Retrouvez l’essentiel de la conférence « Lanceurs d’alerte : Etat des lieux, préconisations, actions ».

Eloise Lebourg (au centre) réalise un film sur la vie des lanceurs d'alerte. Crédit photo : Victorine Gay

Eloise Lebourg (au centre) réalise un film sur la vie des lanceurs d’alerte. Photo : Victorine Gay

Avec Patrick Apel-Muller, directeur de la rédaction de l’Humanité; Rémy Garnier, lanceur d’alerte dans l’Affaire Cahuzac, ancien vérificateur fiscal d’Agen; Stéphanie Gibaud, lanceuse d’alerte dans l’affaire UBS; Eloise Lebourg, journaliste et gérante de Mediacoop; Corinne Lepage, présidente du Rassemblement Citoyen – Cap21 et avocate.

LES ENJEUX

Les déboires ultra-médiatisés d’Edward Snowden ou de Bradley Manning ont mis en lumière le rôle ingrat du lanceur d’alerte, qui n’ont pas de statut.  Pourtant, leur rôle de « chiens de Garde de la démocratie » est salué par l’opinion publique, lorsqu’ils sont appuyés par la presse. Certains puissants font pourtant tout pour les faire taire, jusque devant la justice. Si l’écho des médias n’a pas toujours été à la hauteur, qu’en est-il aujourd’hui?

CE QU’ILS ONT DIT

Patrick Apel-Muller : « Les lanceurs d’alerte sont des révélateurs des failles de notre démocratie. D’autant qu’ils ne sont pas si nombreux que ça. En partie car la loi et l’arbitraire violent de l’entreprise empêche cette démarche citoyenne. La presse manque de moyen pour enquêter et la couverture des affaires ne peut pas être exhaustive. »

Rémy Garnier : « Un lanceur d’alerte passe d’abord par la voie hiérarchique. Dans l’affaire Cahuzac, une partie de la presse m’a d’abord traité de délateur. J’étais accusé et non dénonciateur. Aux yeux de la justice pénale aussi, le lanceur d’alerte est un affabulateur. Ainsi la première étape est de… passer une expertise psychiatrique ou psychologique ! »

Stéphanie Gibaud : « J’ai connu une véritable descente aux enfers dès que j’ai posé des questions. Harcèlement, dégradation, j’ai perdu mon poste dans l’entreprise… Mon histoire est celle d’une personne qui n’a pas voulu détruire des données. J’étais en survie, j’ai témoigné anonymement puis au grand jour. On me disait que je serais protégée avec la médiatisation, mais aujourd’hui je suis inemployable, je fais peur… »

Eloise Lebourg : « Je ne connais pas de lanceur d’alerte heureux malheureusement. Il y a une justice à deux vitesses. Ces héros de la société paient le prix fort dans leur vie personnelle. Les lanceurs d’alerte que j’ai suivis, se retrouvent face à des gens plus puissants, qui ont tort mais qui gagnent tout leur procès. Tous les lanceurs d’alertes sont au RSA car ils ont l’étiquette « emmerdeur professionnel ». C’est un cercle vicieux. Nous même, en tant que journaliste, on doit dénoncer et aider les lanceurs d’alerte malgré les conséquences. Le pire pour un lanceur d’alerte, c’est la solitude. Il n’y a pas de morale dans les histoires des lanceurs d’alerte. »

Corinne Lepage : « Entre une protection qui pourrait exister, la loi qui n’est pas votée et ce qu’il se passe dans la vie de chacun, la différence peut être énorme. Face à un lanceur d’alerte qui n’a plus de revenu, suite à ses révélations, il faudrait une protection collective. A partir du moment où l’on dénonce quelque chose de pénalement répréhensible, la société française fait que l’on est des gêneurs et c’est valable dans beaucoup de domaine, ce qui rend difficile de rapporter un certain nombre de faits pourtant prouvés. »

À RETENIR

Les lanceurs d’alertes sont essentiels à la bonne tenue de la démocratie. Pourtant, ces hommes et femmes mettent en péril leur carrière et leur vie pour dévoiler des affaires sensibles. Les témoignages poignants de Rémy Garnier et Stéphanie Gibaud, qui ont tout perdu pour avoir dénoncé des dysfonctionnements graves, interrogent profondément sur le rôle citoyen du lanceur d’alerte, ce citoyen honnête qui manque de protection. La justice est souvent remise en cause, tout comme les médias qui ne soutiennent pas toujours la démarche des lanceurs d’alertes. Le mariage entre lanceurs d’alerte et médias, qui ont besoin les uns des autres pour informer, doit être solidifié. Mais ici encore, le prix de l’information est le noeud gordien. Le coût de l’investigation est désormais trop élevé pour que tout ce qui le mérite ne soit traité. Alors comment aider ces lanceurs d’alerte? Créer un fond d’aide? La question reste en suspens.

Théo SORROCHE