Il prend toujours plus de place. Le « native advertising » est le nouveau cheval de bataille des médias. Mais attention au mélange des genres entre rédactionnel et publicité. Enquête.

Les articles sponsorisés sont de plus en plus courants, et pas toujours très identifiables. Crédit photo : Victorine Gay.

Les articles sponsorisés sont de plus en plus courants, et pas toujours très identifiables. Crédit photo : Victorine Gay.

« Women Inmates ». C’est le nom du grand format consacré par le New York Times à l’incarcération des femmes aux Etats-Unis. Le reportage donne l’impression d’avoir été fait, comme tant d’autres, par la rédaction du plus grand média du monde. Mais en réalité, l’article est une opération de « native advertising », une publicité qui propose du contenu journalistique et s’intègre à la ligne éditoriale du site, financée par le géant Netflix pour sa série « Orange is the new black. »

« Dans le cas du New York Times, c’est très fin et intelligent », note Eric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L’Express. Tout en haut, la mention « Paid post » permet au lecteur attentif de comprendre ce qu’il en est. Mais tout l’art du « native advertising » se situe dans cette ambiguïté : la plupart des internautes ne sont finalement pas au courant qu’ils lisent un contenu publicitaire. « Le reportage est très intéressant et finalement très éloigné de ce qu’est la série, souligne Guillaume Sire, maître de conférence spécialisé dans le “native advertising”. Je ne suis donc pas contre en principe. Tout dépend de comment c’est fait, mais il ne faut pas exclure l’idée que ça peut être bien fait. »

L’éthique en arrière plan

Le New York Times est même devenu un exemple à suivre. 20 Minutes, qui mise beaucoup sur le « native advertising », s’est inspiré du média américain. « On a observé ce qu’ils font depuis deux ans, et on a fait quelque chose de similaire avec les séries de HBO », raconte Renaud Grand-Clement, directeur commercial de 20 Minutes. Pour autant, rapprocher à ce point le rédactionnel et la publicité peut poser question. « Quand on a débuté, on s’est interrogés sur la façon dont on faisait notre travail, mais c’est justement quelque chose d’assez sain, note Acacio Pereira, directeur de la rédaction du quotidien gratuit. Mais on distingue au maximum les contenus publicitaires et éditoriaux. Je ne me charge que de ces derniers. On a une équipe dédiée pour ça, et l’annonceur n’y intervient jamais. » Le Syndicat national des journalistes (SNJ), à l’arrivée du « native advertising » sur les sites web français, avait d’ailleurs « solennellement mis en garde la direction du groupe L’Express Roularta » sur ces pratiques, pointant du doigt la très fine séparation entre information et publicité.

Aujourd’hui à L’Express, l’accent est toutefois mis sur l’indépendance des pigistes qui écrivent ces articles de « native advertising ». Jamais l’annonceur n’a de droit de regard sur la production. « C’est pour poser ce genre de conditions que j’interviens le plus tôt possible dans les négociations », explique Eric Mettout. Au Figaro, la régie publicitaire souhaite elle éviter toute ambiguïté. Les mentions qui témoignent de l’aspect sponsorisé des contenus sont placées bien en évidence avec l’annotation « Figaro partner ». « Cela nous gênerait que le lecteur puisse lire quelque chose de publicitaire sans s’en rendre compte », assure Baptiste Huriez, directeur adjoint marketing. Cette politique se poursuit même sur les réseaux sociaux, où les comptes Le Figaro ne partagent jamais directement les articles sponsorisés.

Mais quelle que soit la mention apposée et la place qu’elle prend, le « native advertising » pose question. « Ce qu’il faudrait savoir, c’est si la marque a pu rayer des phrases ou même changer des mots, si elle a joué le rôle de rédacteur en chef ou de secrétaire de rédaction. Et dans ce cas là, c’est un vrai problème », avance Guillaume Sire. En revanche, pour lui, la quantité n’est pas un souci. Pourtant, au Figaro, il y a des limites. « Je me verrais mal négocier avec mon éditeur qu’il y ait deux ou trois articles de “native advertising” en même temps sur la page d’accueil de notre site, concède Baptiste Huriez. Un, c’est suffisant et je pense qu’on n’ira pas au-delà. »

Des contenus qui plaisent et se multiplient

Cela n’empêche toutefois pas le « native advertising » de prendre une place toujours plus importante. En Europe, les dépenses dans ce domaine s’élevaient à environ 5 milliards d’euros en 2015. Pour 2020, les prévisions tablent sur plus de 13 milliards. Il représente ainsi 20 % des revenus numériques pour L’Express, et plus de 30 % pour 20 Minutes, dont l’objectif est de dépasser les 50 % d’ici fin 2017. Le succès de ces articles sponsorisés permet aux médias d’être plein d’espoir. D’autant que le trafic n’y est pas moins important que sur le reste des contenus, bien au contraire. C’est l’intérêt de l’article qui fait venir ou non le lecteur. « Au Figaro on veut apporter quelque chose de qualité à nos utilisateurs, reprend Baptiste Huriez. Et le fait qu’une marque soit partenaire ne rend pas un article moins intéressant. » Eric Mettout abonde : il assure ne pas avoir à rougir du « native advertising » publié sur lexpress.fr, notamment pour HP, un de ses plus gros partenaires.

Cependant, la mention « En partenariat avec » peut parfois nuire à la crédibilité du journaliste. « Dans l’exemple du New York Times, celle qui a écrit doit être dégoûtée de voir marqué Netflix si elle a parfaitement fait son travail », lance Guillaume Sire. Pour lui, il serait donc nécessaire de connaître les conditions de production des articles sponsorisés. Mais pour le reste, le « native advertising » ne mérite pas tant de méfiance : « J’ai confiance en l’intelligence des uns et des autres. Les gens ne sont pas bêtes. Le risque, ce serait si tout le monde devient idiot… »

Robin WATTRAINT

Sponsoring, native advertising : valoriser son média à tout prix ? – Jeudi 10 mars, de 9h30 à 11h au Centre de Congrès de Tours.

Pour aller plus loin :

Le « native advertising », une question de vocabulaire

Le livre blanc de l’Interactive Advertising Bureau (IAB)

Le reportage du New York Times sur l’incarcération des femmes aux Etats-Unis