Photojournaliste, un métier en voie de disparition

Les intervenants de cette conférence étaient tous photojournalistes, et ont exposé leur vision nuancée métier. Photo : Clara Gaillot

« Comment vivre du photojournalisme ? » C’est la problématique que soulevait ce matin cinq photo-reporters. Venus des deux rives de la Méditerranée, ils dressent le portrait d’une profession reléguée au second plan.

Les enjeux

La photographie est un art, oui. Mais surtout une vocation. Et ça, Amira Al Sharif, Zein Al Rifai, Ammar Abd Rabo, Amine Landoulsi et Jean-François Leroy ne diront certainement pas le contraire. Depuis environ une décennie, ces photoreporters pestent contre les smartphones qui envahissent la profession et la « gangrènent » peu à peu. Malgré des conditions souvent précaires, ils se battent pour donner des images aux réalités du monde.

Ce qu’ils ont dit

Amira Al Sharif, photojournaliste yéménite :

« Au Yémen, en tant que photojournaliste, je dois me battre pour tout : avoir des autorisations, recharger mes batteries, sauvegarder mes photos. Mes travaux sont de véritables challenges. »

Zein Al Rifai, photojournaliste syrien :

« Les journalistes n’ont aucun droit en Syrie. Comme dans beaucoup de pays, il y a énormément de difficultés, mais là-bas, c’est une sorte de ‘journalisme d’obligation’. L’absence des reporters étrangers nous a peu à peu encouragés à prendre nos appareils photo pour montrer l’horreur des conflits. Alors c’est sûr, ce n’est pas une profession lucrative, mais nous le faisons pour la cause. »

Amine Landoulsi, photo-journaliste tunisien :

« La question à laquelle nous devons répondre n’est pas ‘comment vivre du photojournalisme ?’, mais plutôt ‘comment survivre ?’. Jusqu’en 2017, je travaillais pour des médias étrangers, puis j’ai été licencié. Avec trois enfants à charge, j’étais dos au mur. Mais à ce moment-là, la Tunisie n’intéressait plus personne. A croire qu’il faut que tout aille mal pour que l’on ait du travail. »

« Je ne comprends pas, ma fille poste sur Instagram de superbes photos et elle ne réclame pas 500 euros »

Ammar Abd Rabo, photojournaliste franco-syrien :

« Je me dis souvent que la photographie va devenir un luxe, qu’elle ne sera accessible qu’aux gens riches. Mais la photographie n’est pas un hobby, c’est un métier. Avant, on partait en reportage, on nous donnait 3 000 euros, en rentrant, on arrivait à vendre nos photos pour 5 000. Aujourd’hui, les reportages coûtent toujours 3 000 euros, mais plus personne ne veut les financer, et on peine à vendre nos travaux pour 2 000 euros. »

« Le problème est bien interne aux rédactions. Maintenant, quand on va voir nos rédacteurs en chef pour proposer un reportage et que le coût est (normalement) élevé, on nous répond : ‘Je ne comprends pas, ma fille poste sur Instagram de superbes photos et elle ne réclame pas 500 euros.' »

Jean-François Leroy, photojournaliste français, fondateur de « Visas pour l’image » :

« Aujourd’hui, les journaux disent qu’ils n’ont plus les moyens quand il s’agit d’envoyer des photographes couvrir une zone de conflit. Par-contre, quand une princesse britannique tombe enceinte, là il y a de l’argent. »

Ce qu’il faut retenir

A l’ère du numérique, le photojournalisme est englouti. Les médias n’investissent plus autant qu’avant dans les talents d’un photographe professionnel. Le seul type de mission qui semble rémunérer correctement ces reporters reste la couverture de conflits. Un constat qui désole les cinq photojournalistes présents ce samedi matin. Ils conseillent aux jeunes qui souhaitent se lancer de persévérer avec « un oeil nouveau et singulier sur l’actualité ».

Clara Gaillot