Crédit : Patrick Gherdoussi pour JCLattes

Romain Capdepon est chef de la rubrique police-justice à La Provence. Il est auteur du livre Les Minots, sur les guetteurs, ces petites mains au service des trafiquants de drogue à Marseille. Publié le 9 janvier dernier, aux éditions JCLattès, l’ouvrage prend pour point de départ la mort, en 2010, de Jean-Michel, un jeune de 16 ans.

La Feuille : Comment expliquez-vous le choix de ce sujet ? 

Romain Capdepon : Beaucoup de livres, de documentaires et d’articles de presses avaient été faits sur le trafic à Marseille mais je me suis rendu compte que finalement aucun d’eux ne prenaient pour angle uniquement les minots, les guetteurs. Dans mon travail de tous les jours à La Provence, l’angle qui m’intéressait le plus était celui des guetteurs, des jeunes. Ça fait des années que je les vois, ces personnages fantomatiques, et je me posais beaucoup de questions sur eux, sur leur âge, leur famille, comment ils voyaient leur activité, etc.

Pourquoi en avoir fait un livre ?

R. C. : Les articles que je fais d’habitude sont très rarement sur les minots mais sur les trafics en général. Il faut beaucoup de temps pour rencontrer les jeunes, et le format du livre était plus adéquat. C’est l’éditeur JC Lattès qui m’a proposé d’écrire un livre sur Marseille, avec carte blanche, dans le cadre de la collection Les Invisibles, qui part d’un fait divers. Le premier était sur la Corse (Les Invisibles. Une enquête en Corse d’Antoine Albertini, NDLR.).

Comment avez-vous concilié votre travail de journaliste avec l’écriture du livre ?

R. C. : J’ai mis un peu moins d’un an à l’écrire et je travaillais en même temps. Par ailleurs, c’était la première année de mon fils, donc c’était un peu compliqué. J’ai travaillé les week-ends, sur mes jours de repos, de RTT. Je n’ai pris aucun jour de repos afin de trouver les contacts. J’en avais déjà certains car je vais régulièrement dans les quartiers Nord. De contact en contact j’ai réussi à atteindre ces minots (les guetteurs, ndlr).

Est-ce que cela a eu un impact sur votre travail à la rédaction ?

R. C. : L’on est forcément moins opérationnel quand l’on écrit un livre à côté mais j’ai réussi à mener ma mission. Je n’ai eu aucun reproche de ma rédaction en cheffe. J’ai travaillé normalement mais j’étais plus fatigué que d’habitude. Après, pour le journal c’est une chance. Je suis un pur produit de La Provence donc ça lui fait beaucoup de publicité.

« J’ai pris beaucoup plus de plaisir à écrire comme ça. »

Aviez-vous demandé l’avis de votre rédacteur en chef avant d’écrire le livre ?

R. C. : J’ai informé ma rédaction que j’allais faire ce livre mais sans demander l’autorisation car je fais ce que je veux sur mes temps de repos.

Est-ce que votre travail d’enquête va vous être utile pour votre métier de journaliste ?

R. C. : J’ai accumulé des contacts pendant l’écriture de mon livre qui vont me servir dans mon travail au journal. Ça m’a aussi plus ouvert sur la vie dans les quartiers. Quand tu travailles dans un quotidien, tu n’as pas le temps d’enquêter au long court. On se permet trois ou quatre jours maximum. Six mois à traîner dans les cités m’ont encore plus ouvert les yeux sur la vie dans celles-ci et le quotidien de ces gamins.

Avez-vous noué des contacts avec certains des jeunes de votre livre ?

R. C. : Je me suis pris d’empathie pour des minots. Ce ne sont pas des gangsters, certains sont assez attachants. Ils ont une personnalité et sont assez matures car ils travaillent dès 14-15 ans, même si c’est illégal. Après je n’ai pas gardé de contacts avec ceux que j’ai rencontré, je suis resté équilibré.

Avez-vous dû adapter votre écriture ?

R. C. : J’ai écrit différemment que dans le journal. D’habitude on me demande d’écrire avec des phrases très courtes, efficaces, et c’est ce que j’avais appris à l’école. Encore plus depuis l’avènement du web. Ça a été assez compliqué de changer d’écriture au début du livre car ça fait 13 ans que je suis à La Provence. Les éditions JC Lattès ne voulaient pas d’un texte trop journalistique, plutôt de quelque chose qui ressemblait à un roman inspiré de faits réels. J’ai pris beaucoup plus de plaisir à écrire comme ça.

Vous voyez-vous devenir auteur de livres à temps plein ?

R. C. : Ecrire des livres c’est un plus mais c’est compliqué d’en vivre. Ce que j’ai appris au journal m’a beaucoup aidé pour le livre et inversement, c’est très complémentaire.

Quels retours avez-vous eu sur le livre ?

R. C. : J’ai eu de bons retours de confrères mais aussi de gens de cités qui me disent que c’est très réaliste. Le but était d’intéresser le plus de gens possible. J’entends souvent des gens qui disent « ils n’avaient qu’à pas être dans les trafics s’il ne voulait pas se faire tuer ». L’idée c’était d’expliquer pourquoi les guetteurs entraient dans ces réseaux, en montrant dans quel milieu très compliqué ils se sont construits.

Propos recueillis par Victor FIÈVRE