[INTERVIEW] Martin Boudot, l’avenir en questions

Quand le journaliste environnement Martin Boudot rencontre une étudiante en journalisme, militantisme, sciences et légitimité sont au cœur de la discussion.

Romane Lhériau est étudiante en journalisme à l’École publique de journalisme de Tours (EPJT). En mars 2021, elle a conversé en visioconférence avec Martin Boudot, journaliste environnement, pour parler de son métier. Ils ont exposé leurs craintes, leurs expériences et leur vision du journalisme. Quarante-cinq minutes d’une rencontre franche et souriante.

Romane Lhériau. Bonjour Martin. Je suis contente de pouvoir échanger avec toi car je trouve ton travail très inspirant. La notion de journalisme environnement est assez nébuleuse et sujette à des confusions. Je suis curieuse de connaître ton point de vue. Tout d’abord, je me demandais : comment est-ce que tu as développé cette conscience écologique ?

Martin Boudot. Je crois que c’est né quand j’avais 7 ans avec le dessin animé Capitaine planète [rires]. Je me souviens aussi des images du Paris-Dakar avec ces voitures et ces gros nuages noirs de gaz d’échappement, bien polluants, qui m’ont particulièrement marqué. Cette conscience s’est ensuite concrétisée avec mon engagement chez Greenpeace et avec une chronique que j’animais sur une radio bénévole.

R. L. Quand on visionne tes documentaires, on retrouve de nombreux termes scientifiques… Comment as-tu réussi à avoir suffisamment de connaissances pour parler d’environnement ?

M. B. J’ai eu la chance de rencontrer des scientifiques très bons vulgarisateurs qui m’ont donné des conseils pour comprendre le jargon. Le meilleur moyen pour apprendre est de s’entraîner à comprendre des publications scientifiques. Ce sont des choses que j’ai aussi beaucoup apprises sur le terrain.

R. L. Je n’ai pas de formation scientifique particulière et il me semble que toi non plus, à part un bac S… Je me demande souvent si je suis assez légitime pour parler d’environnement. Penses-tu que n’importe quel journaliste a les capacités et la légitimité pour traiter des questions environnementales ?

M. B. C’est sur le terrain que tout se passe. Le journalisme environnemental recoupe des sujets de société, d’économie, de politique. La clé du journalisme environnemental, c’est la rigueur. D’ail- leurs, selon moi, la spécialisation à tout prix n’est pas le meilleur choix. Au Monde, par exemple, les journalistes changent de pôle au bout d’un moment car ils deviennent trop proches de leur sujet. Cela peut créer des connivences avec les sources et se révéler contre- productif. C’est ce qui se passe avec le journalisme politique. Je suis pour que chacun ait une préférence. Mais il ne faut pas se couper du reste de l’actualité car c’est tout aussi important.

R. L. En revanche, comment fais-tu la distinction entre ton métier et celui de journaliste scientifique ?

M. B. Je ne suis pas journaliste scientifique mais je revendique un journalisme d’investigation qui s’intéresse à l’environnement, en partenariat avec des scientifiques. J’essaye de garder ce rôle qui est assez unique. Je vais sur le terrain faire des prélèvements qui sont ensuite donnés aux scientifiques puis analysés par eux. Je cherche à comprendre l’interprétation des résultats. Finalement, je suis le médiateur entre les militants et les scientifiques.

R. L. Je souhaite devenir journaliste de- puis longtemps mais, parallèlement, je milite au sein de plusieurs associations environnementales… Peux-tu m’expliquer ce fossé qui sépare le journalisme dit militant et le journalisme engagé ?

M. B. Je suis engagé à faire des travaux qui ont un certain intérêt public. En revanche, ce sera aux citoyens de s’em- parer des résultats. Je ne vais pas organiser de manifestations par exemple. C’est aussi par cette rigueur journalistique qui oblige à aller voir des deux côtés que l’on s’éloigne du militantisme. La difficulté, c’est que le journalisme environnemental est très clivant et bien trop pétri d’opinions.

R. L. Comment arrives-tu à concilier ton engagement sur les questions environnementales et ta conscience écologiste avec des pratiques journalistiques qui ne le sont pas forcément ? Personnellement, je ne suis pas à l’aise avec l’idée de me déplacer en avion.

M. B. Pour les derniers épisodes de Vert de rage, [diffusés à la rentrée sur France 5], nous avons limité notre terrain à l’Europe. Nous nous déplacions donc plutôt en train. Mais la question continue de me préoccuper. Par exemple, je me demande toujours si un aller-retour en avion au Niger pour révéler les dangers de l’exploitation d’uranium vaut le coup. Est-ce que la balance penche d’un côté plus que d’un autre ? On estime que notre contribution à l’environnement, c’est aussi de documenter des pollutions, quitte à parfois devoir augmenter notre impact carbone.

 

Reccueilli par Romane LHÉRIAU et Nejma BENTRAD

« Nous avons lancé Africa Check, avant que l’on parle de fake news »

Africa Check, site de fact checking africain souhaite se développer via la coopération avec d’autres médias. Capture d’écran.

Africa Check, premier site de fact-checking par son envergure sur le continent de demain, a été lancé en 2012. Son fondateur et directeur exécutif britannique, Peter Cunliffe-Jones, revient sur les deux missions principales de ce média : la coopération face aux fake news et la formation des journalistes de demain.

C’est LE premier site de fact-checking en Afrique, qui n’a pas réellement d’équivalent dans le monde. Lancé en 2012, ce pure-player a pour ambition de lutter contre les fake news sur tout le continent grâce à ses journalistes répartis dans plusieurs pays. « Nous travaillons en partenariat avec des dizaines de médias dans les quatre pays où nous sommes présents », résume ainsi son fondateur, Peter Cunliffe-Jones. Un projet qui ne peut vivre que par la coopération et la formation des journalistes, comme l’explique le journaliste britannique, passé par l’AFP. 

Comment est né la projet Africa Check ?

J’ai travaillé pour l’AFP pendant 25 ans. En 2011, j’ai intégré la fondation AFP. J’ai discuté avec un professeur en journalisme de l’université de Johannesburg, en Afrique du Sud, à propos du mouvement du fact-checking, initié aux Etats-Unis. Nous avons constaté qu’il n’y avait pas de site de fact-checking sur le continent africain. Nous avons donc mis en place le projet d’en créer un avec une équipe basée à Johannesbourg. Le site a été lancé le 31 octobre 2012 avec l’ambition de le prolonger dans d’autres pays du continent. Aujourd’hui il couvre également le Nigéria, le Sénégal et le Kenya. L’équipe est composée d’une trentaine de personnes dont quinze journalistes répartis dans ces quatre bureaux.

En quoi le fact-checking est-il essentiel sur le continent africain ?

Il y a besoin d’en faire un peu partout dans le monde. C’est pour cela que l’on compte plus de 150 sites de fact-checking sur la planète. Nous avons lancé Africa Check bien avant que l’on parle de fake news. Mais c’est évident pour moi que la désinformation a causé beaucoup de problèmes depuis des siècles. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé le site. Par exemple, quand je travaillais pour l’AFP et que j’étais basé au Nigéria, il y a eu une campagne de l’OMS contre la poliomyélite. Des rumeurs se sont propagées et disaient que cette campagne de vaccination visait à réduire la population dans le monde musulman. À cause de cela, cette campagne a été un échec total. Au lieu d’être éradiquée, la poliomyélite a explosé. Le fact-checking a une importance réelle sur les sociétés, au-delà de la politique. L’impact des fake news est différent selon les pays, mais partout dans le monde cela cause des problèmes.

Un prix africain pour le fact-checking

Pour mettre en avant le travail des journalistes, Africa Check a lancé en 2014 le prix de fact-checking en Afrique. « Des journalistes provenant d’une vingtaine de pays ont candidaté à nos différents prix », explique ainsi Peter Cunliffe-Jones. Une bonne manière pour faire émerger des projets et des têtes. « Cette année, l’un des lauréats est un jeune journaliste sénégalais, qui va travailler avec nous dans notre bureau de Dakar ». Le pure-player leur propose aussi des formations sur le fact-checking en vue, donc, d’intégrer ensuite les rédactions. Pour toujours mieux lutter contre les fake news.

La coopération est au cœur du projet Africa Check. Pourquoi ce choix ?

Si on travaille seuls, l’impact est moindre. C’était donc très important pour nous dès le début de collaborer avec des journalistes de différents médias et de différents pays. Nous travaillons par exemple avec un nouveau site de fact-checking, Zimfact, qui s’est lancé au Zimbabwe en mars ; ou encore Congo Check qui a démarré cette année. Il y a beaucoup de sites qui se créent, au Botswana ou en Côte d’Ivoire notamment. Nous travaillons avec eux pour les aider à s’établir. Le rôle d’Africa Check est de soutenir toutes les initiatives en Afrique.

 

Peter Cunliffe-Jones, fondateur d’Africa Check, est aujourd’hui le directeur exécutif. Photo : site africacheck.org

 

Est-ce que cela passe aussi par le financement de projets de fact-checking ?

Non, nous n’avons pas les moyens de le faire. Nous proposons notre aide à travers les formations, que ce soit sur les principes du fact-checking ou sur l’aspect technique. Mais nous n’avons pas de financements, malheureusement.

Comment se déroulent ces formations ?

Des membres de ces nouveaux sites viennent travailler à nos côtés pendant deux semaines. Les anglophones viennent dans le bureau de Johannesbourg et les francophones dans le bureau de Dakar. Tous les mois nous organisons une réunion virtuelle avec les partenaires de notre projet. En novembre 2017, nous avons organisé une réunion de deux jours pour parler des problèmes auxquels ils sont confrontés. Nous espérons que cela les aidera à s’établir.

« Nous espérons travailler avec le plus de journalistes possible »

Avez-vous des échanges avec des sites de fact-checking américains ou européens ?

J’appartiens au conseil d’administration de l’International Fact-Checking Network, ce qui nous permet d’avoir des échanges avec d’autres membres internationaux. Actuellement, j’échange avec le site de fact-checking anglais Full fact. Nous avons très souvent des échanges avec Chequeado, un site de fact-checking argentin. Il y a deux mois, nous avons organisé un échange entre nos équipes pour mettre en place un projet d’éducation aux médias. L’année prochaine, nous accueillerons au Cap [toujours en Afrique du Sud, ndlr] la conférence Global Fact, qui se déroule tous les ans depuis quatre ans. Africa Check va l’organiser pour la première édition sur le continent africain.

À Johannesbourg, comme au Sénégal, vous êtes installés dans le centre de formation de journalistes de l’université. Pourquoi est-ce important pour vous d’être en lien avec les écoles de journalisme ?

Les principes et techniques du fact-checking représentent une partie très importante de l’avenir du journalisme. Être dans les écoles de journalisme nous permet d’étendre la connaissance des journalistes de demain dans le domaine.

Comment cela se concrétise ? Avez-vous des perspectives d’évolution ?

Nous proposons ces formations gratuitement parce que nous espérons travailler avec le plus de journalistes possible pour avoir un impact important. Nous essayons aussi de créer pour l’année prochaine un cursus en journalisme que nous proposerons gratuitement aux écoles de journalisme du continent. Les écoles pourront s’approprier ce cursus pour en faire un cours à leurs élèves.

 

Propos recueillis par Clément Argoud

La collaboration avec l’étranger : quels bénéfices pour la formation des journalistes ?

Hamida El Bour et Nicolas Sourisce, directeurs de l’IPSI et de l’EPJT, expliquent pourquoi les partenariats avec l’étranger sont utiles pour former les journalistes.

« Indépendance », « respect des sources », « humilité », « honnêteté »… Voilà selon Hamida El Bour et Nicolas Sourisce, directeurs de l’IPSI et de l’EPJT, deux valeurs fondamentales que les journalistes doivent avoir et qu’ils transmettent à leurs étudiants.

Selon les responsables des écoles de journalisme de Tunis et Tours, qui travaillent ensemble pour la première fois dans le cadre de ces Assises, la collaboration internationale est capitale. « Ce sont des initiatives qui permettent d’avoir ce regard croisé sur la pratique journalistique », explique ainsi Hamida El Bour. « La base du journalisme, c’est de s’ouvrir aux autres. Cela permet un échange entre les étudiants sur les différentes pratiques, et entre les enseignants ici », ajoute Nicolas Sourisce.

Cette première collaboration franco-tunisienne pourrait d’ailleurs ne pas être la dernière, les deux écoles travaillant sur un partenariat pour l’avenir.

Tiffany Fillon

Pour la formation des journalistes, il y a deux écoles (au moins)

Les atouts et les profils varient d'une formation à une autre. Photo : Malvina Raud.

Les atouts et les profils varient d’une formation à une autre. Photo : Malvina Raud.

Puisque le journaliste est régulièrement remis en cause, la question de la formation devient primordiale. De multiples options existent : les écoles de journalisme, reconnues ou non, ou des parcours divers. Des journalistes et rédacteurs en chefs nous donnent leur avis. (suite…)

[LE RÉSUMÉ] « Les Mooc, illusion ou vraie formation ? »

« Les Mooc, illusion ou vraie formation? ». Photo : Malvina Raud

Retrouvez l’essentiel de la conférence « Les Mooc, illusion ou vraie formation? »

Animé par Loïc Hervouet (journaliste et formateur ONG Africamedias) avec Benoit Califano (directeur de l’ESJ Pro Montpellier) et David Hivet (directeur Méditérranée – Asie – CFI, agence française de développement médias). 

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