Réfléchir sur le traitement médiatique des problèmes de santé ou de science, tel était l'enjeu. Photo : Malvina Raud

Retrouvez l’essentiel de la conférence « Science, santé, complexité : à qui profite le doute ? »

Animé par Pascal Guénée, IPJ Paris-Dauphine avec Stéphane Horel, journaliste indépendante, Giovanni Prete, Université Paris 13, Laboratoire Iris, Yves Sciama, journaliste scientifique indépendant et AJSPI et Emmanuel Henry, Université Paris-Dauphine.

LES ENJEUX

Le monde scientifique est parfois difficile à rendre intelligible pour le grand public. Mais questionne pourtant des sujets primordiaux : pesticides, réchauffement climatique, pollution… L’incertitude est utilisée par ceux qui aiment mettre le doute. Du côté du grand public, tout semble devenir dangereux. De l’autre on se dit : « Il faut bien mourir de quelque chose ». Cette manufacture du doute interroge la pratique journalistique : présenter des avis contradictoires est-il suffisant ? Faut-il que les journalistes aient une formation scientifique pour effectuer un travail rigoureux ?

CE QU’ILS ONT DIT

Stéphane Horel : « Je suis journaliste et je n’ai pas de formation scientifique. J’essaye de comprendre comment les mécanismes d’influence sur la science fonctionnent. J’ai notamment travaillé sur les perturbateurs endocriniens, les stratégies de Monsanto, le glyphosate. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas scientifique, qu’on ne peut pas comprendre. Il faut se fabriquer un bagage intellectuel avec l’histoire des sciences et de la sociologie. Il y a beaucoup de littérature là-dessus. Cette petite valise de connaissances m’a permis de comprendre tout ce qui se passe, notamment sur les stratégies des industriels. Ils instrumentalisent le doute. »

Giovanni Prete : « J’ai étudié l’impact des pesticides sur l’évolution de la réglementation. On s’est intéressé à la politisation de cette question. Nous nous sommes basés sur la presse écrite : depuis quand est traitée cette question ? Comment est-elle représentée dans les articles de presse ? Nous avons fait quatre constats. Le premier est qu’avant 2000, on ne parle pas des impacts des pesticides dans la presse en France, ou très peu. On parle de l’impact sanitaire mais pas sur la santé des travailleurs, plutôt les consommateurs. Le deuxième est qu’à partir des années 2000, la médiatisation est faite par des journalistes atypiques, des gens qui ne sont pas représentatifs de la masse : des journalistes d’investigation, des journalistes reconnus, etc. Le troisième constat est que la médiatisation dans la presse quotidienne régionale se fait surtout en rapport avec l’actualité judiciaire. Enfin le quatrième est que les données scientifiques qu’on a pu lire traitent la controverse sur le mode de la confrontation des points de vue. »

Yves Sciama : « Si j’ai un objectif, c’est que les journalistes, même non scientifiques, s’intéressent à ces sujets. Dans cette perspective, il est important de savoir qu’ils peuvent les traiter. Il y a deux discours : celui des industriels et celui des ONG. Les journalistes s’adressent souvent à des agences comme l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) ou ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) mais elles sont critiquées pour leur composition. Les scientifiques ont presque toujours une position majoritaire. Alors comment traiter cela ? Ne pas hésiter à demander à un scientifique sa position sur un sujet. Ne pas parler qu’à des vieux. Il faut savoir que les ONG sont précieuses, il faut utiliser leur travail mais trouver la bonne distance. Il faut savoir se mettre en réseau. C’est une profession facilement solitaire, on se prive des compétences des autres et c’est le but de mon association de partager. »

Emmanuel Henry : « Je travaille sur les questions de santé au travail depuis un certain nombre d’années. Plus précisément sur comment l’amiante est devenu un problème public de premier plan. Les questions de santé au travail sont des non-problèmes publics, des problèmes que les médias d’information ont du mal à appréhender. Les journalistes, comme un certain nombre de citoyens, sont souvent pris dans des définitions techniques dont il est de plus en plus difficile de se libérer. »

À RETENIR

Difficile de traiter la science et la santé pour les journalistes. Les industriels affaiblissent la connaissance scientifique en rejetant tous les problèmes qui ne sont pas certains. Il y a encore aujourd’hui une sous-médiatisation des sujets scientifiques qui profite aux industriels. Pour traiter correctement un sujet scientifique, le journaliste ne doit pas uniquement donner deux points de vue différents sur une question. Les intervenants ont pourtant rappelé que tous les journalistes peuvent traiter cette thématique qui n’est pas réservée uniquement aux journalistes ayant suivi une formation scientifique.

Lorenza Pensa