Au Bateau Ivre, cent personnes se rencontrent autour d’un repas, pour débattre sur le journalisme. Photo : Rhaïs Koko/EPJT

À l’occasion des Assises du journalisme de Tours, un banquet spécial a été organisé pour permettre à une centaine de journalistes et de citoyens d’échanger. Les débats ont été animés.

« Les journalistes ne cherchent plus à faire du contenu informatif, mais spectaculaire ». Jean-Loup, médecin du sport de 63 ans, est catégorique. Lorsqu’il a reçu son invitation, il n’a pas hésité une seconde à venir rencontrer des journalistes au Bateau Ivre, mercredi soir. A l’occasion des Assises du journalisme de Tours, 100 personnes, journalistes ou citoyens, se sont retrouvées pour débattre sur le journalisme, le temps d’un dîner. Objectif : « Faire se rencontrer deux mondes qui ne se comprennent pas toujours », explique Lucile Berland, journaliste indépendante et animatrice du banquet.

Entrée, plat, dessert, à chaque moment du repas, une question pour débattre : « En quoi le journalisme vous est utile ? », « En quoi le journalisme peut être inutile ou pas à la hauteur ? » et « En quoi pourrions-nous vous être plus utiles demain ? ». Tous changent de table entre chaque plat « afin de recueillir un maximum d’opinions », continue Lucile Berland.

Ce mercredi soir, les participants se font donc face sur des tables rondes couvertes de nappes blanches. Du vin blanc ou du vin rouge ; la parole est déliée. Lionel, 40 ans, travaille dans le secteur audiovisuel. Il s’informe quotidiennement, principalement via la télévision. Pour lui, « un journaliste n’est utile que lorsqu’il est objectif. » Un avis que ne partage pas Alexandre, son compagnon de table, journaliste. « Il est souvent difficile, quasi impossible, de ne pas donner ou suggérer son avis, rétorque-t-il. Le plus important est de ne pas déformer les faits et de les replacer dans leur contexte. » 

Journalistes anxiogènes

Sur une autre table, une infirmière de 37 ans, relativise. « Il ne faut pas oublier que les journalistes sont des hommes et des femmes orientés par leurs sentiments, déclare-t-elle. Chacun fait de son mieux. » Mais Lucile Berland assure qu’il y a « parfois une timidité des citoyens à dire que les journalistes sont des pourris ». Alors place au plat, ou plutôt au « plat de résistance des journalistes face aux critiques », comme elle le surnomme alors qu’elle prend le micro pour résumer la tonalité des avis des citoyens. Selon certains, le journalisme leur est inutile car les journalistes montent des sujets en épingle, sont anxiogènes et trop tournés vers les problèmes. Bref, une course permanente au buzz.

Un avis émerge. Les journalistes gagneraient à faire davantage de journalisme de solution et à aller toujours plus loin dans l’investigation, au lieu de relater en boucle des faits stériles. Yves, journaliste de 65 ans, est sans langue de bois et catégorique. Derrière sa longue moustache blanche, il affirme : « J’étais à Radio France lorsque Franceinfo est née. Nous étions plusieurs à suggérer à nos chefs de créer dans l’information en continu des thématiques où les sujets sont approfondis. Mais parce que le journalisme est aussi une économie, ils préféraient survoler l’information et la rabâcher pour faire de l’argent. » Ce système l’exaspère. Au Bateau Ivre, nombre de citoyens le sont également.

Pour Anaïs, le journalisme sera plus utile lorsque l’information sera traitée sous tous les angles. La jeune femme de 27 ans déplore le fait de devoir s’informer via plusieurs médias pour avoir différents points de vue, raison pour laquelle elle n’est abonnée à aucun d’entre eux. Yves lui dit que c’est impossible, car l’information est trop large et que le journalisme est surtout une affaire de choix. « Mais choisir, c’est renoncer au détriment de ceux qui n’ont pas conscience qu’il faut maximiser ses canaux d’informations », observe Anaïs.

Et les masques tombent

« Ce concept de réunir des gens autour d’un repas est inspiré des banquets républicains de l’Ancien Régime et permet de délier les langues, car tout le monde est mis en même niveau », se réjouit Lucile Berland. Pour elle, nul doute de la nécessité d’une telle rencontre entre journalistes et citoyens défiants. « C’est l’endroit où une colère, une frustration ou une incompréhension doit pouvoir s’exprimer, reprend-elle. Il faut un dialogue pour que les masques tombent de part et d’autre. »  

Les invités approuvent. En fin de cérémonie, certains parlent déjà de retenter l’expérience qu’ils qualifient d’utilité publique. C’est une évidence pour Sylvie, 54 ans qui cite Alfred Sauvy : « Bien informés, les hommes sont des citoyens; mal informés, ils deviennent des sujets. » 

Rhaïs Koko/EPJT