Les mots Delphine Minoui nous amènent au cœur de la bibliothèque de Daraya. Photo : Clément Buzalka

Delphine Minoui aborde le sujet de la guerre en Syrie dans Les passeurs de livres de Daraya. Pour fuir leur morbide quotidien, les assiégés se retrouvent dans la bibliothèque de cette ville de la banlieue de Damas.

« Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leurs armes d’instruction massive. » La Syrie, Daraya, trois ans et neuf mois de siège. Les bombes qui pleuvent jours et nuits sur les 12 000 habitants prisonniers de l’enclave. La faim, la peur, le manque de sommeil. La lutte pour la survie. La guerre. Le terrain le plus hostile pour la culture.

Et pourtant, c’est là, dans cette ville de la banlieue de Damas, encerclée et écrasée par le régime syrien, qu’une bibliothèque clandestine a résisté jusqu’aux derniers jours du siège. Extirpés des décombres par une quarantaine de jeunes Syriens, près de 15 000 ouvrages ont retrouvé une seconde vie dans le sous-sol d’un immeuble.

Les passeurs de livres de Daraya est l’histoire de cette bibliothèque et des jeunes qui lui donnent vie. Delphine Minoui nous fait partager leur quotidien sous les bombes. C’est d’abord un récit de guerre, dans tout ce qu’il a de plus violent et de plus bouleversant. Daraya la rebelle, symbole de la résistance pacifique, est écrasée dans le sang par le régime de Bachar el-Assad. Les mots, durs et francs, font sentir l’horreur du conflit et de la répression sans pitié.

Les mots face aux bombes

Quand la fuite physique est impossible, il ne reste que la fuite mentale. La bibliothèque est un abri de papier, une armure de livres. Par la lecture, les habitants de Daraya s’évadent un instant de leur ville assiégée. Ils refusent la domination et la pensée unique imposée par le régime. Paradoxalement, la guerre les instruit, les cultive, leur ouvre le monde. Les mots sont leurs armes de force.

Car ce livre est aussi une ode aux mots et aux idées. Ces mots qui attrapent et qui fascinent. Delphine Minoui n’en manque pas pour décrire la bibliothèque de Daraya et la résistance qu’elle représente. Le récit s’approche parfois de la philosophie, avec insistance ou passion, selon les goûts. Le quotidien des assiégés de Daraya nous prend aux tripes, nous colle au fauteuil. Impossible de lâcher le livre, jusqu’à la dernière ligne, on frémit de peur, on espère, on prie pour que la fin soit heureuse.

À travers ce livre, Delphine Minoui livre également un beau travail journalistique, doublé d’un joli tour de force : écrire un livre sur un terrain qu’elle ne connaît pas, sur lequel elle n’est jamais allé. Durant près d’un an, la journaliste a enquêté, recoupé les informations, conversé à travers Skype, WhatsApp, Facebook, analysé la moindre photo ou la moindre vidéo. Un travail de fourmi pour raconter le plus petit détail le plus justement possible.

Anastasia Marcellin

Les passeurs de livres de Daraya de Delphine Minoui, éditions Seuil (2017).