EMI, travaux en cours

Photo : Kelvin Jinlack/EPJT

L’éducation aux médias et à l’information s’intensifie en classe. Mais les intervenants manquent de formation et de coopération pour que tous les élèves en profitent.

Au bout du fil, une professeure documentaliste au ton agacé. Elle a l’impression de se battre dans le vide. Presque gênée, elle s’en excuse. Enseignante dans un collège d’Indre-et-Loire, Caroline* ne mâche pas ses mots lorsqu’elle évoque l’éducation aux médias et à l’information (ÉMI). Le lendemain, coup de fil à la rédaction : elle ne veut pas que son nom apparaisse, consciente d’avoir dépassé son droit de réserve. Pour elle, c’est tous les ans la même chose. Vingt ans qu’elle s’efforce de mener à bien des projets de ce type au sein de son établissement. « Je dois négocier avec chaque prof, avec chaque classe et dans chaque discipline », souffle-t-elle. Quand un enseignant ou un directeur s’en va, c’est pire encore. Il faut tout recommencer.

Cette année, elle n’a vu que trois classes sur les trente que compte son collège. L’éducation aux médias et à l’information, créée quarante ans plus tôt, fait pourtant consensus. « L’ensemble du personnel de l’Éducation nationale est concerné », assure Karen Prévost-Sorbe, référente ÉMI à l’académie d’Orléans-Tours. Le ministère est conscient de son importance.

Pas d’heures obligatoires

Si Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l’Éducation nationale, l’a décrite comme un pilier du parcours de chaque élève, ce n’est pas une discipline à part entière. En clair, les élèves n’ont pas d’heures obligatoires dédiées à cet enseignement. Les professeurs, toutes disciplines confondues, sont encouragés à l’inclure dans leurs heures de cours.

En réalité, l’ÉMI passe souvent au second plan à cause du manque de temps pour finir les programmes. Les « profs docs », responsables ÉMI au sein des établissements, en sont réduits à se greffer aux cours de leurs collègues. « Parfois, je comprends. Ils n’ont pas le temps. Le souci, c’est qu’on travaille toujours avec les mêmes », témoigne Anne Esnon, professeure documentaliste au lycée professionnel Martin-Nadaud de Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire). Le manque de communication et de reconnaissance accentue l’incompréhension. Un sentiment d’isolement d’autant plus fort selon la taille de l’établissement scolaire.

C’est le cas de Caroline qui est seule face à plus de 800 élèves pour mener à bien des projets d’ÉMI : « J’ai beaucoup de mal à mettre en place des projets concrets sur le long terme. » Comme le précise Anne Esnon, pour que les projets d’établissement soient réalisables, il faut que tous les acteurs de l’équipe pédagogique s’investissent : « C’est un vrai travail d’équipe, ça ne peut pas venir d’une seule personne. »

Karen Prévost-Sorbe, référente ÉMI, en conférence. Photo : EPJT

Si les professeurs ont conscience de la nécessité de l’ÉMI, ils n’y sont pourtant pas initialement formés. En effet, les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), qui visent à préparer les futurs enseignants, n’intègrent pas l’éducation aux médias dans leurs programmes. « Dans mon établissement, il y a une collègue stagiaire en formation initiale. Elle n’a pas suivi de modules sur l’ÉMI et elle ne savait même pas ce que c’était », s’étonne Anne Esnon.

La question est de savoir comment placer l’ÉMI comme priorité dans le parcours d’un élève si les professeurs ne sont pas eux-mêmes préparés à cette discipline ? À défaut d’avoir été formés lors de leur cursus initial, les professeurs peuvent suivre une formation continue. Mise à disposition par le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (Clémi), elle propose des vidéos en ligne auxquelles chacun peut s’inscrire… s’il le souhaite. Quelques heures devant l’écran permettent, par exemple, de se sensibiliser au journalisme de guerre, à la lutte contre la désinformation, ou aux réseaux sociaux. 

En montant un projet d’ÉMI, les professeurs se sentent parfois démunis. Les secrets de la fabrication journalistique, sans compter les subtilités techniques, sont difficiles à appréhender. Ils se tournent vers les professionnels du secteur pour les épauler. « Le problème c’est qu’il n’y a pas de journaliste référent pour chaque projet d’ÉMI initié, regrette Karen Prévost-Sorbe. Il faut qu’ils arrivent à dégager du temps tout en sachant qu’ils ont un agenda chargé au sein de leur rédaction. »

La demande des établissements scolaires est bien plus importante que l’offre journalistique. Face à ce manque de disponibilité, une solution est souvent utilisée : se tourner vers les radios associatives.

« Par moment, c’est du bricolage »

S’ils disposent de compétences techniques, les bénévoles ne sont pas tous formés à l’ÉMI, ni au journalisme. « Il faut le dire, par moment, c’est du bricolage », reconnaît Anne Esnon. Au niveau de l’accompagnement et des formations, les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux pour les professeurs documentalistes.

L’initiative a la particularité d’allier trois compétences pour rendre l’ÉMI optimale : le journalisme, la technique et la pédagogie. Un équilibre difficile à obtenir. En Centre–Val de Loire, plusieurs personnes réfléchissent à la création d’un annuaire en ligne, qui recenserait les acteurs certifiés.

L’objectif est d’assurer la formation des intervenants et d’améliorer la qualité de l’éducation aux médias. Une idée insufflée par Élodie Cerqueira, nouvelle présidente du Club de la Presse Centre – Val de Loire. Depuis son élection en novembre 2022, elle place l’ÉMI au cœur de ses préoccupations. Même son de cloche chez Karen Prévost-Sorbe : « À terme, il y aura des journalistes et des intervenants certifiés en ÉMI qui se différencieront des autres. »

Sarah COSTES, Jane COVILLE, Arnaud FISCHER et Kelvin JINLACK

(*) Le prénom a été modifié.