Créer un Panthéon du journalisme, l’ambitieux projet de Jérôme Bouvier

Jérôme Bouvier aux Assises du journalisme de Tours de 2023. Photo : Mathilde Lafargue/EPJT

Le président des Assises du Journalisme a lancé une grande consultation sur les illustres journalistes qui mériteraient d’entrer dans un panthéon de la profession. Mercredi après-midi, il a révélé les dix noms les plus cités par les journalistes.

Donner « une photo de comment la profession se voit ». Tel est l’objectif de Jérôme Bouvier, qui a lancé en marge des Assises du Journalisme de Tours une grande consultation pour créer un panthéon des journalistes. ». L’idée est de savoir « d’où nous venons », explique le président de l’association Journalisme et citoyenneté. « Nous avons assez peu de bagage historique sur notre profession, dans un moment de grande discussion sur qui est journaliste », ajoute-t-il.

Albert Londres, premier choisi !

A l’instar du Panthéon où se retrouvent les héros et les héroïnes de la nation, ce panthéon du journalisme veut instaurer un débat démocratique autour des valeurs qui rassemblent la communauté de journalistes, environ 35 000 en France. L’objectif est de créer un véritable panthéon avec la BnF, avec la reconnaissance de deux nouveaux noms chaque année. Pour le lancement, cette année, Jérôme Bouvier a révélé les dix premiers noms – en tête desquels figure l’illustre Albert Londres – les plus cités par les quelque 500 journalistes qui ont pris part à la consultation disponible sur le site journaliste.com.

Le procédé est simple et pédagogique : chaque nom qui peut être retenu par le votant est associé à une biographie. Ceci permet de partir à la découverte de figures qui ont incarné le journalisme, de l’Ancien Régime à aujourd’hui. On y retrouve par exemple Marguerite Durand, dont le fondateur du panthéon ne connaissait pas l’existence. Elle est à l’origine du premier titre de presse féminine à la fin du XIXe siècle, La Fronde.

Des spécialistes de la presse et des historiens sollicités

Pour réunir les premiers noms, des journalistes, des spécialistes de la presse et des historiens ont été sollicités. L’entrée de certaines personnalités dans la liste a parfois été discutée, comme celle d’Émile Zola, déjà présent au Panthéon, ou encore de Jean Jaurès. Cela fait écho à « l’entre-deux de la presse française, dont l’évolution est intimement liée à la politique, au débat d’idées, à la littérature ou encore au genre du récit de voyage », rappelle Jérôme Bouvier. Pour lui, c’est Albert Camus qui est la source de son envie de devenir journaliste.

Lors de leur deuxième édition en 2023, les Assises européennes du journalisme de Bruxelles seront aussi l’occasion d’encourager tous les pays de l’Union européenne à faire de même, pour dessiner un panorama de l’héritage journalistique à plus grande échelle.

[RÉSUMÉ] Conférence « Faire confiance à la science ? »

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Faire confiance à la science ? »
Helen Lee Bouyghes présente la fondation Reboot.

Photo : Laura Blairet/EPJT

Avec Helen Lee Bouygues, présidente de la fondation Reboot, Frédéric Courant, cofondateur de l’Esprit Sorcier TV, Laurence Devillers, professeur à la Sorbonne et présidente de la fondation Blaise Pascal et Etienne Klein, physicien et producteur de l’émission « Le pourquoi du comment » sur France Culture.

Animé par Élodie Cerqueira, présidente du Club de la Presse Centre-Val de Loire.

 

 

Les enjeux

Peut-on faire confiance à la science ? Il s’agit là d’une question large, soumise à interprétation. C’est ce qui a résulté du débat du mardi 28 mars au soir. Chaque intervenant a planché sur ses propres réflexions autour de cette interrogation. C’est donc un mélange de questionnements variés qui se sont élevés dans la salle des fêtes de l’hôtel de ville de Tours. Des questionnements sur la connaissance des enjeux numériques, notamment en termes d’intelligence artificielle, sur les éventuelles législations ou sources d’éducation sur le sujet et sur la place des journalistes dans ce manège.

Ce qu’ils ont dit

Helen Lee Bouygues : « On ne prend plus le temps d’apprendre aujourd’hui. Les entreprises qui nous proposent des informations le savent et jouent sur le sensationnel pour nous faire rester. »

« Ce n’est pas une question d’âge sur les réseaux sociaux mais une question des contenus qui nous sollicitent sans arrêt. C’est sur cela qu’il faut légiférer, pas sur l’âge des utilisateurs. »

« Les jeunes n’ont pas l’habitude d’avoir le temps d’apprendre et de réagir. Il faut peut-être mettre un cadre à cela pour les réseaux sociaux mais aussi pour l’éducation de manière plus générale. »

Frédéric Courant : ​« Il y a une profonde curiosité dans la science pour le public, qu’il faut qu’on respecte. »

« Il y a le problème du temps dans le journalisme, qui manque toujours. Mais il y a aussi la satisfaction d’être payé à apprendre des choses. Ce métier demande un effort intellectuel : essayer de comprendre les choses avant de raconter des histoires. Sur les chaînes d’info en continu, on invite des experts que l’on ménage souvent. Ce n’est pas la même chose. »

Laurence Devillers : ​« Il y a une émergence de comportements dans la machine [à intelligence artificielle] qui n’a rien à voir avec une émergence de conscience, mais qui répond à notre besoin d’impression de parler à quelqu’un. »

« Il faut arrêter avec cette peur des machines qui nous remplaceraient. Elles apprennent différemment de nous. Tant qu’on en aura peur on ne comprendra pas ce que sont ces objets. »

« Je remarque que 90 % des programmeurs sont des hommes et que 90 % des robots programmés ont des caractéristiques féminines. Il faut se poser la question de la représentation que l’on donne de l’humanité à travers ces machines. »

« Je m’adresse aux journalistes. ChatGPT, c’est de la parole statistique en provenance de machines sans que les sources ne soient clairement identifiées. Attention à ces usages. »

Etienne Klein : « Notre cerveau n’a pas changé depuis 20 000 ans. Nous avons développé des biais cognitifs qui nous servent à prendre des décisions face à une information. Sans ces biais cognitifs, on ne survit pas. Nous sommes passés d’un contexte historique avec peu d’informations à un contexte avec beaucoup d’informations. Parmi lesquelles des fake news. »

« Notre cerveau n’aime pas être contredit. Les algorithmes se basent là-dessus et nous enferment dans des biais de confirmation. On se retrouve bloqué dans un monde qui se répète. »

« Il y a une complète confusion entre la compétence et la militance. Le fait d’avoir un avis tranché semble dédouaner de l’obligation de s’instruire. »

« Le droit de savoir, s’il n’est pas converti en désir de connaître, est complètement stérile. »

 

 

À retenir

Faire confiance à la science, en particulier dans l’espace médiatique, est un sujet vaste et fertile de questionnements. La place des journalistes dans l’utilisation du numérique, de l’intelligence artificielle mais surtout de leur compréhension de ces enjeux est primordial. Car elle affecte directement la façon dont ils parleront de la science et de ces nouvelles technologies au grand public. Une question que chacun et chacune doit se poser, comme nous ont invité à le faire les intervenants à la fin de la conférence.

Laura Blairet

 

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[LE RÉSUMÉ] Quelle représentation des communautés queer ?

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Quelle représentation des communautés queer ? »

Photo : Maëva Dumas/EPJT

Avec Eline Casse , journaliste chez Radio Parleur et membre de l’AJL ( Association des journalistes LGBT), Lauriane Nicol, fondatrice de Lesbien Raisonnable, Christophe Martet, directeur de rédaction de Komitid et Marie Kirschen, journaliste indépendante et rédactrice en chef chez WellWellWell.

Animée par Mélisse Wyckhuyse, journaliste pour la Méridienne sur Radio Campus Tours, et Audrey Lecomte, co-animatrice de la quotidienne Sortez.

Les enjeux

Les communautés queer sont généralement représentées dans les médias à travers certains sujets. Chemsex, transition, mariage pour tous… les thématiques abordées se ressemblent et catégorisent les communautés à une image bien définie. Celle-ci peut être parfois connotée et discriminante. Face à cette situation, des changements sont nécessaires au sein des rédactions pour offrir une meilleure représentation des communautés queer plus proche de la réalité.

Ce qu’ils ont dit

Lauriane Nicol : «  C’est important d’apporter de la légèreté. Je ne sais pas si ça fait partie de notre militantisme mais c’est important le divertissement. On réduit trop les communautés queer à des sujets graves ou sérieux. »

Christophe Martet : « En général, les images utilisées pour représenter les communautés queer sont problématiques. Ce sont souvent des clichés lisses tirées de banques d’images ou des photos de la Pride où l’on voit des personnes dans des cadres spectaculaires. Rien à voir avec la réalité. »

Marie Kirschen : « Souvent, les journalistes envoient des questions aux associations queer qui n’ont pas lieu d’être. Évidemment, les réponses qu’ils reçoivent sont abruptes. Ce n’est pas un terrain neutre, les interlocuteurs ont des attentes et à juste titre. »

Elin Casse : « Je travaille pour un média indépendant mais ça ne paie pas assez donc je vais devoir me tourner vers des médias généralistes. C’est un choix que je fais à contre-coeur quand on connait la façon dont ils abordent les sujets autour des communautés LGBTQI+ . »

 

À retenir

Les médias traditionnels doivent sensibiliser leurs rédactions à la réalité des communautés queer. Le vocabulaire employé, les images mises en avant, les sujets abordés, une réflexion est nécessaire autour de ces thématiques pour arrêter de transmettre des représentations trop connotées. 

Maëva Dumas (EPJT)

[INTERVIEW] Haydée Sabéran : « Une série de photoreportage est toujours un travail extrêmement long »

Photo : Prunelle Menu/EPJT

Haydée Sabéran est rédactrice en chef adjointe de la revue photographique 6 mois. également responsable du pôle narration, elle nous explique le processus d’élaboration de la revue. Le temps et la coopération sont pour elle les deux principes essentiels pour produire un travail de qualité.

Quelle place occupent les textes et les légendes dans une revue photographique telle que 6 mois ?

Haydée Sabéran. Les légendes des photos sont les mots des photographes. Nous les interviewons pour construire avec eux le récit qui accompagne leurs images. Les mots complètent les photos. Mais l’histoire doit tenir indépendamment des images. Si on masque les photos, on doit pouvoir comprendre la narration toute seule, et inversement.

Quelles sont les consignes que vous donnez à vos photographes avant d’aller sur le terrain ?

H. S. Nous ne leur donnons aucune consigne, car nous ne les envoyons pas sur le terrain. Ce n’est pas comme ça que nous fonctionnons. Nous ne commandons pas de récits. Nos photographes partent en quête d’images et de narrations. Ils travaillent sur le temps long, des mois voire des années. Ce qui va nous intéresser, c’est un travail de long terme qui traduise en profondeur une réalité d’aujourd’hui.

Selon vous, quel est le secret d’une photo réussie ?

H.S. Le temps. C’est la réponse la plus naturelle qui me vient. Nous cherchons à maintenir un travail de qualité et celui-ci n’est possible que si l’on prend le temps, aussi bien sur le terrain pour les photographes qu’a posteriori au sein de la rédaction. Nous pouvons passer trois heures à interviewer un photographe et ça ne pose souvent pas de problème aux interlocuteurs. Ils sont même plutôt touchés qu’on leur accorde autant de temps. Une série de photoreportage est toujours un travail extrêmement long.

Comment vous organisez-vous avec les photographes pour la partie rédaction ?

H. S. C’est un travail à faire ensemble. J’aime bien dire que nous partons en reportage dans la tête du photographe. C’est lui ou elle qui se trouvait sur le terrain. A nous de prendre le temps de les écouter, de poser les bonnes questions pour que les légendes soient les plus riches, les plus complètes possibles. Qu’elles racontent par exemple le hors-champ. Parfois, les photographes ne veulent pas trop en dire, certains souhaiteraient que la photo parle d’elle-même, donc il arrive qu’on soit dans une forme de négociation avec eux. Notre mission est de faire du journalisme, donc il faut être le plus précis possible. Mais nous cherchons toujours à respecter le pacte que les photographes ont passé avec les personnes photographiées.

 

Recueilli par Prunelle Menu