Tours, Dijon, Chalon, Grenoble… De nombreuses villes assistent à la naissance de pure players. Ces sites d’info, qui entendent concurrencer la PQR, peinent à trouver leur équilibre financier.

Photo : Martin Esposito

A Tours, ils sont deux à avoir vu le jour, à quelques heures d’intervalle en septembre 2014, alors que la ville ne disposait d’aucun site d’actualité locale : InfoTours et 37 degrés. Par un simple hasard de calendrier. « On s’est quand même dit merde, on ne l’a pas vu venir celui-là, se remémore Mathieu Giua, créateur de 37 degrés, qui refuse de parler de concurrence. Nos lignes éditoriales sont différentes. Notre arrivée simultanée témoigne d’un besoin de pluralité dans l’info locale. »

La capitale de la Touraine, mais aussi Lille, Paris, ou encore Lyon… Toutes les grandes villes françaises sont concernées par l’émergence des pure players locaux, ces sites d’actualité « tout en ligne ».

Des financements fragiles

Aujourd’hui, le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) reconnaît une soixantaine de titres d’actualité locale. Mais le modèle économique de ces nouveaux médias pose question. Du bénévolat à la structure professionnelle, les pure players locaux sont divers et souvent fragiles. « Ils n’ont pas assez de financement au départ pour tenir une équipe pendant plusieurs années », estime Edwy Plenel, fondateur de Mediapart et membre du bureau du Spiil.


Pour InfoTours, presque trois ans après le lancement, le modèle reste précaire. Malgré 70 000 visiteurs uniques par mois, le site ne rémunère aucun journaliste, au contraire de sa maison-mère InfoChalon, en Bourgogne, qui compte un salarié et des pigistes. À Chalon-sur-Saône, le site s’est ancré dans le territoire depuis huit ans, pour attirer environ 43 000 visiteurs uniques par jour. Il a fallu 6 000 euros d’investissement et des heures de travail pour mettre sur pied le projet. Le leitmotiv ?
« Les lecteurs attendent des surfaces d’expression gratuites », anticipe Laurent Guillaumé, le créateur. Mais à quel prix ? Olivier Collet, rédacteur de la majorité du contenu d’InfoTours, est bénévole. Salarié à Chérie FM, il passe son temps libre à alimenter le site : « J’essaie de suivre un rythme de trois articles de 3 000 signes au quotidien », témoigne-t-il. La priorité est donnée aux associations et aux petits commerces. Le journaliste s’est lancé, avec une dizaine de photographes, dans une aventure chronophage. L’unique source de revenus provient de la publicité. De quoi se payer un appareil photo et l’hébergement du site. Face à la presse quotidienne régionale (PQR), ce pure player entend être plus libre quant au format des articles, avec « un phrasé plus familier ». Mais il n’a pas de véritable retour sur investissement, pour le moment.

Le risque du surmenage

Le surmenage ne pouvant constituer un modèle viable, d’autres pure players ont tenté l’aventure du payant. DijOnscOpe  franchi le pas en 2012. Mais les lecteurs habitués au modèle gratuit ne suivent pas. « Nous avons perdu 75 % de l’audience », raconte Sabine Torres créatrice du pure player. Cette dernière s’endette à hauteur de 300 000 euros. C’est trop pour continuer. Seulement huit mois après la conversion au payant, DijOnscOpe rend les armes.
D’autres sites web, comme Carré d’info à Toulouse et Le Télescope d’Amiens se sont tour à tour cassés les dents sur le modèle basé sur les abonnements. Médiacités, un nouveau pure player lancé en début d’année, espère, au contraire, prouver qu’il est possible de faire payer l’actu locale sur Internet (lire l’encadré).


Gratuit ? Payant ? La solution pourrait se trouver dans un entre-deux. Place Gre’net, qui traite de l’actualité grenobloise depuis septembre 2013, fait figure de précurseur. Dès le départ, l’idée du semi-payant a séduit les fondateurs. Les débuts ont été difficiles mais après quelques mois, le trafic a augmenté. De 6 000 visiteurs uniques par mois, le site annonce ne pas être loin des 60 000 aujourd’hui. Avec « un mur payant », le lecteur peut choisir son contenu :
« S’il souhaite lire des enquêtes plus longues et plus développées, il est libre de s’abonner ou non », explique Muriel Beaudoing. Place Gre’net embauche deux journalistes à plein temps. Entourés de pigistes et correspondants locaux de presse. Une équipe mobilisée, car, « la gestion d’un pure player, pour qu’il dure, c’est du travail sept jours sur sept », témoigne-t-elle.

Des activités annexes pour survivre


Pour ne pas être déficitaires, les gratuits doivent diversifier leurs activités. À Tours, 37 degrés fêtera bientôt ses trois ans. L’une des rares occasions de souffler pour Mathieu Giua, le créateur, qui a investi 12 000 euros. Quelques mois avant le lancement du site, il participait à la création du magazine
Et Vous. Mais faute de financements, seuls deux numéros sont parus en kiosque. « Je me suis dit qu’il fallait oublier l’idée du format papier et qu’il était mieux de se lancer sur le web, se souvient-il. C’est comme ça qu’est né 37 degrés. Le public attend autre chose que le format PQR », analyse cet ancien professeur d’histoire. 37 degrés affiche aujourd’hui 55 000 visiteurs uniques par mois au compteur. « Ce n’est pas un chiffre démentiel, mais nous sommes devenus crédibles », poursuit-il.


La notoriété est un bien long à acquérir. 37 degrés n’a trouvé son équilibre financier que depuis quelques mois. Tout juste pour que son créateur se verse un Smic. Les revenus publicitaires n’étant pas suffisants, le pure player a choisi de développer, à côté de ses activités journalistiques, un pôle communication. Animation de conférences, rédaction de newsletters pour les entreprises,
« ces activités ne nuisent pas à notre indépendance, mais nous permettent d’exister », assure Mathieu Giua.


37 degrés a bousculé le paysage.
« La Nouvelle République (NR) n’est plus en situation de monopole. Nous avons prouvé notre utilité sur la place publique », analyse Mathieu Giua. La PQR se retrouve face à une concurrence 2.0, et « doit régler le problème de son lectorat vieillissant », prône Chantal Pétillat, chargée du développement numérique au sein du groupe Nouvelle République du Centre-Ouest. « Avec la fonte des effectifs, La NR doit imaginer le journal de demain avec les lecteurs d’aujourd’hui ». Et la tâche n’est pas simple. « La presse écrite de proximité devra se diversifier pour être utile. »

Simon ABRAHAM et Maxime BUCHOT