On parle souvent des pays où la liberté de la presse recule, mais certains s’améliorent. C’est le cas du Burkina Faso, dont le score au classement RSF est meilleur chaque année.

L’image que l’on se fait de la liberté de la presse en Afrique n’est pas glorieuse. Et ce n’est pas sans raison : lorsque l’on regarde la carte établie selon le classement RSF, il y a beaucoup de rouge et de noir. Ce qui signifie un score très haut, donc une liberté de la presse très mauvaise. Mais certains Etats font figure d’exception. Le Burkina Faso connaît une progression notable en terme de liberté de la presse, et en 2016, avec sa 42e place, il est plus haut au classement que la France (45e). C’est le cas aussi pour la Namibie (17e), le Ghana (26e), du Cap-Vert (32e), de l’Afrique du Sud (39e), et du Botswana (43e). Le Burkina Faso est le premier pays d’Afrique francophone au classement. Depuis deux ans, son score baisse, pourtant ni la situation politique ni les conditions de travail des journalistes ne semblaient a priori favorables à un bon développement de la liberté.

Le paysage politique burkinabé a été chamboulé à la fin de l’année 2014. Le président Blaise Campaoré, à la tête de l’Etat depuis 1987, a été évincé du pouvoir suite à des soulèvements populaires. Un organe de transition est mis en place en 2015, secoué par un Coup d’Etat en septembre, avant un retour à la normale et l’élection d’un nouveau président en décembre. Dans des situations aussi houleuses, il n’est pas rare que la liberté de la presse soit en berne. En l’occurrence c’est l’inverse : dans le classement RSF 2016 pour l’année 2015, le Burkina Faso a gagné 4 places et perdu 1,13 points par rapport à l’année précédente.

Pourtant les médias ont été particulièrement secoués pendant le coup d’Etat de septembre. Des radios ont été empêchées d’émettre, des journalistes menacés de mort ou brutalisés par les putschistes, des rédactions saccagées. En réaction, des radios ont décidé de faire grève. Difficile d’exercer son métier de journaliste dans de telles conditions. Et malgré tout, aucune atteinte notable n’a été portée à la liberté de la presse. La liberté d’expression, qui a toujours été relativement respectée, s’est maintenue. RSF note que le Burkina Faso est l’un des Etats « les plus dynamiques d’Afrique en matière de pluralisme, qu’il s’agisse de la presse écrite ou audiovisuelle ». L’usage des réseaux sociaux est aussi de plus en plus fréquent.

Le gouvernement de transition a entamé une relecture du code de l’information. Parmi les mesures mises en place, on trouve la dépénalisation des délits de presse. Depuis le 4 septembre 2015, un journaliste condamné pour diffamation ne risque plus la prison, mais seulement une amende. Jusqu’ici, tout va bien. Mais en cas de récidive, l’amende devient très lourde, si lourde que les médias se sont plaints de cette mesure. Payer une telle amende pourrait tout simplement entraîner la fin de certains titres, qui n’ont pas autant de moyens. Cette législation ne peut donc être considérée que comme une avancée partielle. Néanmoins elle donne un peu plus de liberté aux journalistes qu’auparavant.

L’Etat a aussi investi davantage de moyens en 2016 en faveur du développement des médias, via le Fond d’appui à la presse privée (FAPP). Il a déboursé 700 millions de Francs CFA (environ un million d’euros) pour soutenir la presse privée. L’accès aux médias se développe également : la TNT a été installée en 2016 pour couvrir 98% du territoire.

Toutes ces améliorations contribuent à améliorer les conditions de travail des journalistes, et le rapport des burkinabés aux médias. Mais tout n’est pas rose pour autant. Les médias ne disposent pas toujours de moyens suffisants, et le matériel peut être difficile à obtenir. Il laisse aussi parfois à désirer. Les journalistes continuent d’être victimes de violences. Et la liberté de la presse est loin d’être totalement assurée. Les médias publics ont été en grève à trois reprises en septembre et octobre 2016. Les employés considèrent le salaire insuffisant, et surtout réclament une plus grande indépendance des médias. Ils dénoncent les instrusions régulières du Ministre de la Communication dans les médias, qui leur passe des coups de fil pour demander le retrait de certaines émissions, ou au contraire tente de les utiliser pour relayer ses informations. Il y a donc encore, pour les journalistes burkinabés, des choses à faire bouger.

Le Burkina Faso reste un modèle qui montre que, même dans des situations complexes, même avec des moyens limités, la liberté de la presse peut être préservée ou améliorée. Une leçon qu’il pourrait être important de retenir pour l’avenir. Le cas du Burkina Faso tord le cou à une idée répandue qui veut que la liberté de la presse soit liée à la démocratie. L’Etat occupe la 102e place sur 167 en terme d’indice de démocratie. Soit beaucoup plus bas que la France. Pourtant la presse du Burkina est plus libre. Rien ne dit que son classement RSF augmentera encore cette année, mais l’Etat a continué à œuvrer en faveur des médias. La situation reste compliquée dans de nombreux pays d’Afrique. Sur le continent on trouve même le plus mauvais élève au monde pour la liberté de la presse, l’Erythrée. Mais il y a aussi des Etats qui progressent, signe que la restriction de la liberté de la presse n’est pas une fatalité.

Cyrielle Jardin