Delphine Minoui et Bernard Guetta, journalistes témoins de l'histoire. Photo : Thomas Cuny

Retrouvez l’essentiel de la rencontre avec Delphine Minoui, auteure de Les passeurs de livres de Daraya – Une bibliothèque secrète en Syrie (2017) aux Éditions Seuil, et Bernard Guetta, auteur de Dans l’ivresse de l’histoire (2017) aux Éditions Flammarion.

Animée par Frédéric Carbonne, journaliste à France Info.

LES ENJEUX

Les journalistes, en contant les événements auxquels ils assistent, sont aussi bien souvent des témoins de l’Histoire. « Les journalistes sont les meilleurs conteurs, des conteurs de réel », explique Frédéric Carbonne. Dans L’ivresse de l’histoire, Bernard Guetta revient sur les bouleversements de ces cinquante dernières années à l’aide de ses souvenirs personnels et d’analyses géopolitiques. Delphine Minoui, dans Les passeurs de livres de Daraya, retrace l’histoire d’une bibliothèque secrète dans la ville assiégée de Daraya.

CE QU’ILS ONT DIT

Delphine Minoui : « Je tombe sur une page de Humans of Syria et je suis happée par une photo où je vois des jeunes entourés de livres, dans un sous-sol sombre. Je comprends que ça se passe en Syrie, ces jeunes lisent sous les bombes. La légende dit qu’il s’agit d’une bibliothèque secrète en Syrie. Daraya c’est une ville rebelle, pour les punir le régime a décidé de les encercler, de les assiéger et de les affamer. La ville se retrouve bombardée. Au milieu de ce chaos, de ces ruines, un groupe de jeunes activistes a lancé ce pari fou d’aller récupérer des livres sous les décombres. A force d’exhumer ces ouvrages, ils en ont récupéré 15 000 et ont créé cette bibliothèque clandestine. Ces jeunes créent une agora secrète, se nourrissent de ces livres pour tenter de rester humain, découvrir les idées plurielles face à l’idéologie figée du régime de Bachar el-Assad. Tout est parti de cette photo. J’ai douté en permanence de la capacité d’aller jusqu’au bout, c’est comme un puzzle que vous essayez de reconstituer. Qu’est ce qui me prouvait que ces jeunes étaient pacifiques, qu’ils n’étaient pas tentés par le djihadisme ? J’étais tiraillée par la communication, avec d’un côté le régime qui disait qu’il fallait éradiquer Daraya car c’était un endroit plein de djihadistes et de l’autre ces jeunes qui se disaient pacifiques. J’ai dû croiser les sources pour rétablir la vérité. On peut détruire des villes mais on ne peut pas détruire des idées. Et l’esprit de Daraya est toujours là. Le rêve de ces jeunes c’est de se retrouver un jour et de relancer quelque chose ensemble. Ils pensent aux futures générations, à la transmission et à la mémoire, la mémoire contre l’oubli. »

Bernard Guetta : « Ce qui est terrible c’est que le monde s’est avéré totalement impuissant, le constat est irréfutable. Dans un pays comme le nôtre, la France, une démocratie, bien des gens, des hommes politiques et des intellectuels, ont soutenu l’idée qu’il faillait défendre Bachar el-Assad pour lutter contre Daech. La façon dont Delphine décrit dans son livre le message qu’elle a reçu le 13 novembre 2015 de la part de ces jeunes, j’ai véritablement eu les larmes aux yeux. Ce sont des gens qui, au moment des printemps arabes, sont descendus dans la rue pour dire qu’ils voulaient la démocratie, la liberté, l’état de droit. Ces gens descendaient dans la rue avec leurs enfants dans les bras pour montrer que qu’ils étaient pacifiques. Bachar el-Assad était médecin à Londres. Pourquoi ? Parce qu’il avait un frère ainé à qui la succession était garantie. Il n’était pas le successeur désigné par son père. Il ne voulait pas retourner en Syrie. Mais son frère est mort dans un accident de voiture. C’est une dynastie, alors Bachar el-Assad est revenu. Et la famille s’est dit : « Catastrophe, ce jeune qui a grandi en Angleterre, ce n’est pas ce qu’il nous faut ». En 2011, après plusieurs mois de répression, quand il s’est avéré qu’il méritait son nom de Assad, un des ses oncles a dit « Le problème avec Bachar c’est qu’il est trop mou. » »

A RETENIR

Tout deux témoins de leur temps, Bernard Guetta et Delphine Minoui sont revenus sur le conflit syrien et le régime de Bachar el-Assad. Plus de sept ans après le début de la révolte, la nécessité de témoigner des horreurs de la guerre apparaît plus qu’indispensable. Le travail des journalistes apparaît ici dans toute son utilité : raconter les histoires parallèles pour s’éloigner de la pensée unique.

Anastasia Marcellin