(Infographie : Benjamin BAIXERAS)

La majorité des médias nationaux appartiennent à de puissants hommes d’affaires. Cette situation crée de la défiance. Pourtant, sans actionnaire stable, difficile pour les médias d’atteindre un équilibre financier.

« Les journalistes sont aux mains des plus riches », « les médias ne sont pas libres »… Ces affirmations, fréquemment adressées aux journalistes, ne sont pas complètement fausses si l’on se fie aux chiffres : en France, 13 actionnaires se partagent presque à eux seuls l’intégralité des médias nationaux. Bernard Arnault, première fortune de France, possède Le ParisienAujourd’hui en France et le groupe Les Échos ; la famille Mohn contrôle le groupe RTL, M6 et Prisma Media ; Daniel Kretinsky est détenteur de 49 % des parts de la société Le Nouveau Monde, actionnaire du journal Le Monde ; la famille Dassault possède le groupe Le Figaro et la famille Pinault l’hebdomadaire Le Point.

Censure

Les actionnaires ne sont pas supposés intervenir dans les choix éditoriaux. Depuis 2016, la loi Bloche vise, en théorie, à garantir la liberté et l’indépendance des journalistes. Néanmoins, dans les faits, plusieurs cas de censure ont remis ce texte en cause. Un reportage de « Spécial Investigation » qui dénonçait des pratiques d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent du Crédit Mutuel, partenaire financier du groupe Bolloré, avait été censuré par le PDG du groupe en 2015. Les journalistes de Canal+ l’ont attaqué en justice pour « entrave à la liberté d’expression », « abus de biens sociaux » et « abus de pouvoir ». Afin d’éviter ce genre de dérives, de nombreux groupes ont mis en place des chartes d’indépendance.

Le prix de la liberté 

Certains entrepreneurs lancent de nouveaux médias en misant sur des modèles de financement différents : par les lecteurs ou par les salariés-actionnaires par exemple.

Mais sans actionnaire solide, l’équilibre économique est beaucoup plus fragile. Différents médias en ont fait les frais, comme Ebdo. Après une campagne de financement participatif et quatre mois d’activité, le journal en cessation de paiement a mis fin à sa publication en mars 2018. Le média en ligne Explicite était basé sur un financement par ses abonnés et avait pour volonté de « convaincre qu’une information, même numérique, mérite d’être achetée ». Finalement, la levée de fonds lancée pour garantir leur pérennité n’a pas abouti.

Malgré ces échecs, des médias résistent en prônant leur indépendance financière. Médiapart, qui comptait 140 000 abonnés début 2018, a réussi son pari du 100 % payant, qui paraissait fou à l’époque de sa création, en 2008. À coups de scoops et de révélations, le journal en ligne a réussi à atteindre l’équilibre et fait même des bénéfices.

Selon Tanguy Demange, journaliste spécialiste des médias, c’est « la « solution idéale ». Les salariés sont les actionnaires du journal et vivent sans publicité, mais ce sont des exceptions. » Les Jours, créé par des journalistes qui ont quitté Libération après le rachat par l’homme d’affaires Patrick Drahi, fonctionne sur un modèle financé par ses abonnés, ses journalistes et quelques actionnaires privés. Pour Isabelle Roberts, l’une de ses cofondatrices, « il est indispensable de diversifier les sources du capital ». C’est bien souvent le prix de la liberté.

Benjamin BAIXERAS et Alice BLAIN