Découvrez l’essentiel de la conférence « Francophonie : S’informer dans dix ans en Afrique ».

La radio est le média roi en Afrique. Photo : Martin Esposito

 

Animé par Jean Kouchner, secrétaire général de l’union internationale de la presse francophone (UPF). Avec Haman Mana, directeur de publication du quotidien Le Jour (Cameroun) et Président de la fédération des éditeurs de presse du Cameroun, Cécile Mégie, directrice de RFI, Sana Sbouai, journaliste et cofondratice d’Inkyfada (Maroc).

LES ENJEUX

S’informer dans dix ans en Afrique, un vaste sujet pour une diversité de situations. La question de la situation des médias en Afrique est indissociable de la question des libertés mais aussi de celle de la langue, des moyens de financements et des supports. Quelle sera la place du numérique dans ce continent où la répression est encore dans l’ADN de nombreux régimes ? L’ouverture dépend-t-elle forcement de la situation politique ? Que faut-il corriger dans le fonctionnement des médias ? Au Cameroun, 55 % de la population est analphabète, et la pauvreté reste un obstacle majeur à l’accès au média.

 

CE QU’ILS ONT DIT

Haman Mana : « Théoriquement, la presse est libre au Cameroun. Mais cette presse n’a plus aucune force de pénétration. Sa faiblesse économique est organisée. L’aide d’état à la presse est insignifiante, et beaucoup de journaux la refuse par principe. Il faut que le verrou politique saute pour repartir dans un climat plus sain. La presse est le dernier espace de lucidité critique dans notre pays. »

Madiambal Diagne : « Il y a une forme de manichéisme, il est donc difficile de trouver des amis sans choisir son camp. Le prix des journaux est le plus bas au monde mais malgré tout, un seul exemplaire de journal peut se passer dans tout un village ou être photocopié. […]  Tout est une question de volonté politique. L’état a intérêt a maintenir les médias dans une situation de précarité. Nous cherchons à sortir de cette situation, il faut des actions communes : des revendications de politiques favorables aux médias, de réformes institutionnelles. Mais les africains subissent et ne prennent pas l’initiative. Nous sommes obligés de s’arrimer au train de l’histoire parce que nous ne sommes pas encore entrés dans l’histoire. »

Sana Sboua : « Il faut partir des forces que l’on a sur le continent : un accès au web démocratisé et une jeunesse nombreuse. Le web permet de développer un contenu journalistique différent, de dépasser les pressions politiques et financières. […] Ben Ali a voulu d’une Tunisie moderne mais Internet s’est retourné contre lui et a contribué à la chute de son régime. »

Cécile Mégie : « Service public n’est pas un gros mot, ce n’est pas synonyme de radio d’état. […] Les coupures sont récurrentes. Au-delà des grands acteurs internationaux dont RFI fait partie, la solution doit venir de l’Afrique elle-même. »

 

À RETENIR

Au Cameroun, Paul Biya, 84 ans, est à la tête du pays depuis 1983. Dans ce contexte de main mise sur le pouvoir, s’oppose la presse d’état, plutôt confortable pour les journalistes qui y travaillent et une presse indépendante plus aléatoire, vécue comme étant d’opposition politique. Ces médias privés subissent des pressions économiques et réalisent des tirages limités. Les radios et les télés dépendent de la tolérance administrative. L’auto-censure y est très forte mais il est rare que l’état sanctionne. Il existe un noyau de journalistes, en résistance. Il y a une école de formation de jeunes journalistes à Yaoundé qui essaye de répondre au besoin de professionnaliser le journalisme camerounais. 

Au Sénégal, la situation est disparate. Le situation institutionnelle permet en théorie aux médias de s’exprimer librement mais il y a des méthodes sournoises de représailles contre les médias. L’absence d’infrastructures et le manque d’investissements publics participent au blocage de la situation tout comme la rareté voire l’absence de rotatives. Seulement 15 % de la population détient une carte bleue, c’est un obstacle au développement de la presse numérique.

En Tunisie, il y a eu une explosion des médias grâce au web mais il y a un manque de formateurs qui maitrisent ces outils. La question du journalisme citoyen est primordiale et source d’optimisme. Aujourd’hui, n’importe qui peut faire du journalisme depuis sa chambre. Mais il y a une ombre au tableau : le durcissement de la répression dans le monde arabe. Internet offre des possibilités de coopération par delà les frontières. Dans dix ans, les bloggers pourraient recevoir l’aide d’avocats et de journalistes plus chevronnés.

La radio est encore aujourd’hui le média roi en Afrique. Il y a eu une forte popularité des radios locales et associatives. RFI fait aussi partie de cette histoire. Elle a besoin d’autorisations pour diffuser dans les pays d’Afrique. Cela fait six mois que les autorités congolaises ont coupé le signal de RFI à Kinshasa. Les audiences diminuent au Sénégal où la langue nationale, le wolof, est aujourd’hui préférée par la majorité de la population. Le téléphone portable est le transistor de demain. 

Colin Mourlevat