Journalisme et handicap

« Journalisme et handicap ». Photo : Malvina Raud

Retrouvez l’essentiel de la conférence « Journalisme et handicap »

Animé par Sophie Massieu, journaliste, avec François Aubel, journaliste au Figaro, Elisabeth Segard, journaliste à La Nouvelle République, Pascale Colisson, responsable à l’IPJ Paris Dauphine, Camille Gousset, journaliste, Sophie Courdreuse, déléguée à l’égalité des chances à Radio France et Thomas Sotto, journaliste à France 2 et président des Assises.

 

LES ENJEUX

Formations, entretiens, pratiques quotidiennes, aménagements de postes… Le journalisme et le handicap sont « deux notions que l’on associe assez peu aujourd’hui », comme le souligne Sophie Massieu, animatrice de ce débat. Les personnes en situation de handicap physique n’ont aucune raison d’avoir moins de chance que quiconque d’intégrer une rédaction. La faible représentation des personnes en situation de handicap dans les médias peut être expliquée de différentes manières, toutes abordées au cours de cette conférence où l’humour était tout de même de mise. 

CE QU’ILS ONT DIT

François Aubel : « Je travaille avec une journaliste handicapée. Constance est arrivée et je ne lui ai posé aucune question. Je n’ai jamais dit qu’elle était handicapée, j’ai dit qu’elle était journaliste. Des confrères l’ont sous-employée avec l’excuse qu’il fallait la ménager. Je gère une équipe de jeunes journalistes et c’est marrant parce que personne ne regarde Constance comme une personne handicapée. On la traite normalement. Jamais je n’ai eu un regard oblique, à aucun moment. Elle est journaliste, la partie handicapée, elle la gère avec l’assistante sociale, etc. Elle est super contente car je l’envoie en reportage sans problème. Pour les reportages, je lui dis « c’est toi qui vois, c’est ta vie ».  À un moment je voulais l’envoyer en reportage et elle avait 48 heures d’avion aller-retour à faire. Alors la médecine du travail et l’assistante sociale me sont tombés sur le dos. Ils m’ont demandé pourquoi je faisais ça et j’ai dit que je n’avais aucune raison de refuser ce reportage. Là, c’était les instances susceptibles de l’aider qui nous ont mis des bâtons dans les roues. »

Elisabeth Segard : « Je n’avais pas mis que j’étais handicapée sur mon CV car cela m’avait déjà posé problème pour certains autres postes. C’est mieux de le dire, plus on est simple et mieux c’est. Quand je suis arrivée, on ne m’a pas posé de question, peut-être parce que dans ma tête, je ne suis pas handicapée, je suis journaliste. On ne m’a jamais posé de question. Mon plus gros problème concerne la photo. Des fois ça m’angoisse, car on ne peut pas toujours refaire les photos. On est expert en notre handicap. On connaît nos limites. À partir du moment où tu as du bon sens, du respect pour ton média, collègues et auditeurs, tu ne vas pas faire n’importe quoi et faire un sujet sérieux. »

Pascale Colission : « J’avais besoin de recruter quelqu’un. J’ai dit que j’avais besoin de quelqu’un à ce poste et j’ai demandé de recevoir un jeune homme, en situation de handicap, pour voir si il pouvait tenir le poste. On l’a reçu et il m’a fait découvrir un monde. À l’école, on a des étudiants handicapés tous les ans. On prévient les étudiants et les enseignants, on explique aux enseignants de quelle façon on accompagne cela. Il y a vraiment un accompagnement tout au long de la formation. Il y a le champ de l’organisation et la phase de sensibilisation aux stéréotypes. Pour les reportages, on part du principe que si les étudiants handicapés ont des difficultés, ils nous en parleront. On a vu des propositions de sujets par les valides sur le handicap. »

Camille Gousset : « Ce que je trouve intéressant, c’est ce qu’on ne me demande pas. On me propose beaucoup de postes de desk alors que ce n’est pas parce que je suis en fauteuil que je ne peux pas aller sur le terrain. Je ne vais pas pouvoir faire tous les reportages. C’est à moi de rassurer la personne quant à mon handicap, ma personne, mes limites. Je veux faire comprendre que le handicap n’apporte pas que des limites mais aussi des avantages et des atouts. L’idée est de mettre en avant les compétences développées grâce au handicap. C’est le premier entretien qui compte. Avec les collègues, en soi, je n’ai jamais eu de soucis. Pour moi, il y a beaucoup de radio qui ne sont pas accessibles, alors je n’ai pas postulé. Je n’ai pas non plus l’ambition de demander le tout accessible, je sais que ce ne sera jamais possible mais on vit en communauté. Je veux juste pouvoir aller aux toilettes, entrer dans un bâtiment, manger et travailler tout simplement. Il y aussi des avantages. Avec un fauteuil, on fend la foule. »

Sophie Coudreuse : « Quand c’est écrit sur le CV que quelqu’un est handicapé, si la personne a été pré-sélectionnée pour un poste, les recruteurs demandent lors du premier entretien les aménagements dont la personne a besoin. Les recruteurs chez nous sont censés demander s’il y a des besoins d’aménagements auquel cas on est associé dès ce moment-là. À Radio France, on s’est défendus pour avoir un budget stable notamment, pour assurer les aménagement et accompagnements au transport. Avant, pour candidater, on indiquait qu’il fallait permis obligatoire, alors ça en a mis beaucoup de coté. Puis, on a précisé que les personnes handicapées auraient des transports adaptés. Je trouve que c’est un point essentiel d’échanger, expliquer, montrer aux équipes, ça permet de compenser cette situation. »

Thomas Sotto : « J’ai eu un accident de la vie, de deux-roues, qui m’a abîmé un bras. Un employeur m’a rappelé deux ans après cet épisode, et ma demandé si mon bras, « ça se voyait toujours ». Si j’avais répondu oui à cette question, je pense que je n’aurais pas eu la même carrière aujourd’hui. J’ai rencontré Sonia Devillers, elle m’avait reçu à la rentrée et après son émission elle m’avait parlé de mon handicap et je ne m’étais jamais posé la question d’en parler. Alors je lui ai dit que j’allais y réfléchir. J’ai un canal d’expression que d’autres non pas, et c’était important de le faire. Cela a suscité des réactions et j’ai impression que ça a soulagé beaucoup de gens. J’en parle assez peu car je ne veux pas en faire un business. C’est trop important pour certains pour que j’en parle comme ça, sur des plateaux. La normalité, c’est ça que les gens doivent se mettre dans la tête. »

À RETENIR

Le handicap dans le journalisme est une notion assez peu évoquée. Pourtant, certains professionnels – on l’ignore parfois – sont en situation de handicap. Cela ne leur empêche pas pour autant de bien faire leur métier. Le handicap permet aussi de développer des qualités importantes dans le journalisme. Il n’est donc pas un frein pour aller sur le terrain, même si cela nécessite parfois des adaptations. Dans tous les cas, l’idée défendue par les intervenants est qu’il ne faut pas hésiter à le dire, malgré de possibles discriminations à l’embauche… Mais les gens peuvent très bien exercer leur métier de journaliste, même handicapé.

 

Valentin Jamin