Chercheurs et journalistes ont débattu sur les limites et l'utilité du fact-checking. Photo : Clara Gaillot.
Retrouvez l’essentiel de l’atelier-recherche « Face à la désinformation : utilité publique et limites du fact-checking »

Atelier animé par Nicolas Sourisce et Jérémie Nicey, de l’équipe Pratique et ressources de l’information et des médiations (Prim) de l’Université de Tours. Avec Romain Badouard, maître de conférences à l’Université Cergy-Pontoise et auteur de Le désenchantement de l’Internet : désinformation, rumeur et propagande ; Vincent Couronne, docteur en droit public de l’Université de Versailles, fondateur du site internet Les Surligneurs ; Alexandre Pouchard, responsable adjoint des Décodeurs, au journal Le Monde et Nikos Smyrnaios, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Toulouse, coordinateur du rapport sur l’expérience CrossCheck.

LES ENJEUX 

Dans un contexte de circulation des fausses informations toujours accru, les cellules de fact-checking veulent regagner la confiance du public. Même si les fact-checkeurs font référence aujourd’hui, il existe encore des malentendus et des critiques auxquels ils n’ont pas répondu. Il y a toujours des limites dans l’appropriation des outils de fact-checking. Aujourd’hui, ces dispositifs s’auto-régulent et permettent au public de signaler les contenus. L’atelier a donc permis d’échanger sur les atouts et les limites des cellules journalistiques de vérification.

CE QU’ILS ONT DIT 

Romain Badouard : Le potentiel démocratique d’Internet a évolué, jusqu’à son désenchantement. Le web est considéré comme un outil au service de l’intelligence collective. On assiste aujourd’hui à une nouvelle bataille de l’information contre les fausses nouvelles. C’est une guerre de visibilité ; tout l’enjeu est d’être le plus visible possible pour gagner l’opinion. Apparaître dans les premiers liens référencés est au cœur des enjeux de tous les diffuseurs. Ce type de bataille existe depuis les années 2000, notamment sur des sujets de débats aux États-Unis. Ces batailles se sont déplacées vers les réseaux sociaux. Une grande part des visites vers les sites d’info provient des réseaux sociaux. L’enjeu là aussi est d’avoir le plus de visibilité possible. Des sites de désinformation florissent pour influencer le vote et la pensée des citoyens. Face à eux, les fact-checkeurs ont du mal à se faire entendre. Mais on peut alerter ceux qui utilisent les réseaux sociaux comme navigateur, et qui sont aujourd’hui majoritaires. C’est la nouvelle mission pour les fact-checkeurs.

Vincent Couronne : En tant que juriste, notre matière première est le droit. Dans une société où l’information est digérée, simplifiée, il y a de plus en plus de distance entre la réalité des choses et le monde tel qu’il est vraiment. Il existe un monde magique dans la tête de nombreuses personnes. Il y a une méthode de travail différente entre les juristes et les journalistes. On a, sur Les Surligneurs, écrit des articles les plus simples et courts possibles, compréhensibles de tous. Il y a un langage juridique, mais c’est écrit de façon à ce que tout le monde comprenne. L’utilité de notre outil est telle que nos arguments sont repris par les journalistes qui cherchent plus de vulgarisation. Mais on découvre chaque jour que les fake news ont beaucoup plus d’audience que leurs corrections. Notre travail n’est pas vain, il est seulement plus limité par la viralité des diffusions. On peut toujours rattraper et corriger des erreurs diffusées. Je considère que Françoise Nyssen ne s’attaque pas au problème avec les bonnes méthodes. La loi qu’elle présente ne parle pas de fausses informations mais de fausses nouvelles. Cela crée une confusion. Ce n’est qu’un projet de loi, les incohérences seront sûrement levées au fil des amendements. Le référé pose aussi plusieurs problèmes. En période électorale, des candidats pourraient avoir l’idée d’utiliser ce droit à des fins de communication.

Nikos Smyrnaios : Emmanuel Macron a été au cœur d’une campagne de désinformation. Il y avait une visée politique clairement établie de la part de l’extrême droite, par une galaxie de sites et de pages extrémistes. Mais cela ne veut rien dire, certains publics touchés par le projet Crosscheck se situent politiquement à l’extrême droite. Tous les gens impactés par le projet ont diffusé l’outil auprès de leurs proches. Tous ont aussi la sensation d’être submergés par la quantité d’informations disponibles et d’assister à la propagation rapide de mésinformation et de désinformation notamment. Pour beaucoup de publics, la plupart de la désinformation vient des médias traditionnels. C’est un danger pour les journalistes. D’autant plus qu’il y a réellement un manque d’éducation aux médias. Cette alliance de médias a apporté des réponses aux publics. Ce dernier est alors mieux équipé contre la désinformation, on leur a appris à vérifier les sources. La conjoncture politique a fait prendre en considération le risque de désinformation pour les journalistes comme pour le public. Ce type de travail ne devrait pas faire l’objet de concurrence et devrait même être considéré comme un service public. Par ailleurs, faire une loi contre les fake news sans rétablir la confiance entre les publics et les médias est une solution inutile. Si les questions de concentration des médias, de leur gouvernance, de la précarisation du métier, des logiques d’audience et du modèle de financement ne sont pas mises sur la table, on ne pourra jamais combattre les fausses informations.

Alexandre Pouchard : On fait en sorte que notre travail soit accessible au plus grand public. C’est pour cela que nos articles sont gratuits. Nous avons pour mission de rétablir les faits. Nous percevons aussi notre travail comme une mission de service public. On fait notre travail de vérification au quotidien pour toucher au-delà de notre lectorat habituel. Il faut avoir en tête de rendre accessibles tous les sujets. La finalité est d’aborder un sujet complexe ou de défaire une information fausse. Il y a aussi une partie pédagogique dans nos outils. Car nous pensons qu’il faut développer l’Education à l’information. L’exercice est différent quand on travaille et qu’on retravaille un article pour qu’il soit compréhensible pour un enfant de collège. On a relancé les ateliers dans les classes pour aider, avec notre savoir-faire, les enseignants. Nous avons également lancé un guide pédagogique. Tout cela permet d’élargir notre cible et de participer à la vérification de l’information et la lutte contre la désinformation. La loi de Françoise Nyssen, nous la voyons au mieux inutile, au pire dangereuse. Le seul point qu’on valide, c’est celui de la transparence des plateformes. Mais pourquoi le limiter aux périodes électorales ?

À RETENIR 

Le projet de loi de François Nyssen pour limiter les fausses nouvelles et leur diffusion ne séduit pas toute la profession. Selon les intervenants de cet atelier, ce projet de loi est inutile voire dangereux. Il y a trop de moyens pour les diffuseurs de le contourner. Cependant, à côté de cela, les rédactions mais aussi les chercheurs et juristes continuent de développer des outils de fact-checking. Tous se mettent d’accord sur l’utilité de ce système de vérification. Seulement, sans coordination avec le public, tout ce système, pourtant essentiel pour la profession, restera vain.

Clément Buzalka