[LE RÉSUMÉ] Traiter d’un objet politique non identifié : le mouvement des gilets jaunes

Retrouvez l’essentiel de l’événement « Les entretiens de l’info. Traiter d’un objet politique non identifié : le mouvement des gilets jaunes ».
Photo : Prunelle Menu/EPJT
Animé par Jean-Marie Charon, sociologue, spécialisé dans l’étude des médias et du journalisme et Arnaud Mercier, professeur en communication et responsable de la licence communication à l’IFP, avec Maïté Darnault, journaliste indépendante à Les Jours, Eric Lagneau, journaliste à l’AFP, Aline Leclerc, grande reportrice au Monde et Mickael Tassard, rédacteur en chef du Courrier Picard et Fabrice Valery, journaliste à France 3 Toulouse.

 

es Les enjeux

Plus de trois ans après le mouvement des Gilets jaunes, le sujet de son traitement médiatique est encore discuté. Jean-Marie Charon et Arnaud Mercier ont publié Les gilets jaunes : un défi journalistique le 3 mai 2022. Ils reviennent sur les différentes difficultés rencontrées par les journalistes sur le terrain.

Ce qu’ils ont dit

Aline Leclerc : « Luc Bronner, directeur des rédactions du Monde en 2018, a eu l’idée de me nommer au début de la crise pour suivre les conséquences économiques et sociales sur la vie des Français. Je suis là pour voir ce qu’il va arriver. Et je suis persuadée qu’on pouvait voir arriver ce mouvement. »

« Après le 1er décembre 2018, je me suis dit « je veux un casque », « je veux des protections contre les bombes lacrymogènes ». Vous arrivez dans un truc délirant tous les samedis. Il y a eu un déferlement de violence, sur les réseaux sociaux également. On vous répète sans cesse que vous êtes la honte du journalisme. »

Mickael Tassart : « On s’est aperçu tard de la montée de la colère au sein des Gilets jaunes. On aurait dû la voir parce que c’est notre boulot. »

« Ce que je retiens de cet épisode, c’est qu’on aurait dû voir le mouvement arriver. On doit être davantage au contact des gens. »

Maïté Darnault : « J’ai couvert deux manifestations régionales pour Libération, à Lyon et à Valence. J’ai constaté que la présence du journaliste lors de ces manifs induit un biais dans ce qui est en train de se passer.»

« Expliquer le métier de journaliste a été une constance. Lors de mes reportages, j’ai pu expliquer mon statut financier. Parfois, je gagne comme eux. Parfois, je gagne plus. Créer un échange et un lien de proximité m’a paru important. »

Fabrice Valéry : « On a choisi d’utiliser Twitter pour de l’information factuelle, des photos par exemple, et Facebook pour faire des lives vidéo. Ces lives étaient commentés pendant plusieurs heures. Avec le mouvement des Gilets jaunes, nous avons changé nos pratiques journalistiques.»

« J’ai toujours pensé que ce métier devait être plus ouvert à des gens de toutes origines et que les étudiants ne devaient pas être trop formatés par les écoles de journalisme. »

Eric Lagneau : « La médiatisation des Gilets jaunes a fait partie du mouvement social. Qu’il s’agisse des médias traditionnels ou des médias créés par les Gilets Jaunes eux-mêmes sur les réseaux sociaux.»

« Il était important pour nous de coordonner le travail qu’on faisait partout en France.»

À retenir

Sujet « passionné et passionnant », comme l’a décrit Arnaud Mercier, le mouvement des Gilets jaunes a remis en question de nombreux principes journalistiques alors que la défiance envers les médias s’est accrue. Les journalistes se disent désormais plus vigilants et se veulent plus proches des publics pour mieux anticiper de nouveaux mouvements sociaux.

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[INTERVIEW] Edwy Plenel : « Le pouvoir n’a eu de cesse, avec des relais médiatiques, de caricaturer ce mouvement des Gilets jaunes »

Edwy Plenel est journaliste et président du site d’information Mediapart. Dans son livre La Victoire des vaincus, publié aux Éditions La Découverte, il analyse le mouvement des Gilets jaunes comme une victoire pour le peuple et détaille sa conception du journalisme.

Edwy Plenel, auteur de La Victoire des vaincus. (Photo : Lydia Menez/EPJT)

Diriez-vous queLa Victoire des vaincus est un livre politique plus qu’un livre de réflexion journalistique ?

Edwy Plenel. Le mot politique, au sens partisan, n’est pas l’objet du livre. En revanche, depuis quarante-trois ans que je fais ce métier, je pense que le journaliste est au cœur d’un principe démocratique : le droit de savoir des citoyens. Il y a une forme d’engagement démocratique dans le journalisme. Il a pour fonction de servir un droit qui est plus fondamental que le droit de vote ; parce que si je vote sans savoir ce qui est d’intérêt public, je peux voter à l’aveugle pour mon pire malheur. Ce livre est une réflexion sur l’événement des Gilets jaunes, pour en souligner la nouveauté et le réhabiliter par rapport à la façon dont il a été caricaturé. C’est un mouvement qui part de l’injustice fiscale et qui pose la question de l’égalité, qui est pour moi le moteur de l’émancipation. Par ailleurs, le pouvoir n’a eu de cesse avec des relais médiatiques de caricaturer ce mouvement. Ils ont choisi de se concentrer sur quelques dérives violentes du mouvement pour que ce peuple soit forcément laid, raciste, antisémite, ou encore xénophobe. Moi, je crois que la réalité de ce mouvement est beaucoup plus complexe et diverse. Derrière cela s’exprimait une certaine forme de haine de classes.

Mercredi soir, vous étiez sur le plateau de Paris Première face à Mounir Mahjoubi, Secrétaire d’État en charge du Numérique, qui rejette votre qualification « d’affaire d’État » pour désigner l’affaire Benalla. Est ce que Mediapart dispose d’informations supplémentaires pour qualifier cette « affaire d’État » ?

E. P. C’est déjà sur la table. Il y aura beaucoup d’informations à venir puisque c’est une enquête au long court, mais le rapport du Sénat, qui s’est appuyé sur des révélations de Mediapart, le montre déjà. Un collaborateur, « Monsieur Sécurité » du président, reconnu par toute l’institution, va, déguisé en policier, frapper des opposants politiques. Benalla aurait dû être écarté dès le 2 mai 2018. C’est ce que pense le préfet de police quand il prévient qu’il y a une vidéo où l’on voit les méfaits de Benalla. Non seulement il n’est pas viré, mais il est protégé. Le fait de protéger quelqu’un qui se comporte en nervi au sommet d’un État démocratique, c’est déjà une affaire d’État ! Puis arrivent coup sur coup trois révélations de Mediapart : la première, c’est les passeports diplomatiques, puis le contrat russe et enfin le viol du contrôle judiciaire et l’effacement des preuves. Je l’ai écrit dès le mois de juillet, le fait qu’il soit à ce point soutenu par Macron en fait forcément une affaire d’État. Concernant la réaction de Mounir Mahjoubi, c’est terrible de voir des gens qui, par ambition politique, en viennent à perdre leur sens critique.

En février dernier, Mediapart a subi une tentative de perquisition dans ses locaux. Est-ce pour vous la preuve d’une défiance envers la presse et plus particulièrement envers Mediapart de la part d’Emmanuel Macron ?

E. P. Pendant la campagne présidentielle nous lui avons dit que nous aurions surement, à Mediapart, des divergences sur les questions sociales et sur ses choix très libéraux économiquement. Je pensais que sur les questions de société, il était aussi politiquement libéral. Ma surprise s’est faite avec l’entretien du 15 avril 2018 chez Jean-Jacques Bourdin où l’on a découvert un président autoritaire qui, contrairement à sa promesse d’une « révolution démocratique profonde », est très peu respectueux des contre-pouvoirs et du pluralisme de la société. Souvenez-vous de sa phrase : « Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité ». C’est une antiphrase parce qu’en réalité il y a une presse qui l’embête en cherchant justement la vérité. Cela vaut aussi pour ses récentes déclarations à un groupe de journalistes, reprises par Le Point, où il parle d’une « information neutre ». Mais l’information est pluraliste, elle doit être rigoureuse, certes, mais certainement pas neutre. Pour moi, y compris sur la presse, Monsieur Macron n’est ni un libéral ni un progressiste.

Vous dites tout au long de votre livre que le journalisme et les Gilets Jaunes font front commun face au gouvernement et à la personne d’Emmanuel Macron, pourtant, vous n’hésitez pas à critiquer le travail des chaînes d’info en continu, ne serait-ce pas un peu hypocrite ?

E. P. Je parle de ma conception du journalisme et je ne critique pas explicitement tel ou tel média. Dans ces chaînes d’info en continu il y a des journalistes qui essayent de travailler au mieux pour leur indépendance et je me désolidarise de toute forme de haine du journalisme. Mon livre sert aussi à provoquer une réflexion dans la profession. Je pense que lorsqu’il y a un événement comme celui-ci, il faut mettre de côté tous ces commentateurs qui n’ont jamais sorti une info de leur vie et qui viennent sur les plateaux télé dire aux gens ce qu’ils doivent penser. C’est pour cela que la confiance est minée dans notre profession.

Propos recueillis par Louise Gressier et Léo Juanole

[LE RÉSUMÉ] : « #Lesmédias. Atelier de recherche : la détestation des journalistes, une vieille histoire »

La détestation des journalistes,une vieilles histoire_Cred Laurent Théoret

(Photo : Laurent Théoret)

Animé par Isabelle Marcin-Garrou, professeure en sciences de l’information et de la communication à Sciences po Lyo ; avec Claire Blandin,  professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 13 ; Gilles Bastin, professeur de sociologie à l’université Grenoble Alpes et Alexis Levrier, maître de conférences à l’université de Reims, chercheur associé et spécialiste de l’histoire de la presse.
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[LE RÉSUMÉ] #LESMÉDIAS. journalisme et « Gilets jaunes »

JournalismeGiletsJaunes_Cred_EmmanuelHaddek

Retrouvez l’essentiel de la conférence #LESMÉDIAS. JOURNALISME ET « GILETS JAUNES »

Animé par Ariane Chemin, grand reporter au journal Le Monde et présidente du jury des Assises. Avec Rémy Buisine, reporter pour BRUT ; Gabin Formont, fondateur de Vécu, le média du gilet jaune ; Arnaud Mercier, professeur en communication université Paris 2-Assas, directeur des études de l’IFP, chargé de mission au HCERES ; Coralie Pierre, journaliste et membre du collectif « Paye toi un journaliste » ; Céline Pigalle, directrice de la rédaction de BFM.   (suite…)