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Retrouvez l’essentiel de la conférence « #LESMEDIAS. Informer en milieu hostile en France et à l’étranger  »

Atelier animé par Catherine Monnet, rédactrice en chef adjointe à Reporters sans frontières, avec Julien Garrel, journaliste à TF1 et LCI, Jean-Christophe Gérard, directeur de la sûreté à France Médias Monde, Luc Pérot, journaliste à France 3 Centre-Val de Loire et Kamal Redouani, grand reporter.

LES ENJEUX

L’attention autour des journalistes a changé dans le monde entier. Auparavant privilégié, les journalistes sont désormais perçus comme des monnaies d’échanges sur les zones de guerre. En France, les manifestions des gilets jaunes sont un tournant. Les journalistes sont régulièrement pris pour cibles et victimes de violences physiques et verbales. Alors comment peut-on améliorer durablement la sécurité des journalistes ?

CE QU’ILS ONT DIT

Julien Garrel : « Après les différentes agressions, nous avons modifié nos pratiques. Lors des matinales de LCI, la chaîne effectuait des duplex pour faire du teasing. Cela contribuait à faire monter la tension, et ce avant même le début des manifestations. Nous avons diminué ces pratiques. Il y a aussi eu des réflexions : comment éviter de déclencher l’étincelle sur le terrain ? Nous sommes de plus en plus nombreux à cacher le sigle des médias. Nous nous sommes aussi posé la question d’abandonner les caméras et d’utiliser le téléphone portable. Mais sans matériel, nous pouvons être assimilé aux manifestants. Nous avons testé les duplex radio à LCI : le JRI filme discrètement et le rédacteur ne fait que commenter l’image, sans apparaître à l’écran. C’est une manière de désincarner le direct, pour éviter que le rédacteur concentre toute la tension. » 

Karim Redouani : « Il y a une quinzaine d’années, j’avais le sentiment d’être protégé quand je portais un micro ou une caméra. Cela a longtemps été le cas. Aujourd’hui, de nombreux groupes nous considèrent comme des marchandises. Petit à petit, nous sommes devenus des cibles, des ennemis, car nous n’avons pas forcément la même vision des acteurs locaux. Il vaut mieux être le plus discret possible. La préparation est très importante avant de partir en zone de guerre. Il faut connaître le terrain sur le bout des doigts, suivre quotidiennement les changements de relations entre les différents groupes armés. C’est un travail quotidien. Cela limite les risques une fois arrivé sur le terrain. Après, nous ne sommes jamais à l’abri d’un mauvais choix, d’un imprévu.»  

Luc Pérot : « Je travaille à France 3 depuis une vingtaine d’années. J’ai déjà eu quelques situations difficiles, mais la couverture des Gilets jaunes a changé la donne. Il n’y avait eu que quelques dérapages en Touraine. La situation est différente avec les Gilets jaunes, ce ne sont pas des manifestations comme les autres. Lorsque nous faisions des interviews, il y avait des attroupements de personnes qui essayaient de nous bousculer, qui nous insultaient. Des lancers d’objets nous étaient destinés.  Nous avons donc demandé à être protéger avec des masques, des casques… Il a fallu attendre un mois pour que notre demande soit entendue. J’ai aussi dû travailler avec un garde du corps. C’est la première fois que cela m’arrivait en 30 ans. Je n’avais plus à me soucier de ma protection, c’était une sorte de soulagements. Les gardes du corps étaient discrets, mais présents. » 

Jean-Christophe Gérard : « La formation est la pierre angulaire pour préparer des reportages en zones dangereuses, à l’étranger ou en France. Elle a été imaginée par des journalistes, au profit des journalistes. Plus de 120 professionnels l’ont suivi. Sur les manifestations des Gilets jaunes, nous ne travaillons pas avec des gardes du corps. Il ne peut pas tout régler face à une foule déchaînée. Un de nos journalistes prend du recul sur la situation, il se met en retrait. À l’étranger, il faut prévenir les risques liés aux spécificités du terrain. Les journalistes apprennent à sécuriser leurs communications, aider un collègue ciblé ou touché par un tir et ne pas être totalement indépendant de son chauffeur ou fixeur. » 

À RETENIR

Qu’ils couvrent une actualité en France ou à l’étranger, les journalistes sont devenus des cibles privilégiées. Kamal Redouani, reporter dans des zones sensibles du Moyen-Orient, détaille ce changement de perception : « Tout a changé après la chute de Saddam Hussein. Avec l’arrivée de djihadistes dans la région, les journalistes ont été la cible de kidnappings. » Pour faire face à ces situations, France Médias Monde a mis en place une formation afin de préparer ces journalistes aux zones sensibles, à l’étranger mais aussi en France. L’objectif : savoir réagir aux risques des différents terrains.

La question de la défiance envers les médias se pose aussi. Car outre l’étranger, certains journalistes localiers sont victimes de violences verbales et physiques lors des manifestation des Gilets jaunes. Face à une haine accrue, les journalistes doivent-ils se cacher ou s’affirmer ? Julien Garrel opte pour la première option : « Avoir un brassard d’une chaîne continue lors d’une manifestation fait de nous une cible ». La question des pratiques journalistiques est aussi remise sur le devant de la scène. Selon les intervenants, les rédactions se rendent compte de leurs erreurs et sont de plus en plus sensibles aux dangers auxquels font face leurs journalistes.

Celina EHRLICH et Camille MONTAGU