LoiFakeNews

 

Plus de contrôles sur les plateformes et davantage de pouvoirs pour le CSA, ce sont quelques mesures de la proposition de loi sur les fake news. Un texte qui fait débat.

Ce sera sans doute un des sujets du jour. Invitée aux Assises du journalisme, la ministre de la Culture Françoise Nyssen intervient aujourd’hui à 12h30 et devrait évoquer la proposition de loi sur les fake news. Les députés La République en Marche (LREM) ont reçu mardi 13 mars le texte, qui devrait être débattu à l’Assemblée nationale au mois de mai. Dans une interview au Journal du Dimanche, le 4 février, Françoise Nyssen avait esquissé le principe de la loi : « Il n’y a plus de liberté de la presse lorsque la mauvaise monnaie chasse la bonne, c’est-à-dire lorsque les fake news chassent les vraies informations. »

Selon le document  qui a fuité dans les médias mercredi 7 mars, la proposition de loi introduit trois nouvelles mesures pour lutter contre les fauses informations. La première, c’est d’obliger les plateformes numériques à plus de transparence. En particulier celles qui publient des contenus sponsorisés, c’est-à-dire dont l’audience est boostée par un annonceur à qui l’on verse de l’argent. Elles devront dévoiler l’identité des annonceurs et des auteurs de ces publications. 

Des sanctions plus sévères

Plus largement, la future loi s’appliquerait aussi aux réseaux sociaux, moteurs de recherche et portails d’information. « Elle prévoira des obligations nouvelles pour ces plateformes », a annoncé Françoise Nyssen. Le texte introduit, en effet, « une action en référé devant le juge civil ». Il pourra ordonner, dans les 48 heures suivant la plainte, le retrait du contenu mis en cause et l’interdiction de sa mise en ligne. Si les contenus sont diffusés « de manière répétée », le compte de l’utilisateur incriminé pourrait être fermé, le site hébergeur déréférencé, voire bloqué. 

Le deuxième volet de la proposition de loi concernerait le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Désormais, il aurait les moyens d’empêcher, de suspendre ou de mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés par un État étranger, s’ils « portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ». 

Le troisième point du texte évoque enfin un élargissement du devoir de coopération des réseaux sociaux. Ils devraient dorénavant mettre en place un outil permettant de signaler les fausses informations. Le texte précise que toutes ces mesures s’appliqueraient en période électorale uniquement. 

Les professionnels sceptiques

Du côté des représentants de la profession, on doute de l’efficacité d’une telle loi. « Même en stoppant sa diffusion, une information qui a commencé à pointer le bout de son nez, vraie ou fausse, peut être relayée autrement, grâce aux captures d’écran par exemple », explique Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes (SNJ). Le directeur du Syndicat de la presse nationale, Denis Bouchez, propose plutôt de « valoriser l’information de qualité et [d’]imposer aux réseaux sociaux de labelliser les contenus de presse ».

Concernant les nouveaux pouvoirs alloués au CSA, Dominique Pradalié est plus que sceptique : selon elle, la nomination des membres par les autorités ne fait pas de ce Conseil un organe indépendant. Au lieu d’une loi, elle préconise plutôt la création d’une « instance indépendante nationale de déontologie qui pourrait s’autosaisir et être saisie ». Celle-ci enquêterait sur des cas précis et émettrait un avis ensuite publié dans le média concerné.

Qu’est-ce qu’une fake news?

Dans la langue anglaise, l’adjectif « fake » renvoie à l’idée de copie, d’imitation, de contrefaçon. À l’origine, une fake news, c’est une information trompeuse qui est fabriquée dans le but de manipuler, d’influencer, de semer le trouble, de décrédibiliser. C’est une « information incorrecte qui prend l’apparence d’une information véritable », définit le dictionnaire Collins. Il n’existe pas de consensus sur la traduction du terme en français. L’Académie française invite à utiliser les termes « tromperie », « contre-vérité » ou « trucage». Pourtant dans le document remis au député chargé d’élaborer la future proposition de loi sur les fake news, c’est le terme « fausse information » qui est mentionné. Un concept flou, qui explique en partie la controverse autour de ce texte. 

 

Pour mieux cerner cette loi, nous avons interrogé deux juristes, Arnaud Dimeglio et Maxime Ramos-Guerrero.  

« La loi de 1881 n’est plus suffisante »

Arnaud Dimeglio, avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies, de l’informatique, de la communication et de la propriété intellectuelle.

Loi de 1881. La loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse n’est plus suffisante. L’article 27 ne définit pas clairement ce qu’est une fausse nouvelle. D’après cette loi, seul un événement arrivé récemment peut faire l’objet de fausses nouvelles. Elle est donc sujette à interprétation. D’ailleurs, elle n’est plus adaptée : elle a été créée pour le papier, pas pour internet.

Journalistes et simples citoyens. Il n’y a pas de raison qu’on traite différemment les journalistes et les simples citoyens qui s’expriment sur la toile. On est obligé de mettre tout le monde dans le même panier, selon le principe d’égalité de la loi. Pour moi, il ne faut pas restreindre celle-ci aux périodes électorales. Telle qu’elle est, elle a clairement vocation à protéger les hommes politiques. Tout le monde devrait être protégé. 

Réseaux sociaux. Ils sont aujourd’hui considérés comme de simples intermédiaires, des hébergeurs et non des éditeurs ou des contenus. Google, Facebook, Twitter et autres ne sont pas responsables de leurs contenus car ils n’en ont pas le  contrôle. Avec cette loi, ils devront collaborer avec la justice. 

Rôle du CSA. Le renforcement des pouvoirs du CSA me paraît cohérent avec la procédure de référé qui sera instaurée pour la suppression des fake news sur internet.

 

« Il existe déjà des textes contre les fake news »

Maxime Ramos-Guerrero, avocat en droit de la propriété intellectuelle, de la communication et des médias chez Jacob avocats.

Loi de 1881. Je suis plutôt circonspect au sujet de cette nouvelle loi. Il existe déjà des textes permettant de lutter contre les fake news comme l’article 27 de la loi de 1881, ou l’article 29 qui condamne la diffamation et l’injure. Cette ancienne loi est assez évasive en ce qui concerne les fausses nouvelles, mais je pense que ce n’est pas une mauvaise chose. Le juge peut alors faire la balance entre la liberté d’expression et la protection des droits des tiers et apprécier les faits et les arguments au cas par cas.

Journalistes et simples citoyens. Il est nécessaire de faire une distinction entre le simple citoyen et le journaliste. Ce dernier a des obligations déontologiques et peut être sanctionné auprès de ses pairs. La future loi sur les fake news fait bien cette distinction.

Réseaux sociaux. Ils sont déjà mis à contribution pour identifier les contenus racistes. On pourrait imaginer cela appliqué aux fausses nouvelles. Mais ces sites n’ont pas forcément envie d’avoir cette responsabilité : parfois les signalements sont infondés.

Rôle du CSA. Que le CSA ait plus de pouvoirs, pourquoi pas, tant que cet organe reste indépendant. Le problème de la nomination existe, mais le CSA tel qu’il travaille aujourd’hui me semble assez autonome.


Tiffany Fillon et Louise Baliguet