes ».

David Allias, Théo Lheure et Jules Rouiller