[INTERVIEW] Fritz, « l’actu tourangelle en mode kids » : « Il existait des titres pour enfant au niveau national mais pas au niveau local »

Toutes les deux semaines depuis un peu moins d’un an, un nouveau journal est apparu dans les kiosques tourangeaux : Fritz. Destiné au 8-12 ans, ce journal a fait le pari de parler de l’actualité locale aux enfants. Christelle Hélène et Matthieu Pays, respectivement directrice de la publication et directeur de la rédaction de Fritz, raconte la naissance de ce nouveau média.
Il y a bientôt un an vous vous lanciez dans l’aventure Fritz. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce média ?

Christelle Hélène : Notre volonté de créer Fritz est partie d’un constat : il existe des titres de presse enfant au niveau national mais il n’en existait pas au niveau local. On a tous travaillé pendant longtemps dans un journal local et on s’est dit : « Pourquoi pas ? »  Avec Fritz, on explique aux jeunes de 8 à 12 ans ce qu’il se passe autour d’eux au niveau local ce qui permet d’aborder de nombreux sujets et on en profite pour faire de l’éducation aux médias. Comme dirait Matthieu Pays, il faut apprendre à s’informer comme il faut apprendre à nager.

Au-delà de votre prisme local, est-ce que certaines thématiques sont mises en avant dans votre journal ?

Matthieu Pays : On traite de l’actualité donc on dépend principalement de celle-ci. Mais on travaille beaucoup sur les questions d’écologie et de citoyenneté, qui font partie des rubriques de notre journal. On essaie de rester positifs et de ne pas alimenter les polémiques. Au centre de chaque numéro, il y a un dossier sur un sujet précis où on s’applique particulièrement à expliquer les mots complexes. Nos lecteurs n’ont que 8 ou 12 ans, mais ce n’est pas pour ça qu’il ne faut pas les prendre pour de vrais lecteurs. On conserve toujours notre ton journalistique.

La maquette de votre journal est elle aussi pensée pour faciliter le compréhension des sujets. Comment l’avez vous imaginée ? 

Christelle Hélène : Le journal est construit pour que ce soit rigolo à lire et regarder jusque dans le format. Le journal se compose d’une unique feuille pliée qui est divisée de manière ludique. De cette manière on peut picorer des informations à droite à gauche, sans lire tous les articles en entier.

Matthieu Pays : C’est aussi un format qu’on a pensé dans une démarche économique. Un journal sur une unique feuille ne coûte pas cher à imprimer. Notre seule fantaisie, c’est l’encre fluo.

Justement, sur quel modèle économique repose votre média ? 

Christelle Hélène : Le média a à peine un an donc on ne peut pas dire si le modèle fonctionne ou pas, mais on arrive à maintenir le nombre d’abonnement. Le média repose aussi sur l’agence de communication Projetctil. Notre choix en lançant Fritz, c’est le choix d’être indépendant, de ne pas avoir de publicité. Pour le moment, on tire chaque numéro à 500 exemplaires.

Vous vous rendez dans les écoles de la région pour présenter votre journal. En quoi consiste vos actions d’éducation aux médias auprès de ces publics ? 

Christelle Hélène : Quand on se rend dans les écoles, c’est avant tout pour faire connaître notre média et aider les enseignants et les élèves à l’avoir en main. Les familiariser avec sa forme originale. Mais dès la semaine prochaine, on va se rendre dans une classe pour faire un numéro hors série de Fritz entièrement écrit par les élèves. On va faire des ateliers avec eux pendant plusieurs semaines, pour qu’ils choisissent le sujet du dossier puis rédigent les articles. Ce numéro devrait paraitre en décembre et sera distribué gratuitement dans toutes les écoles de Tours, en partenariat avec la ville.

Propos recueillis par Laure d’Almeida

Julie Lardon : « Un public très jeune n’est pas censé avoir des idées préconçues. »

À 29 ans, Julie Lardon, diplômée du Centre universitaire d’enseignement du journalisme (CUEJ) à Strasbourg, est depuis trois ans l’heureuse maman d’Albert, journal bi-mensuel adressé aux 8 -13 ans. Présente aux Assises du journalisme l’an passé dans le cadre d’une conférence autour de la presse jeunesse, elle revient aujourd’hui sur les différences qu’il existe dans ce média spécialisé.

Albert, un journal de caractère. (Photo : Julie Lardon)

Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer Albert ?

Julie Lardon. Albert est né d’une rencontre avec Valentin Mathé, directeur de la maison d’édition La poule qui pond. On souhaitait faire quelque chose ensemble, même si lui est dans l’illustration et que je suis journaliste. Au début ce n’était pas un projet professionnel, nous voulions voir le travail que cela nous demandait, le temps que ça nous prenait… On a finalement mis neuf mois avant de sortir notre premier numéro qui a été publié le 15 septembre 2016. Le but était vraiment de rester dans le journalisme tout en mêlant l’univers de l’album jeunesse, avec de l’illustration, pour rentrer dans l’actualité par ce biais ci. C’est ainsi que nous avons imaginé ce concept d’une une totalement dessinée qui reprend tous les articles du journal. 

En quoi Albert est-il différent des autres médias jeunesse ?

J. L.  Il l’est tout d’abord par sa forme, car sa périodicité est assez rare. Nous sommes bi-mensuel alors que les autres médias sont surtout des hebdomadaires ou des quotidiens. Notre format est aussi différent : nous avons quatre grandes pages au format A3, arrangées de façon que le journal soit pliable et facile à lire pour des enfants qui ont des petites mains. Mais le but était quand même que l’illustration prenne une grande place : nous voulions qu’elle puisse se transformer en poster, ce que nous sommes seuls à faire. 

« Le public est confronté depuis le plus jeune âge à cette défiance envers les médias »

Les sujets de la presse jeunesse sont-ils tous les mêmes ?

J. L. Il y a des différences, comme pour tout média, jeunesse ou pas. Nous avons une ligne éditoriale et nous devons nous y tenir. La nôtre est que les articles doivent parler d’actualité chaude : on va traiter de la politique, de l’économie, des relations internationales, sous une forme adaptée aux enfants. Le choix des sujets se fait avec un comité d’enseignants et de professionnels, en fonction de ce qui est, selon nous, bon pour les enfants de savoir et de comprendre pour appréhender le monde. On souhaite vraiment rester dans le décryptage de base de l’actualité pour des enfants âgés de 8 à 13 ans.

Qu’est-ce que c’est qu’être journaliste pour la presse jeunesse ? 

J. L. C’est être journaliste tout simplement. Chez Albert, le seul regret que l’on peut avoir est que je sois toute seule à la rédaction. Je n’ai donc pas le temps de faire du terrain. Mais espérons qu’un jour, nous arriverons à étoffer l’équipe et à enrichir notre média avec des interviews et des reportages. Toutefois, la synthèse d’actualités que nous faisons reste journalistique : il faut compiler les données, croiser les sources, vérifier les informations et les restituer. C’est le volet le plus difficile, propre à la presse jeunesse. Il faut toujours partir des bases et non pas du principe que les enfants savent de quoi on parle. 

Les critiques faites envers les médias traditionnels vous touchent-elles bien que votre public soit différent ?

J. L. Cela nous touche forcément car de toute façon le public est confronté depuis le plus jeune âge à cette défiance envers les médias. Nous faisons beaucoup d’interventions auprès des enfants, et quelle que soit leur origine sociale, on trouve toujours quelqu’un pour nous dire que les médias mentent. Cela nous touche d’autant plus que l’on a affaire à un public très jeune qui n’est pas censé avoir des idées préconçues. Ils devraient au contraire être en train de se forger un esprit critique. C’est pour cela que nous faisons beaucoup d’éducation aux médias. C’est vraiment nécessaire. Nous journalistes, avons besoin d’aller expliquer notre métier, montrer comment nous travaillons, quels sujets nous traitons, et qui financent les médias. Mais cette éducation passe aussi par l’apprentissage de la reconnaissance des « fake news ». Il faut leur apprendre à éveiller cette curiosité naturelle, pour qu’ils aillent gratter. 

Propos recueillis par Élise GILLES

[LE RÉSUMÉ] « Focus sur la presse jeunesse »

Focus sur la presse jeunesse Le presse jeunesse résiste bien au numérique. Photo : Malvina Raud

Retrouvez l’essentiel de la conférence « Focus sur la presse jeunesse »

Animée par Benoit Califano, directeur de l’ESJ Pro Montpellier, avec Victoria Jacob, rédactrice en chef adjointe des magazines J’aime Lire Max et Je Bouquine chez Bayard, Julie Lardon, co-fondatrice du journal illustré Albert, Malicia Mai Van Can, directrice éditoriale Milan Planète à Milan Presse et Juliette Salin, directrice des rédactions et des programmes Jeunesse chez Fleurus.

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